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A l’ère de l’IA, les humains sont-ils en train de désapprendre à lire ?

A l’ère de l’IA, les humains sont-ils en train de désapprendre à lire ?

Au milieu du XVIIIe siècle, un grand nombre de gens ordinaires ont commencé à lire. Un phénomène lié à l’essor de l’éducation et à l’explosion des livres bon marché. En France, le nombre de gazettes passe de moins de cinq en 1700 à 80 à la veille de la Révolution. En Grande-Bretagne, alors que 6 000 livres seulement sont publiés au cours de la première décennie du XVIIIe siècle, 56 000 le sont au cours de la dernière décennie du même siècle.

L’exercice de la lecture devient alors moins intensif. De l’étude approfondie de quelques ouvrages, il s’étend à de nouveaux formats et de nouveaux sujets. Cette ouverture a changé la façon dont les gens réfléchissaient. Le livre imprimé oblige à suivre une trame, une ligne de pensée, ce qui stimule la classification et le raisonnement.

Aujourd’hui, une angoisse se développe autour de la lecture dans sa dimension quantitative comme qualitative. Nous lisons énormément : des mails, des comptes rendus, des présentations… Mais la tertiarisation de l’activité économique oblige à distinguer la lecture dans un cadre professionnel de celle pour le plaisir.

La concurrence de l’image

En 2021, 75 % des adultes américains déclaraient avoir lu un livre au cours des 12 derniers mois, quel que soit le format, que ce soit en entier ou en partie. Dans le lot, 65 % disaient avoir lu un livre imprimé, 30 % un livre électronique et 23 % à avoir écouté un livre audio. Les Américains ont lu en moyenne 14 livres et l’Américain médian en a lu cinq sur l’année écoulée. Ces chiffres sont identiques à ceux de 2011. Rassurant, même si l’on peut soupçonner un biais à la surestimation.

Pourtant, dans les enquêtes d’emploi du temps, la lecture de loisir a été écrasée chez les jeunes par la consommation de vidéos, en tant que joueurs ou spectateurs. Même les réseaux sociaux écrits, de type microblogging, cèdent la place à des formats en images avec quelques mots seulement.

Aux Etats-Unis, un adolescent entre 15 et 19 ans lit 9 minutes par jour et passe 1 h 20 sur un ordinateur quand les plus de 75 ans lisent 46 minutes et se connectent 26 minutes par jour. Au Royaume-Uni, plus d’un tiers des adultes déclarent avoir abandonné la lecture. Un article publié dans The Atlantic cite l’expérience d’un professeur d’anglais à Columbia qui se désespère de l’incapacité de ses étudiants à lire et comprendre les classiques de la littérature.

En termes qualitatifs, la lecture ne disparaît pas complètement mais les contenus longs se raréfient. Il n’y a rien d’intrinsèquement supérieur à 100 000 mots face à 10. Mais la valeur extrinsèque d’un livre tient à l’entraînement qu’il impose. Le numérique promeut l’inverse. A l’échelle mondiale, le temps d’engagement moyen n’est que de 29 secondes par page visitée sur Internet. Et l’intelligence artificielle générative, par sa capacité à résumer les contenus, va contribuer à accélérer leur raccourcissement. Dans le sondage Reuters sur la consommation d’informations, 27 % des répondants disent vouloir que l’IA synthétise les articles, pour rendre l’info plus accessible.

Le lien entre lecture de loisir et compréhension

Les livres électroniques et les livres audios sont généralement considérés comme inférieurs à l’imprimé classique sur le plan cognitif. Une méta analyse récente explore la relation entre les habitudes de lecture numérique de loisir et la compréhension d’un texte, à travers 40 études menées entre 2000 et 2022. Aux premiers stades de la scolarité, des relations négatives sont observées entre les deux. Elles ne deviennent positives qu’aux stades ultérieurs, lycée et université.

Les pourfendeurs de la toxicité des smartphones se sont engouffrés dans la brèche, établissant un lien entre la diffusion de ces appareils, le recul de la lecture chez les jeunes et la stagnation voire le reflux du QI, qui avait augmenté de façon constante au long du XXe siècle – l’effet Flynn. Cette panique morale n’est pas sans rappeler celles qui avaient frappé le cinéma, la télévision et même les journaux, sans que les prophéties d’abêtissement de la société ne se matérialisent. Néanmoins, fin 2024, l’OCDE a publié un rapport constatant que les niveaux d’alphabétisation, même retraités des populations immigrées, étaient en baisse ou stagnaient dans la plupart des pays développés. Pour la première fois.



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Author : Robin Rivaton

Publish date : 2025-10-04 06:15:00

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