L’Express

Les plans de Marguerite Cazeneuve, la passionaria de la Sécu : arrêt de travail, médicaments, hôpital

Les plans de Marguerite Cazeneuve, la passionaria de la Sécu : arrêt de travail, médicaments, hôpital


Dans un manga, Marguerite Cazeneuve pourrait être l’un de ses personnages féminins, mi-sylphide, mi-bad girl, dégommant tout sur son passage. Une bagarreuse bravache, pistolet en bandoulière, prête à tout pour défendre ce qu’elle croit être la juste cause. La trentenaire, directrice déléguée de la Sécu, est une fan d’Arcane, la série d’animation hyperviolente inspirée de l’univers du jeu vidéo League of Legends. Conseil de visionnage délivré au cœur de l’été sur le réseau social X.

Parmi les grands commis de l’Etat, il y a ceux qui cultivent la discrétion, ouvrent le parapluie à la moindre question un peu pressante d’un journaliste ou se retranchent derrière la parole officielle de leur ministre de tutelle. Et puis les autres. Marguerite Cazeneuve se range dans la deuxième catégorie. Dans l’arène virtuelle des réseaux sociaux dont elle maîtrise les codes, elle ferraille. Tacle l’un, ironise sur les propos de l’autre. La numéro 2 de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a des idées. Et elle les partage. A Arnaud Chiche, médecin anesthésiste et fondateur du collectif Santé en danger qui l’interpelle sur « cette monarchie administrative de nullards en santé mais au pouvoir et aux manettes », elle répond : « Non, ce n’est pas une caste qui a besoin de s’auto-alimenter, puisque cette ‘monarchie administrative’ comme vous l’appelez a 100 fois la possibilité de se barrer dans le privé. Combien d’IGF (NDLR : inspecteur des finances) travaillent encore pour le secteur public passé 40 ans ? La moitié seulement, et cela doit nous inquiéter. »

Lorsque Dominique Schelcher, le PDG de la Coopérative U, l’enseigne de grande distribution, relaye une vidéo de Bernard Arnault dans laquelle le PDG de LVMH se désole de l’enfer bureaucratique, elle rétorque : « Les grands patrons de ce pays qui souhaitent défendre ce truc con, la démocratie, je les supplie de cesser ce discours trivial à charge contre l’Europe, l’Etat de droit, l’Etat tout court. » Vlan.

A celle qui fut sa conseillère sociale à Matignon, Jean Castex lança, avec un grand sourire, lors de son pot de départ : « Vous êtes une originale ». Originale dans le ton évidemment, mais aussi dans le parcours – HEC et McKinsey, et non l’ENA, Polytechnique ou l’Inspection des finances comme tout haut fonctionnaire. « En pleine bagarre, c’est quelqu’un sur qui on peut compter », souffle un ancien membre du cabinet d’Edouard Philippe où elle officia également.

« Madame je sais tout »

En 2020, elle est en première ligne pour défendre le big bang de la grande réforme à points du système des retraites. Des années à œuvrer dans les cabinets ministériels et à ausculter un État providence coûteux et de plus en plus souffreteux. Ses opposants la décrivent en « Madame je sais tout », accrochée à ses tableurs Excel. « Nous sommes arrivés avec des contre-propositions qu’elle n’a même pas regardées », s’agace Dominique Buisson, le secrétaire de la Fédération nationale du taxi. Le genre de critique qu’elle balaie rapidement. « Je crois au dialogue social. Il est fondamental car la situation financière de l’Assurance maladie va se dégrader très vite, c’est sans doute la branche la plus à risque de la protection sociale », explique-t-elle à L’Express.

Ces gros nuages financiers, justement, sont détaillés par le menu dans un épais rapport sobrement intitulé « Charges et produits » qu’elle a piloté et dévoilé au cœur de l’été. Au fil des pages, l’état des lieux d’un système d’Assurance maladie qui prend l’eau de toute part. Alors que le reste à charge par patient est le plus faible au monde (7,5 % seulement), le déficit de la branche maladie devrait atteindre quasiment 16 milliards d’euros cette année. Sans aucune mesure correctrice, le gouffre se creuserait à 41 milliards d’euros en 2030 !

Un dérapage en partie lié au boom des pathologies chroniques dues au vieillissement de la population. Ainsi, les dépenses de santé prises en charge par la Sécu s’élèvent à 4 300 euros en moyenne par an entre 60 et 69 ans, puis elles montent à 5 600 euros entre 70 et 79 ans – une hausse de 30 % – et bondissent encore de 37 % entre 80 et 89 ans, pour atteindre 7 700 euros en moyenne. Or, la part du quatrième âge dans la population va encore s’accroître dans les années qui viennent. S’ajoute une envolée des affections de longue durée (ALD) qui pourraient toucher un quart de la population en 2035 et absorber les trois quarts des dépenses de la CNAM. Mais aussi un bond des arrêts de travail dont la moitié n’est pas liée à des ALD. Une explosion des pathologies de santé mentale qui ont coûté à la Sécu près de 28 milliards d’euros l’an passé. Ou encore des dépenses de médicaments qui grimpent de 4,9 % par an depuis 2020, un rythme 8 fois supérieur à celui enregistré entre 2010 et 2019…

La Sécurité sociale est à la dérive.

En face, les recettes s’étiolent, notamment celles tirées des taxes comportementales, comme celle sur le tabac. « Il nous manque quasiment 500 millions d’euros de recettes chaque année ». Les solutions pour colmater les voies d’eau ? Avec Thomas Fatôme, le directeur général de la CNAM – le duo est inséparable depuis leur rencontre au cabinet d’Edouard Philippe -, ils ont organisé sans médias ni trompettes leur propre conclave au printemps dernier. Le résultat, c’est un catalogue d’une soixantaine de propositions permettant de faire 3,9 milliards d’économies dès l’année prochaine. Surtout, les partenaires sociaux ont tous apposé leurs signatures en bas de la page. Certaines ne manqueront pas de faire débat. Comme la remise en cause, dans certaines conditions, de la prise en charge à 100 % des médicaments pour les patients souffrant d’ALD, la limitation de la durée des arrêts de travail, la baisse des tarifs des spécialistes trop gourmands ou encore la modulation des cotisations employeurs dans les entreprises où le nombre d’arrêts de travail est supérieur à la moyenne du secteur…

« C’est un rapport autoporteur qui fait système », affirme doctement la vigie de la Sécu. Comprendre, une liste de courses à l’usage du locataire de Matignon pour l’élaboration du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). François Bayrou ne s’en était guère inspiré. A Sébastien Lecornu, maintenant, de se saisir de l’objet. Un objet politique évidemment. Marguerite Cazeneuve sait toute l’étendue de ce mot. Fille du député Renaissance Jean-René Cazeneuve, ex-rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, sœur de Pierre Cazeneuve, lui aussi député, elle est la compagne d’Aurélien Rousseau, ex-ministre de la santé macroniste qui a désormais rejoint les rangs de Place Publique de Raphaël Glucksmann. Au sein de la tribu Cazeneuve, Marguerite dit se sentir « de plus en plus sociale-démocrate », tout en admettant que le contre-budget du PS et sa promesse de retour à la retraite à 62 ans sont hors sol. « La véritable aberration du système français, c’est le poids des retraites dans les dépenses publiques, au détriment des investissements d’avenir comme l’éducation ou l’écologie. Intenable. Ceux qui le peuvent doivent travailler plus longtemps, il n’y a pas d’autre solution ». Et ça, elle n’en démordra pas.



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Author : Béatrice Mathieu

Publish date : 2025-09-23 05:30:00

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