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« Soit l’Europe avance ensemble, soit elle coule » : à Strasbourg, L’Express veut réveiller le Vieux Continent

« Soit l’Europe avance ensemble, soit elle coule » : à Strasbourg, L’Express veut réveiller le Vieux Continent


Strasbourg, sans doute la seule ville de France où la gare vous accueille sur l’air de l’Ode à la joie, l’hymne européen signé Beethoven. Ce 24 novembre, L’Express a investi la « capitale de l’Europe » pour un colloque exceptionnel consacré à l’avenir de notre continent et à ses défis, réunissant des personnalités de premier plan dans tous les domaines.

Devant nos lecteurs strasbourgeois, ces voix européennes ont sonné l’alerte face aux menaces extérieures, alors qu’à Genève nos diplomates tentent de sauver l’Ukraine des méandres du plan Trump. Elles nous ont aussi fourni de nombreux motifs d’espoir, soulignant les réelles forces qui font avancer notre continent. « Ecouter de tels intervenants, c’est comme déguster de la mousseline, à la fois léger et très nourrissant », nous confieront des lecteurs ravis à la fin de l’événement.

Giuliano da Empoli et Ursula von der Leyen, « Première ministre du Luxembourg »

Pour ouvrir notre colloque Ici c’est l’Europe, L’Express a fait appel à l’écrivain préféré de nos dirigeants, celui dont les livres s’empilent sur les tables de chevet d’Emmanuel Macron ou de Mette Frederiksen. Lui-même se définit comme « moitié suisse, moitié italien et moitié français » : à l’évidence, Giuliano da Empoli maîtrise davantage les coulisses du pouvoir que les mathématiques. Sur scène, l’auteur du Mage du Kremlin (800 000 exemplaires vendus chez Gallimard) observe avec son œil malicieux l’état d’esprit des Européens depuis un an : « le second mandat de Donald Trump nous fait passer du scandale à la sidération. Au début, la logique du scandale impliquait le fait qu’il s’agissait d’une exception, de quelque chose d’inouï. Avec le second Trump, nous sommes tous hypnotisés, dans une logique de sidération constante. »

Pas question, toutefois, pour l’ancien conseiller de Matteo Renzi de se satisfaire de cet état de choc permanent. Dans son dernier essai, L’heure des prédateurs (Gallimard, avril 2025), Giuliano da Empoli décrypte ces nouveaux jeux de puissances, dont l’Europe semble spectatrice. « L’administration américaine est dans une logique de confrontation, nous sommes dans une posture de soumission politique », regrette l’auteur, taclant au la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, « qui se comporte comme si elle était la Première ministre du Luxembourg »… Sa déférence envers Donald Trump l’été dernier en Ecosse, pour signer un accord commercial humiliant pour l’Europe sur un terrain de golf, ne passe pas auprès de Giuliano da Empoli : « Je n’ai rien contre ce pays, mais quel est l’intérêt d’être ensemble, à Vingt-Sept, si c’est pour avoir le poids international du Luxembourg ? »

Sur scène, Andrius Kubilius n’en dira pas autant de la présidente de la Commission européenne. Il faut dire que l’ancien Premier ministre de Lituanie siège désormais à sa table, en tant que commissaire européen à la Défense, poste de première ligne s’il en est. Face aux lecteurs de L’Express, il reconnaît toutefois sa « fatigue » de constater que le rôle des Européens se réduit à discuter en permanence des plans de Donald Trump pour l’Ukraine, comme ces derniers jours… « Les Américains présentent leurs plans, puis nous les corrigeons, résume Andrius Kubilius. Il serait beaucoup plus intéressant que nous élaborions, nous Européens, un plan de paix pour l’Ukraine, puisque nous connaissons ce sujet, que nous pouvons développer ce plan avec les Ukrainiens, puis en discuter avec nos partenaires, Washington entre autres, pour aboutir à un plan final. La paix en Ukraine est absolument nécessaire et doit arriver sans encourir des agressions futures contre l’Ukraine ou contre l’Europe. »

