« Poutine et Trump se sont mis d’accord pour se mettre d’accord sur de futures discussions en vue d’un accord », ironise, ce matin, le compte satirique Pezduza, très suivi en Russie. Car, on l’a vu, le sommet d’Anchorage entre Vladimir Poutine et Donald Trump s’est achevé le 15 août sans qu’aucun « deal » cher au président américain ne soit annoncé. Quant à l’ultimatum posé par le locataire de la Maison-Blanche pour mettre fin à la guerre, le voilà à nouveau décalé de deux semaines, et moins crédible que jamais.
Pour le président russe, le simple fait d’être ainsi reçu en grande pompe par son homologue américain est en soi une victoire, un pas de plus vers la sortie de l’isolation dans laquelle l’avait plongé son invasion de l’Ukraine en février 2022, estime la politologue russe Tatiana Stanovaïa, fondatrice du centre d’analyse R.Politik. Les objectifs stratégiques du chef du Kremlin restent cependant pour l’instant hors de sa portée, et la guerre devrait continuer. Entretien.
L’Express : Ce sommet est-il un succès pour Vladimir Poutine ?
Tatiana Stanovaïa : Ce n’est pas un grand succès, pour aucun des deux présidents. Mais il y a des aspects positifs pour Poutine. D’abord, il y a le décorum avec lequel il a été reçu : le tapis rouge, la parade aérienne… Tous les attributs symboliques dus au dirigeant d’une grande puissance. Trump l’aide à sortir de son isolement, lui donne de la légitimité, et en ce sens, la rencontre a constitué une victoire personnelle pour Poutine.
Ensuite, on peut noter que cet entretien s’est bien passé du point de vue « émotionnel » : sans cris ni conflits, sans se concentrer sur les divergences.
Surtout, Poutine est parvenu à convaincre Trump qu’il ne peut pas y avoir de cessez-le-feu en Ukraine sans une discussion plus globale sur les causes du conflit, et celui-ci est allé ensuite expliquer la même chose aux dirigeants européens. Donc, je ne parlerais pas de succès mais de « progrès » pour Poutine. C’est à peu près ce qu’il espérait obtenir.
Ce n’est pas la première fois que Vladimir Poutine et Donald Trump discutent et que le président américain semble s’aligner sur les positions de Poutine. Jusqu’à présent, cela n’a pas amené de changements particuliers. Et cette fois-ci ?
Ce sommet non plus ne va rien changer sur le fond. La guerre va continuer, il y aura de nouvelles tentatives des Russes de forcer les Ukrainiens à s’asseoir à la table des négociations à Istanbul, en espérant que les Américains feront pression sur eux pour qu’ils soient plus souples. Mais si vous regardez les déclarations de Trump, il a plusieurs fois souligné que la question des concessions territoriales doit être discutée entre Russes et Ukrainiens. Sur la question des frontières, il prend ses distances, il veut que les Européens soient impliqués. Ce n’est pas que veut Poutine. Il veut que Trump prenne son parti et oblige Kiev à discuter sur la base du mémorandum d’Istanbul [présenté par le Kremlin début juin, et réclamant l’annexion supplémentaire de quatre régions d’Ukraine, le désarmement de son armée et le contrôle de sa diplomatie, NDLR], et que les Européens l’y aident, ou du moins, cessent de soutenir l’Ukraine. Mais on voit que ce ne sera pas le cas. En fin de compte, Poutine n’a pas gagné tant que ça, il n’a pas vraiment mis Trump de son côté. Et je ne crois pas du tout à la possibilité d’une nouvelle rencontre en Russie.
À Istanbul, le chef de la délégation russe Vladimir Medinski aurait déclaré à ses interlocuteurs que la Russie est prête à faire la guerre pendant des décennies s’il le faut. Est-ce encore le cas ?
