« En un an et demi, j’ai répondu à plus de 500 candidatures qui n’ont débouché que sur quatre entretiens. Les entreprises privilégient les stagiaires et les alternants. Quand j’explique que je cherche un CDD ou un CDI, on me répond que je n’ai pas assez d’expérience. C’était bien la peine de faire plus de cinq ans d’études ! », soupire Pauline*, 25 ans, titulaire d’un BTS, d’un bachelor et d’un master en commerce et marketing international. A son entrée à la Rennes School of Business, classée parmi les 15 meilleures écoles de commerce françaises, la jeune bretonne imaginait un avenir professionnel radieux. Aujourd’hui, elle travaille au service après-vente d’une société pour 1 450 euros mensuels. « Avec le remboursement du prêt que j’avais contracté pour mon école, il ne me reste pas grand-chose. Ça m’angoisse. J’ai pris quinze kilos à force de rester devant mon ordinateur à attendre des réponses qui ne viennent pas », lâche-t-elle, amère.
Les réseaux sociaux dédiés à la recherche d’emploi regorgent de ces témoignages de jeunes bardés de diplômes qui peinent à trouver un travail à hauteur de leur niveau de formation. L’une des conséquences directes de la massification scolaire. Avec plus de 90 % d’admis, le taux de réussite au bac tutoie désormais les sommets. Et en septembre dernier, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) citait la France en exemple pour son taux de poursuite d’études record : 26 % des diplômés français sont aujourd’hui titulaires d’un master (contre 20 % en 2019). Ce score est nettement supérieur à la moyenne des autres pays où ils ne sont que 16 %. Un succès en trompe-l’œil selon la sociologue Marie Duru-Bellat. « Les opportunités offertes par les entreprises ne sont pas proportionnelles à l’explosion du nombre de bac + 5 », constate l’auteure de L’inflation scolaire : les désillusions de la méritocratie (Seuil).
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2019, les postes de cadres ne représentaient que 19 % des emplois (contre 46 % pour les employés et ouvriers). « Cette inadéquation entre le niveau de diplômes et la structuration de l’économie touche 10 à 20 % d’une classe d’âge. On comprend que les concernés, victimes de cet effet mécanique, ressentent une certaine frustration », explique Antoine Foucher, ancien directeur de cabinet de la ministre du travail Muriel Pénicaud et auteur de Sortir du travail qui ne paie plus (éditions de l’Aube).
Parmi eux, on compte tous ces déçus des écoles de commerce, de marketing ou de communication de second rang, souvent très onéreuses, qui peinent à se démarquer de leurs pairs à la sortie. Pour mettre toutes les chances de leurs côtés, il leur faut multiplier les stages et expériences diverses mais aussi savoir se vendre sur les réseaux professionnels… ou prolonger encore le temps passé sur les bancs de l’école. Une stratégie pas toujours payante, met en garde Marie Duru-Bellat : « Beaucoup font l’erreur de croire que la quantité l’emporte sur la qualité. Or la longueur des études ne joue pas forcément en leur faveur ». Un CAP préparant à un métier qualifié est parfois plus payant qu’un parcours universitaire éclectique, jugé peu cohérent par les recruteurs.
Un quart des jeunes adultes français est aujourd’hui titulaire d’un master. Une proportion en forte augmentation.
Jade Milelli, 24 ans, espère décrocher un emploi d’ingénieur de recherche en biotechnologies. Mais après deux ans de recherches infructueuses, elle a dû revoir ses ambitions à la baisse. « Les recruteurs me disent souvent que, pour une offre de poste, ils reçoivent plus d’une centaine de candidatures. Les ingénieurs issus d’une école privée comme moi se retrouvent en concurrence avec les nombreux titulaires de masters », explique la jeune fille à qui certains spécialistes ont conseillé de suivre un doctorat pour maximiser ses chances. « Mais qui me dit que je trouverai plus facilement après ? », s’interroge la jeune fille qui envisage de partir tenter sa chance à l’étranger. Avant de soupirer : « Mes parents avaient placé beaucoup d’espoirs en moi qui suis la première de la famille à finir des études supérieures. Ils sont sidérés de voir qu’avec un tel bagage, je me retrouve sans rien ».
Un système à bout de souffle
Les profils scientifiques, qui ne représentent qu’un tiers des étudiants, font pourtant partie de ceux qui tirent le mieux leur épingle du jeu. Tout comme les sortants des grandes écoles dont le nombre a été multiplié par 1,5 en dix-huit ans… quand celui des diplômés universitaires de niveau bac + 5 a doublé. Les bataillons qui se tournent vers les sciences humaines et sociales (SHS) payent le prix fort de cette concurrence. Les savoirs accumulés dans ces formations ne collent pas forcément aux compétences recherchées par les entreprises. Seuls 38 % des inscrits en SHS trouveront un emploi en rapport avec leurs études. « En moyenne, ils proviennent de milieux sociaux plus modestes que les autres diplômés du supérieur. Ils rencontrent aussi davantage de difficultés à décrocher un CDI et un poste de cadre », précise le sociologue Olivier Galland, l’un des auteurs de l’enquête « Les jeunes et le travail : aspirations et désillusions des 16-30 ans », menée avec l’Institut Montaigne en 2025.
