Choose France for Science devait être la réponse française à l’exode des cerveaux fuyant les pays où la science est menacée. Lancée en grande pompe par Emmanuel Macron en avril 2025, cette plateforme dotée de 100 millions d’euros promettait de faire de la France « un refuge pour la liberté académique », alors que cette dernière est menacée partout dans le monde, notamment aux États-Unis depuis l’élection de Donald Trump.
Six mois plus tard, le bilan est contrasté. Le cahier des charges de Choose France for Science, qui définit les règles du jeu, n’a été publié que le 7 septembre dernier : cinq mois après le lancement officiel. Entre-temps, chercheurs et institutions ont navigué à vue dans un système complexe. Certains scientifiques décrivent un véritable parcours du combattant pour recruter des candidats.
L’Agence nationale de la recherche (ANR), qui pilote Choose France for science pour le compte de l’Etat, reconnaît quelques lenteurs au démarrage. Mais elle défend un processus désormais « agile » et efficace. Lors de la conférence de lancement de Choose Europe for science, donnée par Emmanuel Macron le 5 mai à la Sorbonne, la plateforme avait enregistré 30 000 connexions dont un tiers depuis les États-Unis. Mais à ce jour, seuls 90 dossiers ont été déposés, selon l’ANR. Le nombre de recrutements effectifs, lui, n’est pas encore connu. L’annonce devrait être faite par le Premier ministre Sébastien Lecornu.
Le modèle britannique en exemple
« Il y a un problème purement administratif avec Choose France », déplore un directeur d’un institut scientifique, qui préfère rester anonyme. Selon lui, certains dossiers déposés en juin dernier sont toujours en attente de validation. « Au Royaume-Uni, le programme permet de recruter bien plus rapidement : chaque institut reçoit directement de l’argent de l’Etat et ensuite ils se débrouillent, poursuit-il. Chez nous, cela met cinq mois à cause du millefeuille administratif ».
Doté de 54 millions de livres sur cinq ans (60 millions d’euros environ), le Global Talent Fund, équivalent britannique de Choose France for science, a été lancé en juin 2025. Douze universités et instituts britanniques ont été sélectionnés et sont « responsables d’identifier et de recruter les chercheurs selon leurs propres forces organisationnelles et besoins ». En clair : l’État donne l’argent, les institutions recrutent en autonomie. Pas de validation gouvernementale finale, pas de processus national unifié. Un choix aux antipodes du modèle français.
Un parcours en cinq étapes
Car Choose France for Science repose sur un processus centralisé qui se déroule en – au moins – cinq étapes. « Le processus de sélection des candidats débute par la constitution d’un couple candidat-institution d’accueil », explique l’ANR. Le chercheur exerçant son activité à l’étranger doit d’abord identifier une institution d’accueil en France pour y mener un projet de recherche d’envergure. S’il n’a pas de contact dans l’Hexagone, il peut se rendre sur le site de Choose France for Science et proposer une « candidature orpheline » en contactant l’une des sept agences de programme thématiques – santé, climat, numérique et IA, etc. – qui mettent en lien les candidats avec les institutions d’accueil.
Une fois celle-ci identifiée, le candidat remplit sur la plateforme Choose France for Science un dossier de cinq ou six pages que l’ANR qualifie de « simplifié », comprenant notamment le CV du candidat, la description succincte du projet et une présentation de son coût. L’institution qui l’accueille doit s’engager à financer 50 % du projet, l’Etat apportant l’autre moitié, qui peut aller jusqu’à 2,5 millions d’euros.
« Cette première étape est déjà très compliquée, déplore le directeur. Vous imaginez un chercheur qui ne connaît pas la France, qui doit trouver une institution qui, elle, doit s’engager à débloquer 50 % du financement sans savoir si le candidat sera pris ? ». D’autant que les budgets des grands organismes de recherche en France sont non seulement restreints, mais souffrent eux aussi de lourdeurs administratives.
Une fois le dossier remplit, l’ANR vérifie sa recevabilité. « Contrairement aux appels à projets classiques avec des dates de dépôt fixes, ces demandes d’aide sont traitées au fil de l’eau, ce qui permet une certaine agilité », affirme l’ANR. Quelques jours plus tard, le dossier est transmis à l’une des sept agences concernées qui valide l’intérêt scientifique de la candidature.
