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Les « étatistes-nationaux », cet électorat anti-immigrés qui toque à la porte de la gauche

Les « étatistes-nationaux », cet électorat anti-immigrés qui toque à la porte de la gauche

Octobre 2024. Les sociaux-démocrates du globe sont réunis à Berlin, à l’invitation de la fondation Friedrich-Ebert. Le ciel est maussade. Aux dernières élections européennes, la famille politique est en léger recul tandis que les États du continent gouvernés par la gauche se comptent sur les doigts d’une main. Il est alors question d’élaborer des doctrines en commun pour contrer l’extrême droite. Mais un sujet divise : l’immigration. Certains dans l’assemblée défendent « au mieux l’immigration choisie, au pire un arrêt net des flux migratoires », se remémore Saïd Benmouffok, le leader parisien de Place publique. Le Français revient « sidéré », conscient que la « lame de fond identitaire continentale » infuse à gauche.

En France, des électorats socialistes aux insoumis, « la question migratoire fait maintenant clivage », assure la directrice de recherche au Cevipof Anne Muxel. Ainsi, les électorats de gauche et de gauche radicale contiennent respectivement 17 % et 15 % d' »étatistes-nationaux » – « favorables au rôle économique et social de l’Etat, mais peu convaincus des vertus supposées de l’immigration ». C’est ce que démontre l’article d’Anne Muxel et de Kévin Arceneaux, « Fractures françaises » : un espace politique français bien plus divers que le clivage gauche-droite, publié dans Le Monde. Cette proportion minoritaire « montre tout de même une tendance », « un hiatus entre les attentes d’une partie l’électorat de gauche en matière d’immigration et la moindre prise en compte de cet enjeu par les appareils politiques », analyse la sociologue.

Longtemps, la question a tiraillé les gauches. « C’est l’histoire d’un dilemme électoral entre les valeurs libérales des classes moyennes, favorables aux immigrés, et le conservatisme et l’hostilité faussement supposée des classes populaires », résume le politologue Pierre-Nicolas Baudot, spécialiste du « PS et la politisation de la question immigrée ». Années 2000, les roses sont marquées en vingt ans par la popularisation de ce sujet. « Mélenchon, Hamon, Delanoë, Valls, le parti contient toutes les nuances en termes de libéralisme économique et culturel, poursuit le chercheur. L’idée que l’intégration est une question économique est le point de consensus. » Jean Jaurès n’avait-il pas affirmé qu’il « n’y a pas de plus grave problème que celui de la main-d’œuvre étrangère ? » Les communistes aussi sont parfois traversés par le débat, en témoignent les positions de Georges Marchais en 1981 (« Il faut stopper l’immigration ») ou « l’affaire du Bulldozer de Vitry ». « Les débats à l’intérieur du parti n’ont jamais conduit à un changement de ligne politique de solidarité avec les migrants », précise Roger Martelli, historien du PCF.

Une figure de gauche radicale allemande hostile à l’immigration

La récente tendance européenne n’a pas trouvé son offre en France. « Elle existe en filigrane », assure Martelli. « On m’a conseillé de suivre l’exemple de Sahra Wagenknecht mais je ne l’ai pas fait », a glissé un jour Philippe Brun, jeune député PS de l’Eure, poulain d’Arnaud Montebourg. La figure de gauche radicale allemande, hostile à l’immigration, a failli en inspirer beaucoup, dont Jean-Luc Mélenchon. « C’est lui qui l’encourage à créer son mouvement, Aufstehen (NDLR : ancêtre du BSW) », rappelle son ancien conseiller Georges Kuzmanovic. Quand l’insoumis a préféré briguer le leadership à gauche au détriment de positions « sociales-patriotes », Kuzmanovic s’en est allé fonder République Souveraine, un petit parti tenant, entre autres, d’une régulation de l’immigration. D’autres se contentent d’appels du pied : « Certains présentent les questions dites ‘de société’ comme secondaires, mais jouent aussi sur un certain nationalisme supposément populaire concernant l’immigration, comme Fabien Roussel. C’est ainsi qu’il fallait aussi lire l’affrontement Mélenchon-Ruffin », analyse Baudot. À l’Assemblée nationale, les « étatiste-nationaux » revendiqués sont peu nombreux. « Ça fait bien longtemps que je me sens seul ! », ironise le député GDR Emmanuel Maurel.

La gauche intellectuelle, elle, a pris la question à bras-le-corps. Dans un rapport publié en juin 2025 par la Fondation Jean Jaurès, intitulé « La troisième gauche », les experts prennent le contre-pied du fameux rapport Terra Nova de 2011. Désormais, les Danois, Suédois et Britanniques deviennent autant d’exemples à suivre pour reconquérir les classes populaires. Du journal.info de Laurent Joffrin, à Franc-Tireur, en passant par Marianne, le rapport est accueilli avec bienveillance par une partie de la presse. « Les auteurs proposent d’aligner la gauche sur la défense de l’État providence, sur l’intégration des travailleurs et donc la régulation des flux migratoires » […] Aussi choquant que cela puisse paraître, cette proposition s’apparente à la préférence nationale », réagit la revue Regards. Gauches irréconciliables 2.0.



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Author : Mattias Corrasco

Publish date : 2025-10-30 06:30:00

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