Beaucoup aspirent à travailler dans l’administration, l’enseignement, l’action sociale ou la santé. D’autres s’inscrivent en lettres, histoire, sociologie ou psychologie, avant tout par intérêt pour la discipline, sans vraiment avoir de plan de carrière en tête. C’est le cas de Clémence*, 32 ans, qui a soutenu sa thèse de doctorat de philosophie et littérature en 2021. « Jusque-là, mes études étaient une source d’épanouissement intellectuel avant tout. Mais à un moment donné il a bien fallu que je m’interroge sur les débouchés possibles », raconte-t-elle. Après avoir enchaîné les contrats de vacataire à l’université, les opportunités se raréfient. « En philosophie, on compte seulement une dizaine de postes par an à pourvoir sur toute la France. Ce qui laisse peu d’espoir de trouver », explique celle qui vient de monter son autoentreprise pour animer des « ateliers philo », espérant en vivre un jour.
Après sa licence de sociologie, Lila Nantara a rejoint l’Ecole des hautes études en sciences sociales où elle a obtenu un master « Territoires et développement ». Un cursus très « scolaire » et assez déconnecté du monde du travail, reconnaît la jeune femme. « Heureusement, j’ai pu développer d’autres compétences grâce à mes activités associatives menées en parallèle, à mon engagement dans des think tanks de jeunesse ou à un stage dans un cabinet ministériel », énumère-t-elle. Aujourd’hui, Lila travaille pour une association qui lutte contre les inégalités éducatives et sociales. « Un emploi certes accessible à des personnes moins capées que moi. Mais ma situation financière ne me permettait plus d’enchaîner les stages non rémunérés en attendant de décrocher le job idéal », reconnaît celle qui se voyait plutôt travailler en entreprise, dans le secteur de la politique ou du conseil.
Beaucoup d’étudiants s’inscrivent à la fac par défaut, espérant gagner du temps pour essayer de mieux se connaître et trouver leur voie. « Il est normal de ne pas forcément savoir ce qu’on veut faire de sa vie entre 18 et 25 ans, reconnaît Antoine Foucher. Mais, plutôt que continuer à alimenter ces filières qui jouent un rôle occupationnel, il faudrait revoir totalement ce système à bout de souffle : en mettant plutôt l’accent sur les expériences professionnelles, en multipliant les passerelles dans le supérieur ou en misant sur la formation continue », insiste-t-il.
« Perles rares »
Rares sont les responsables politiques à s’emparer de ce sujet tabou. Revoir le nombre de places ou fermer certaines formations entraînerait une levée de boucliers du monde enseignant. Autre mesure à prendre, et sur laquelle presque tout le monde s’accorde : une plus grande transparence sur la valeur des différentes formations sur le marché du travail. Connaître le taux d’emploi ou le montant de la rémunération à la sortie permettrait à toutes les familles – et plus uniquement à certains cercles privilégiés – de faire leurs choix en connaissance de cause.
« Les universités n’ont ni le temps, ni les moyens de réaliser de telles enquêtes. Il faut reconnaître que ce flou en arrange plus d’un », avance Patrick Morvan, professeur à l’université Panthéon-Assas et codirecteur d’un master 2 de criminologie. « Même si ce n’est pas prouvé, il est fort probable que, leur diplôme en poche, certains jeunes se détournent de la carrière juridique qu’ils visaient initialement pour faire tout autre chose », explique-t-il. Et pour cause. Là encore, beaucoup se heurtent à la réalité du marché. « Un master 2 en Droits de l’Homme attire énormément de candidats qui se voient déjà travailler pour des organisations internationales ou des associations humanitaires. En réalité, ces dernières ne recrutent que très peu de juristes », explique le professeur. De même, les cohortes d’étudiants qui se tournent vers un master de droit du sport risquent aussi de déchanter puisque les avocats spécialisés dans ce domaine sont peu nombreux.
Et que dire des filières de niche comme ce master Droit de la vigne et du vin proposé par l’université de Bordeaux ? « Il est fort probable qu’un château viticole aura plus besoin de spécialistes en droit fiscal ou en droit du travail pour les salariés », estime Patrick Morvan. A l’inverse, il y a aussi ces « perles rares » peu connues et pourtant pourvoyeuses d’emplois. « Il y a quelques années, l’une de mes collègues de l’Université Panthéon-Sorbonne, spécialisée en Droit de l’agriculture m’avait avoué avoir du mal à remplir son amphi. Pourtant tous les sortants de sa promotion décrochaient des contrats d’alternance immédiatement, preuve de la vitalité de ce secteur », se souvient-il. Les diplômés de masters Parcours défense et dynamiques industrielles, ou encore les spécialistes de droit de la conformité sont eux très prisés des grandes entreprises. « Ces parcours me semblent préférables à ceux de ces avocats très généralistes qui, après s’être épuisés à jongler avec le droit pénal ou le droit de la famille, très peu rémunérateurs, finiront par jeter l’éponge », prévient encore Patrick Morvan.
