Dans une guerre, pour faire la paix, il faut que les deux parties le souhaitent. Or toute la séquence estivale est venue rappeler le refus catégorique de Vladimir Poutine, à ce stade, de faire ce choix. Dimitri Minic, chercheur au Centre Russie/Eurasie de l’Institut français des relations internationales (IFRI), explique les raisons de cette intransigeance dans le nouvel épisode qui ouvre la deuxième saison de l’État-Major, le podcast de L’Express consacré aux questions de défense.
« Les objectifs de la Russie en Ukraine sont très clairs, c’est la soumission politique de ce pays », explique ce spécialiste de la pensée stratégique russe, ajoutant qu’elle « ne conçoit le règlement de la situation en Ukraine que par une capitulation totale ». Pendant la campagne présidentielle américaine, Donald Trump se vantait de régler le conflit en 24 heures. Huit mois plus tard, les combats continuent. « Le président américain a nourri des illusions sur sa capacité à infléchir la politique de Poutine en Ukraine, […] contre vents et marées et malgré le louvoiement visible » de la Russie, constate-t-il également.
Le paroxysme du malentendu s’est déroulé à Anchorage, en terre américaine d’Alaska, mi-août. Donald Trump y a accueilli Vladimir Poutine pour un sommet ne débouchant sur rien de concret, si ce n’est la réhabilitation de l’autocrate sur la scène internationale. Si les Russes ne négociaient pas sérieusement, que faisaient-ils alors ? « L’idée centrale, c’est de gérer Trump […] pour pouvoir continuer les opérations de combat », résume Dimitri Minic.
Pour cela, ils ont utilisé une arme terriblement efficace sur Donald Trump : la flatterie, pour « cultiver l’idée centrale chez Trump qu’il faut abandonner l’Ukraine », en reprenant sa propre analyse du conflit. « Même Poutine a répété l’argument de Trump selon lequel la guerre n’aurait jamais eu lieu si [l’homme d’affaires] avait été au pouvoir », fait valoir l’auteur de Pensée et culture stratégiques russes : du contournement de la lutte armée à la guerre en Ukraine » (Editions Maison des sciences de l’homme). Tout en choisissant habilement quand rester silencieux, pour éviter de le braquer : « quand Trump dit que l’économie russe est censée s’effondrer, ça ne dérange pas [les Russes], ils ne répondront pas, ou pas de façon sérieuse ».
La façon dont le président Volodymyr Zelensky a été vertement repris, devant les caméras, à la Maison-Blanche, a confirmé tout le dédain que le milliardaire porte pour ce pays auquel les Etats-Unis livrent pourtant des armes. « Trump est plutôt indifférent en vérité à l’Ukraine et l’Occident », pointe Dimitri Minic. « Son sujet, c’est d’arrêter la guerre car il veut le prix Nobel et en tout cas être sacré faiseur de paix, […] peu importe les conditions, plus ou moins justes ».
Le Kremlin a parfaitement su jouer de ce cocktail grotesque de recherche des honneurs et de morgue dont Trump fait preuve dans ce dossier. Mais il n’est pas parvenu, jusqu’à présent, à obtenir qu’il abandonne l’Ukraine. « Les Russes ont surestimé le pouvoir des Etats-Unis, mais ça, c’est dû à leur croyance paranoïaque que Kiev était en fait téléguidée par Washington, poursuit Dimitri Minic. Ils ont déchanté, parce que Trump s’est trouvé incapable de tordre le bras de l’Ukraine et des Européens, et n’était pas désireux de le faire dans ces conditions. »
Les exigences de la Russie restent inacceptables, même pour un Donald Trump enclin à faire des concessions au Kremlin. « Elle considère qu’historiquement, elle a un rôle à jouer dans l’influence des destinées européennes », rappelle Dimitri Minic. Déjà, en 1999, le président russe Boris Eltsine avait invité son homologue américain Bill Clinton à se retirer d’Europe. « Vous n’avez qu’à donner l’Europe à la Russie, l’avait-il enjoint. Les Etats-Unis ne sont pas en Europe. »
Le chercheur salue enfin le travail de la « coalition des volontaires », animé par Paris et Londres et regroupant 32 pays, pour préparer un déploiement militaire européen en mesure d’apporter des garanties de sécurité à l’Ukraine. Mais il ajoute que « l’Europe gagnerait à être moins sensible aux menaces de la Russie et d’assumer une politique plus audacieuse, tout en restant calibrée ». L’un de ses confrères de l’Ifri, Elie Tenenbaum, a ainsi plaidé, dans une récente tribune publiée dans Le Monde, pour que de telles forces soient déployées avant un cessez-le-feu. Ce qui permettrait de pousser le Kremlin à un accord de paix. Dimitri Minic ne cesse de le clamer : avec la Russie, seul le rapport de force compte.
Source link : https://www.lexpress.fr/monde/europe/en-verite-trump-est-plutot-indifferent-a-lukraine-et-loccident-lanalyse-du-chercheur-dimitri-minic-ASKQ4GSTMRGQZCCCMS2M3PD7AU/
Author : Clément Daniez
Publish date : 2025-09-19 05:30:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.