Medinski dit vrai. Si la Russie doit faire la guerre, elle la fera aussi longtemps que nécessaire. Pour Poutine, c’est une guerre existentielle, il n’y a pas d’alternative à la victoire, point final. Son problème, c’est qu’il ne veut pas faire la guerre. Elle lui coûte très cher, c’est le pire des scénarios pour atteindre son objectif : un accord avec les Occidentaux sur la sécurité de la Russie.
Quels sont ses leviers de négociation pour atteindre cet accord ? Sur quels éléments Vladimir Poutine est-il prêt à des concessions ?
Poutine n’est prêt qu’à des concessions tactiques. Aucune garantie de la part de l’OTAN ne lui semblera suffisante. En revanche, il a dit à Anchorage que la Russie était prête à évoquer des garanties de sécurité pour l’Ukraine, et sa délégation a présenté une liste de pays qui pourraient être ces garants. On y trouve selon lui des membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, mais aussi le Kazakhstan, la Biélorussie… C’est très éloigné de ce que l’Occident et l’Ukraine pourraient accepter comme garanties de sécurité. Poutine est prêt à des concessions territoriales, à retirer ses troupes des régions qu’il n’a pas annexées formellement… mais il n’y a pas eu de progrès en ce sens lors du sommet.
La nouvelle constitution que Vladimir Poutine a fait adopter en Russie ne l’empêche-t-elle pas de faire ces concessions territoriales ?
La constitution mentionne les régions de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijia, mais elle ne dit rien des frontières de ces régions. Poutine est prêt à un « échange » dans lequel il prendrait la totalité des régions de Donetsk et Louhansk, et uniquement ce que son armée contrôle dans les régions de Kherson et Zaporijia. Ça ne lui posera pas de grands problèmes en Russie. Bien sûr, il y aura des mécontents chez les ultranationalistes, mais le Kremlin sait comment les gérer.
Qu’en sera-t-il d’un hypothétique après-guerre, dans une société très militarisée et dans laquelle reviendront des centaines de milliers de vétérans ? Le Kremlin anticipe-t-il des problèmes à ce sujet ?
Bien sûr. C’est le travail du bloc « politique intérieure » de l’administration présidentielle, qui réfléchit depuis longtemps sur cette question. Mais pour Poutine ce n’est pas un problème, il considère que la société russe acceptera n’importe quel résultat. Puisque à ses yeux, aucune défaite n’est envisageable, le résultat sera un compromis acceptable pour la Russie, et il n’aura aucun souci à le faire accepter par la société russe. Quant au problème de la réintégration des vétérans dans la société, il n’est pas aussi important que certains le pensent. Le Kremlin aurait plutôt tendance à sous-estimer les risques posés par le retour de centaines de milliers de personnes traumatisées psychologiquement et physiquement. Mais en Russie, la moindre dissidence est écrasée, le contrôle est si fort qu’il n’y aura pas de problème. Poutine veut mettre fin à la guerre, il sait que le système s’y adaptera.
Et qu’en est-il de l’économie russe, qui a été maintenue à flot par l’industrie de défense ? Que se passera-t-il si elle cesse de produire des tanks ?
La Russie n’arrêtera pas de produire des tanks ! Il y aura bien sûr une diminution de la production, et celle-ci aura des conséquences. Mais elles sont prévues et anticipées. De toute façon, le niveau des dépenses militaires ne va pas chuter brusquement. Déjà, parce que Poutine a bien vu dans quel état réel était son armée en février 2022. Ça a été un vrai choc pour lui, maintenant il veut la moderniser. De plus, regardez la rhétorique dominante en Europe, tout le monde parle de se préparer à la guerre contre la Russie. À Moscou, personne ne se prépare à la guerre contre l’OTAN, ça n’a jamais été que des paroles en l’air. Mais le Kremlin voit l’Europe se réarmer, quand il voit les projets des Américains, que ce soit le bouclier antimissile Golden Dome, ou le déploiement d’armes stratégiques dans l’Asie-Pacifique… et tout cela l’inquiète. Ce sont des sujets qu’il faudra encore discuter avec Trump, si ces rencontres ont lieu.
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Publish date : 2025-08-16 16:28:00
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