La France traverse une crise de ses finances publiques sans précédent, avec une dette qui dépasse les 3 400 milliards d’euros et un déficit dont l’échéance de résorption reste indéterminée. Cette crise de nature financière cache trois déséquilibres de fond. Le premier déséquilibre est celui de l’écart entre nos ambitions de dépense et notre capacité à les financer.
Nous dépenserons cette année plus de 160 milliards d’euros de plus que ce que les administrations publiques collectent. En 150 ans, nous n’avons été en excédent qu’une année sur cinq. Nous en sommes au point où de nombreux experts français diffusent l’idée qu’il n’est pas possible de réduire les dépenses. Pourtant la France est le seul des dix plus grands pays d’Europe à n’avoir jamais réduit ses dépenses publiques de plus de 2,3 % d’une année sur l’autre depuis 45 ans (la Suède, l’Allemagne ou les Pays-Bas ont fait deux fois mieux).
Le deuxième déséquilibre concerne l’équité intergénérationnelle : les moyens bénéficiant aux plus de 50 ans augmentent toujours plus vite que la richesse nationale, alors que ceux destinés aux jeunes sont des variables d’ajustement. Nos dépenses en pourcentage du PIB étant désormais au plafond, l’augmentation des dépenses de retraite, de dépendance ou de santé des seniors grignote progressivement les ressources disponibles pour l’éducation, l’insertion professionnelle des jeunes ou la recherche. Si gouverner c’est choisir, ne pas choisir quand les ressources sont limitées c’est laisser l’arithmétique imposer ses choix.
Le troisième déséquilibre est celui qui sépare la parole des actes. Nous promettons à nos concitoyens et à nos partenaires européens des trajectoires de retour à l’équilibre jamais tenues. Nous présentons des lois de programmation pluriannuelles qui sont régulièrement réajustées. Nous pilotons mal l’impact des politiques publiques et ignorons le coût croissant de la complexité administrative, au point que la taille des codes croît deux à cinq fois plus vite que la richesse par habitant.
Ces déséquilibres sont préoccupants, mais ils masquent une réalité silencieuse qui l’est tout autant : la raison d’être des services publics – mettre en commun des moyens pour fournir des services collectifs qui valent plus que ce qu’ils coûtent – s’érode dangereusement. Dans l’ensemble, nos services publics ne vivent pas dans l’opulence – c’est plutôt l’inverse. Mais leur qualité se dégrade fortement, à une vitesse parfois plus rapide que la vitesse de réduction de leur coût. Notre système éducatif voit ses résultats chuter dans le classement international Pisa. Notre système de santé souffre de déserts médicaux grandissants et d’urgences saturées. Notre justice est l’une des plus lentes d’Europe.
L’Observatoire du Long Terme, dans son dernier rapport « Sauver le service public de la dérosion », a étudié cette dilution de moyens publics pourtant en croissance, parallèlement à l’érosion de la qualité des services. Le rapport identifie plusieurs causes à cette érosion : un pilotage centré sur les dépenses budgétaires mais très incomplet sur l’évaluation de l’impact des politiques publiques, une gouvernance fragmentée et court-termiste. Il note aussi un manque d’autonomie des agents publics qui va à l’inverse de toutes les études sur le management de la performance. L’allocation de nos moyens ignore le coût d’opportunité des fonds publics : des dépenses peu utiles tolérées à un endroit viennent, du fait du plafond global de dépenses, réduire les moyens de services essentiels ailleurs, par exemple en matière de prévention des cancers.
Ce diagnostic appelle une refonte profonde de nos méthodes d’allocation des moyens publics et de pilotage de leur impact. En effet, s’il est nécessaire de résoudre nos déséquilibres budgétaires, il est encore plus urgent d’assurer que l’emploi qui est fait de ces moyens soit le plus efficace possible. Nous devons aussi assurer plus de continuité sur les grands enjeux publics, comme le COR a permis de le faire sur les retraites. Il est également important de veiller à ce que les réductions budgétaires à venir ne mettent pas en péril les politiques publiques les plus utiles à la majorité de nos concitoyens. Or ce n’est pas la voie que nous prenons depuis que la contrainte financière s’est renforcée, au début des années 2000. Il n’y a pourtant aucune fatalité à cela, pour peu que nous prêtions à l’impact de nos politiques publiques une attention au moins aussi importante que celle que nous portons à leur coût. Car si la question des déficits est importante, celle de l’emploi que nous faisons de ces moyens l’est tout autant.
*Vincent Champain est dirigeant d’entreprise et président de l’Observatoire du Long Terme, un think tank dédié à la prospective économique.
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Publish date : 2025-11-18 11:30:00
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