Les promesses trumpiennes d’une paix en Ukraine en 24 heures paraissent bien loin. Plus de six mois après la prise de fonction du nouvel hôte de la Maison-Blanche, et à l’heure où les frappes aériennes russes contre les civils atteint un niveau inédit, la fin de la guerre n’a jamais semblé aussi incertaine. Echaudé par ce surplace diplomatique, le président républicain a récemment haussé le ton, allant jusqu’à fixer un ultimatum à son homologue russe pour faire la paix – dont l’échéance est prévue ce vendredi 8 août – sous peine de violentes sanctions économiques. Avant cette échéance, son émissaire Steve Witkoff est à Moscou ce mercredi 6 août, où il a rencontré le chef du Kremlin en personne. En durcissant le ton, Donald Trump a-t-il trouvé la clé ? « Moscou peut encore essayer de retourner la situation », jauge l’ancien ambassadeur Michel Duclos, aujourd’hui conseiller spécial à l’Institut Montaigne et auteur de l’ouvrage Diplomatie française (Alpha, 2024). Interview.
L’Express : L’émissaire américain pour la paix, Steve Witkoff, est arrivé à Moscou ce mercredi. Peut-on réellement en attendre quelque chose ?
Michel Duclos : Il serait étonnant d’assister à de véritables avancées pour la paix. A mon sens, Donald Trump et son entourage ont pris conscience de leur erreur initiale sur Poutine. Au départ, ils pensaient que le président russe serait prêt à accepter une proposition très généreuse de leur part. Rappelons que l’offre américaine prévoyait que les Russes puissent garder les territoires ukrainiens conquis ainsi qu’une reconnaissance par Washington de l’annexion de la Crimée. Or l’administration Trump a été surprise de voir Poutine refuser une telle offre, de même qu’il a refusé d’autres options alternatives comme un cessez-le-feu partiel.
Les mois passant, Donald Trump a fini par se raidir et a donné un ultimatum à Poutine, assorti de menaces de sanctions très fortes. Mais fondamentalement, le président américain donne l’impression de ne pas avoir de stratégie claire et de tester plusieurs options. D’où l’annonce de l’envoi des deux sous-marins nucléaires la semaine dernière, alors qu’en parallèle, Steve Witkoff est attendu à Moscou cette semaine. Cependant, à moins que Washington ne soit prêt à des concessions majeures, il est très peu probable d’assister à un compromis. Pour l’instant, tout laisse à penser que Poutine considère qu’il continue à avoir la main et qu’il peut continuer à mener cette guerre comme il l’entend.
Donald Trump n’a pas l’air de vouloir le laisser faire…
Sa patience a certainement atteint une limite. Cependant, Moscou peut encore essayer de retourner la situation. Si Poutine réussit à communiquer à Steve Witkoff un certain nombre de propositions qui relancent l’espoir des Américains de parvenir à une solution, alors les Russes auront l’occasion de gagner du temps. Or le temps est un facteur essentiel, parce qu’ils en ont besoin pour essayer d’atteindre leurs buts sur le plan militaire en Ukraine. C’est probablement ça, le principal enjeu de la visite de Witkoff pour les Russes : donner suffisamment de grain à moudre à Donald Trump, tout en continuant leur travail de sape en Ukraine.
Cette stratégie a-t-elle une chance de fonctionner ?
Ce n’est pas certain, même s’il est difficile de répondre dans la mesure où cela dépendra principalement de la réaction de Donald Trump. Il me semble cependant que l’idée de sanctionner économiquement la Russie – comme le défend le sénateur républicain Lindsey Graham – progresse beaucoup à Washington actuellement. En revanche, la Maison-Blanche n’a pas encore l’air prête à envisager un investissement massif dans le réarmement de l’Ukraine. Notamment parce qu’un certain nombre de responsables chargés de la politique à l’égard de la Chine, à commencer par le vice-ministre de la Défense Elbridge Colby, s’y opposent, et que la base MAGA n’est pas favorable à des transferts d’armes massifs à l’Ukraine. Cela constitue une vraie chance pour Poutine.
De quelle manière le Kremlin a-t-il tenté d’amadouer Trump jusqu’à présent ?
Jusqu’ici, les Russes ont pu donner le change en faisant mine d’accepter certains compromis, qu’ils n’ont pas manqué de rogner ensuite. Petit à petit, Poutine pensait sans doute rallier Trump à l’idée qu’il fallait se résigner et lui laisser les mains libres. Au fond, son calcul était de mettre en avant la possibilité d’avoir des relations économiques fructueuses avec les Etats-Unis, ainsi qu’une meilleure coopération sur le plan diplomatique, en aidant Trump à apparaître comme un faiseur de paix dans différents conflits que ce soit en Afrique ou au Moyen-Orient. Il s’agissait également de faire miroiter aux Etats-Unis une prise de distance entre Moscou et Pékin. Si cette stratégie de Poutine avait plutôt bien fonctionné jusqu’à présent, nous sommes arrivés à un moment où même Donald Trump se rend compte qu’il s’agit d’un leurre. Que c’est simplement un moyen de lui donner quelques satisfactions en apparence, sans rien céder sur la question ukrainienne.
En se montrant inflexible et en continuant ses frappes meurtrières sur l’Ukraine – ce qui a été dénoncé par Trump – Poutine ne s’est-il pas tiré une balle dans le pied ?
Pas nécessairement. Au-delà d’être une stratégie visant à faire craquer l’Ukraine sur le plan intérieur, ces frappes constituent une option de négociation qu’il conserve. Si Poutine sent qu’il a besoin de donner quelque chose à Trump, il peut éventuellement proposer d’arrêter certains bombardements en échange d’une fin des frappes dans la profondeur conduites par l’Ukraine. Pour Moscou, ce ne serait pas très coûteux, et cela offrirait une forme de victoire diplomatique à Trump. Quant aux Ukrainiens, ce serait un soulagement, même si cela les priverait de la capacité d’infliger des coups sévères sur le territoire russe.
Les menaces de sanctions secondaires contre les pays qui continuent à acheter du pétrole à la Russie peuvent-elles faire reculer Poutine ?
Je reste sceptique. Tout d’abord, on ne peut pas exclure que ces mesures n’impressionnent pas Moscou. De plus, comme il s’agit de sanctions secondaires qui toucheraient les pays qui continuent d’avoir des échanges avec la Russie, elles pourraient antagoniser un certain nombre d’entre eux. Si les Américains appliquent vraiment ces sanctions à l’Inde, ils risquent de retourner contre eux un pays fondamental dans leur stratégie de containment de la Chine. Par ailleurs, en ce qui concerne plus spécifiquement Pékin, je vois mal le régime céder à un tel chantage. L’ensemble de ces éléments pourraient in fine faire hésiter Donald Trump sur les sanctions à prendre réellement à l’issue de son ultimatum.
Dans le fond, Poutine est-il prêt à aller jusqu’au bout quelles que soient les sanctions ?
C’est ce que je crois. Poutine sait qu’en Russie les leaders qui perdent une guerre ne restent pas au pouvoir. Il pourrait certes tenter de déguiser un éventuel recul en victoire vis-à-vis de l’opinion, mais il lui serait quand même difficile de s’accrocher au pouvoir. D’autant plus que la décision d’envahir l’Ukraine est une décision personnelle et que tous les responsables de l’appareil de sécurité l’ont suivi, même si certains restaient sceptiques. Dès lors, si Poutine rate son coup, il peut craindre de grandes difficultés sur le plan intérieur.
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Author : Paul Véronique
Publish date : 2025-08-06 10:23:00
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