Mélissa Serrano, 30 ans, a mis du temps à trouver sa voie : après avoir passé le Capes pour devenir professeure de français, la jeune fille s’est tournée vers le droit dans l’espoir de devenir avocate, avant de bifurquer encore en décrochant un master puis un MBA : « Je me suis découvert une passion pour la communication, le marketing et l’influence quand j’étais à l’Efap, école à 8 000 euros l’année. Le problème est que tout le monde veut faire ça et le milieu est archi-bouché, contrairement à ce qu’on m’a longtemps laissé croire ». Après avoir enchaîné les contrats précaires dans la production audiovisuelle, la jeune femme se lance un peu par hasard dans l’hôtellerie en avril 2025. Elle est aujourd’hui responsable adjointe d’un hôtel parisien où elle se sent « enfin à sa place ».
« Ça sert à quoi d’avoir un CV de dix pages ? »
Les parcours d’études sont beaucoup plus sinueux qu’autrefois. Les diplômes ne suffisent plus forcément pour faire la différence, même s’ils restent indispensables pour réussir à passer le sas d’entrée. « Les entreprises se basent là-dessus pour opérer un premier tri de niveau, avant de s’attarder sur les compétences des candidats. Notamment sur leurs capacités humaines et comportementales communément appelées ‘soft skills' », explique le sociologue François Dubet, coauteur avec Marie Duru-Bellat de L’école peut-elle sauver la démocratie ? (Seuil).
Un chemin de croix très mal vécu par ceux qui restent au bord de la route. Valentine*, titulaire d’un master 2 d’anthropologie culturelle, fait partie de ces nombreux « intellos précaires ». « Au cours de mon parcours de chercheuse universitaire, j’ai mené des enquêtes de terrain, rédigé des articles scientifiques, organisé des congrès, piloté des numéros de revues universitaires, enseigné en tant que vacataire… Autant d’atouts qui ne sont absolument pas valorisés », énumère la jeune femme. A 39 ans, celle-ci vend des fruits et légumes en tentant de lancer une activité de conseil à côté. « Ça sert à quoi d’avoir un CV de dix pages si on ne trouve pas de boulot après ? Il y a de quoi se sentir méprisé et perdre l’estime de soi ! », lance-t-elle.
Les fractures scolaires se reflètent aussi dans les urnes. « Les non-diplômés, qui ont le sentiment d’avoir été humiliés par l’école vont avoir tendance à se tourner vers le Rassemblement national. Tandis que cette autre frange de la population qui, elle, semblait avoir remporté la bataille scolaire mais n’a finalement pas trouvé sa place sur le marché du travail, aura plutôt tendance à fournir les rangs de La France insoumise », décrit Olivier Galland. Pour ces derniers, ce sentiment d’être laissés-pour-compte n’explique pas tout. « Le fait qu’ils se rallient à l’extrême gauche peut aussi correspondre à leur fibre contestataire initiale. Ce n’est pas forcément un hasard si beaucoup sont diplômés en sciences humaines et sociales. Ces études vont les aider à s’armer intellectuellement pour alimenter cette posture critique », analyse Olivier Galland.
Un autre phénomène explique le sentiment de déclassement ressenti, cette fois, par la quasi-totalité de cette génération, y compris par les titulaires des diplômes les plus recherchés par les recruteurs : le travail ne paye plus, au sens où il ne permet plus d’améliorer son niveau de vie. « En début de carrière, leur salaire aura beau progresser, il n’augmentera pas tellement plus vite que l’inflation. D’où cette impression de stagner », remarque Antoine Foucher. C’est ainsi que bon nombre de jeunes doivent aujourd’hui faire une croix sur l’accès à la propriété. Contrairement à leurs parents qui, avec un niveau d’étude équivalent ou moindre, avaient pu y prétendre au même âge.
Ce constat de déclassement, dressé par les victimes de cette course aux diplômes, ne risque-t-il pas de nourrir un éventuel conflit de générations ? « Certes, ces jeunes ont des raisons d’être en colère face à la trahison de cette double promesse républicaine : ‘si tu travailles bien à l’école, tu auras et bon boulot et tu gagneras bien ta vie’. Mais la responsabilité est collective et ne porte pas sur une seule classe d’âge », répond Antoine Foucher. Beaucoup de vingtenaires bénéficient aussi de l’aide de leurs aînés. Le fait qu’ils profitent de cette redistribution financière informelle contribue à la mise en sourdine de cette colère. Et Pauline de reconnaître : « Mes parents ont fait des sacrifices pour que je puisse faire des études. Aujourd’hui, ils m’hébergent en attendant que trouve l’emploi auquel j’aspire. Pour combien de temps, je ne sais pas ».
*Le prénom a été changé
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/education/on-mavait-dit-que-mon-bac5-mouvrirait-toutes-les-portes-ces-multi-diplomes-qui-galerent-3TZF7N4WEJCK7F72SBTWMOK2MM/
Author : Amandine Hirou
Publish date : 2025-10-22 16:00:00
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