La double évaluation des experts
Le processus est encore loin d’être terminé. Lorsqu’une agence valide un dossier, elle doit enclencher la phase d’évaluation scientifique et sollicite, d’abord, deux experts externes – des scientifiques de haut niveau -, afin d’examiner la candidature. Ces derniers apportent une évaluation portant notamment sur la capacité du candidat à mener le projet. Puis ils transmettent leur première évaluation à un autre jury, collégial, qui lance… une deuxième évaluation visant à valider définitivement le dossier sur le plan scientifique.
Une disposition qui a largement contribué à ralentir le projet Choose France, selon un responsable d’un institut de recherche : « Il a fallu trouver des experts indépendants pour chaque agence, ce qui a pris des mois », témoigne-t-il. Le Pr Alain Puisieux, président du Directoire de l’Institut Curie et expert évaluateur des dossiers dans le champ de la santé, dresse un tableau différent : « Les candidatures obtiennent une réponse dans les deux mois. Je n’ai pas vu de dossier qui est resté sur le carreau du côté de l’agence pour la santé. » Il revendique même la qualité du processus : « Je trouve que Choose France for Science est flexible et agile ».
La validation politique finale
Une fois l’évaluation scientifique bouclée, ce n’est toujours pas terminé. La candidature doit franchir l’étape de la validation politique. Cette fois, c’est le bureau du Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CERI) qui doit l’analyser. Puis il soumet son analyse au Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), qui autorise définitivement le financement sous l’autorité du Premier ministre.
Si le projet a indéniablement connu des lenteurs lors des premiers mois, quand les scientifiques ne savaient pas forcément où chercher et que les institutions n’étaient pas encore organisées – la publication tardive du cahier des charges le 7 septembre n’ayant pas aidé – l’ANR assure que le processus est désormais fluide. « Une candidature retenue devrait recevoir une réponse dans un délai de deux à deux mois et demi, sous réserve des délais de validation de l’Etat », indique-t-elle. L’ANR rappelle, aussi, qu’elle a créé et mis en place la plateforme de dépôt des candidatures, en français et en anglais, quelques jours seulement après l’annonce d’Emmanuel Macron, et a « proposé des outils pour accompagner les candidats et mis en place une équipe dédiée pour les orienter ».
Le système, bien que complexe, est assumé. « Il permet de privilégier une évaluation indépendante, réalisée par les pairs, rigoureuse et contrôlée et au meilleur standard international », argumente l’ANR. Au détriment de l’autonomie et de la rapidité ? « Cette complexité me choquerait si on observait d’énormes ralentissements, or ce n’est pas le cas », assure Alain Puisieux.
La France est-elle attractive ?
Pour le chercheur, ce débat sur la complexité administrative masque la vraie question : l’attractivité de la France pour les scientifiques. Il pointe du doigt le budget recherche français, bloqué à 2,3 % du PIB alors qu’il devrait atteindre 3 %, les trop faibles salaires des chercheurs et le manque d’investissement structurel. « Si on attaque l’initiative Choose for France, on se trompe de sujet », estime-t-il. Des problèmes structurels que les 100 millions d’euros alloués ne régleront sans doute pas.
« C’est dans l’aspect budgétaire que se situe la plus grosse entourloupe selon nous : vous avez d’un côté une baisse cumulée des crédits pour la recherche publique d’environ un milliard d’euros entre 2024 et 2025, et de l’autre, une annonce pour « débloquer » 100 millions d’euros : le compte n’y est pas », dénonçait auprès de L’Express le mouvement Stand Up For Science, quelques jours après l’annonce d’Emmanuel Macron.
Pour Alain Puisieux, cette initiative porte néanmoins un message symbolique fort. « Il est important d’avoir un programme national soutenu par le Président de la République, surtout dans un contexte aussi grave pour la liberté académique, défend-il. Si chacun avait travaillé de son côté, ça n’aurait pas eu la même portée, on n’en aurait pas parlé au niveau international ».
Selon l’Academic Freedom Index, qui mesure la liberté académique dans 179 pays, environ 62 % de la population mondiale (4 milliards de personnes) vivait dans des contextes de liberté académique bien protégée en 2006. Aujourd’hui, ce n’est plus que 35 % (2,8 milliards). « Il s’agit d’un changement majeur très inquiétant », s’alarme le scientifique. Ce qui justifie sans doute plus qu’un message symbolique.
Source link : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/choose-france-for-science-lambition-demmanuel-macron-se-heurte-au-mur-de-la-bureaucratie-BANZ3OMO6BA3XAFRU5O5P52T4Y/
Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-10-29 19:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
