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« Bloquons tout » : pourquoi la mobilisation du 10 septembre sera populiste, par Gérald Bronner

« Bloquons tout » : pourquoi la mobilisation du 10 septembre sera populiste, par Gérald Bronner

Rentrée après rentrée, les grognards des mouvements sociaux promettent une insurrection. Ce mois de septembre qui s’annonce ne fait pas exception, mais, cette fois, on trouve facilement des raisons de considérer avec plus d’attention la prédiction. La première est la nature austéritaire du budget annoncé par François Bayrou, en particulier la suppression de deux jours fériés qui a beaucoup marqué les esprits. Elle suscite une indignation qui pourrait se transformer en colère sociale d’ampleur. La deuxième est que, justement, une clameur prend corps sur les réseaux sociaux qui promet de « tout bloquer » le 10 septembre. Celle-ci est née d’un compte TikTok souverainiste et revendiquant les racines chrétiennes de la France… pas vraiment un élan progressiste, donc.

Pourtant, depuis le 14 juillet, jour de la mise en ligne de la vidéo séminale, la gauche radicale cherche à s’approprier cette énergie naissante et nul ne sait, avant qu’il ne s’incarne dans la rue, quels atours revêtira ce mouvement. Les dirigeants de La France insoumise, par exemple, ont fait savoir qu’ils soutenaient « l’initiative populaire du 10 septembre ». Tout cela pourrait aussi tout simplement avorter mais l’analogie avec les gilets jaunes – dont d’anciennes figures ont abondamment relayé l’appel « Bloquons tout » – est frappante.

Les soulèvements spontanés n’existent pas et, de ce point de vue, celui-ci – pas plus que celui des gilets jaunes – ne peut être considéré comme spontané dans la mesure où il aura été précédé par une catalyse numérique. Néanmoins, « Bloquons tout » ne peut pas non plus échapper tout à fait à la célèbre critique de Lénine concernant le spontanéisme, dont une des caractéristiques est de rester collé à des revendications « primaires » sans adopter un point de vue globalement politique. Pas un mouvement spontané, donc. Cependant, on peut accorder qu’il s’agit non pas d’un processus top down (décidé par une centrale syndicale ou un parti politique) mais bottom up. De ce fait, « Bloquons tout » n’a pas de programme politique clair. Sera-ce le même mouvement selon qu’on retiendra ceux qui seront « sur le terrain » ou ceux qui prétendront en être ? Selon la sensibilité politique de ceux qui le soutiendront – sachant que cette part variera en fonction de la violence exprimée dans les manifestations et la médiatisation dont elle sera l’objet.

Certains préviennent déjà sur les réseaux sociaux : on va vouloir discréditer ce mouvement en lui accolant le stigmate du « populisme ». Et pourquoi donc serait-il nécessairement populiste ? Pour une raison qui se fait voir dans les origines même du mouvement et dans les rivalités d’appropriation qu’il inspire : l’extrême droite et l’extrême gauche – qui n’aiment guère qu’on les compare – ont une matrice imaginaire commune. Or un tel mouvement émergent et gazeux ne peut prendre de la vigueur qu’en déployant des thèmes de mobilisation.

Contrairement à ce que prétendent les tartuffes qui affirment ne pas vouloir s’allaiter au sein populiste, cette notion est assez clairement définie par les sciences politiques au point qu’elle donne lieu à des échelles de mesure statistique. Si le populisme n’est pas un programme, il s’adosse en revanche à un imaginaire facilement identifiable : l’hypostase de l’idée d’un peuple homogène, la volonté qu’il exerce son droit sans médiation et la malfaisance consubstantielle des élites. Ce mouvement a toutes les chances de revêtir les habits du populisme et ce ne sera pas par la désobligeance des commentaires voulant le discréditer mais du fait même de son processus de constitution. Cherchant un plus petit dénominateur commun narratif, le mouvement ne pourra se fonder que sur l’imaginaire de la détestation des élites. Si l’on ajoute qu’il décapitera sans doute tout leader qui, en émergeant, offrirait un interlocuteur de négociation, il y a lieu de conjecturer que « Bloquons tout » sera acéphale et protéiforme : une matrice idéale pour le populisme, donc, qui pointe déjà dans les slogans ou les mèmes utilisés : Brigitte Macron sous les traits de Marie-Antoinette, ou encore Sophie Binet menottes aux poignets…

Gérald Bronner est sociologue et professeur à la Sorbonne Université



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Author : Gérald Bronner

Publish date : 2025-08-25 05:45:00

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