En coulisses aussi, on discute de l’impuissance européenne face aux ogres Donald Trump, Xi Jinping et Vladimir Poutine. L’entrepreneur et essayiste français Mathieu Laine débat avec le patron des patrons polonais, Maciej Witucki, autour d’un café. « L’Europe est née d’un printemps de la liberté au sortir de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes à la fin de l’été de la liberté et nous rentrons dans l’automne de la liberté, qui est le temps des hommes forts », constate le Français, fondateur du cabinet de conseil Altermind. Pas de quoi décourager son interlocuteur polonais : « ce sentiment d’urgent qui augmente partout en Europe est positif, les actions de Trump ou de la Chine peuvent nous rendre plus forts, à condition de rester ouverts », martèle Maciej Witucki.

Sarah Knafo, Nathalie Loiseau et les « crêpages de chignon »

Alors que, sur scène, Antoine Monin raconte le succès mondial de Spotify, plateforme musicale basée à Stockholm qui atteint 713 millions d’auditeurs dans le monde, deux députées européennes se préparent en loges à un débat bien plus corrosif : Nathalie Loiseau, membre du parti Horizons d’Édouard Philippe, et Sarah Knafo, du parti Reconquête d’Éric Zemmour. Deux visions de l’Europe, deux visions de la souveraineté. Une même envie d’échanger, grâce à L’Express. « Ce qui est un drame, c’est de ne parler qu’avec ceux avec lesquels on est d’accord, nous glisse Nathalie Loiseau, qui préside la commission spéciale sur le bouclier européen de la démocratie. La démocratie, c’est être capable de débattre, d’écouter et de répondre à des avis différents. Sarah Knafo a été élue, comme moi. »

Même verdict dans le camp d’en face. « Nous n’avons pas les mêmes idées, mais on se parle et c’est déjà énorme », sourit Sarah Knafo, entourée par deux photographes de son équipe. La jeune eurodéputée se définit comme patriote, partisane de « l’Europe des nations », mais opposée au « Frexit », une sortie de la France de l’Union européenne. Elle était à l’inauguration de Donald Trump en janvier et lui reconnaît le mérite de nous avoir « sortis de notre torpeur face aux Etats-Unis, mais l’Europe reste endormie face à la Chine ». Lorsque nous l’interrogeons, l’eurodéputée Reconquête va plus loin : « Est-ce que je considère Trump comme un allié ? Non, je le considère comme un laboratoire. Je vois un mouvement et des aspirations communes qui l’ont porté au pouvoir et qui j’espère nous porterons demain au pouvoir : il est sorti de l’aspect nostalgique et décliniste pour se concentrer sur des aspects plus ambitieux, pro-technologie, pro-innovation, notamment avec le ralliement de Peter Thiel. » Comme l’esquisse d’un mouvement Maga à l’européenne.

Sur scène, le débat entre les deux eurodéputées sera tendu, malgré les bonnes intentions. Sarah Knafo revendique d’entrer « dans une logique d’intérêt national » où chaque pays européen devrait choisir les projets sur lesquels avancer et avec qui. « Je suis heureuse de voir que Sarah Knafo découvre l’Europe, comme Tintin découvrait l’Amérique », réplique Nathalie Loiseau, assurant que « le fait de travailler en groupes de pays plus déterminés que les autres, c’est à peu près aussi vieux que l’Europe et c’est ce qui fait que l’on a créé [l’espace] Schengen, que l’on a créé l’euro. »

A la sortie du débat, une vingtaine de soutiens de Sarah Knafo se bousculent pour prendre un selfie avec le bras droit d’Éric Zemmour, partageant souvent un discours radical sur l’immigration et « la fin du christianisme ».

Une superpuissance économique qui s’ignore

Pour cet événement, L’Express voulait aussi souligner la réelle puissance de notre continent, trop souvent cachée derrière les discours défaitistes. « Avez-vous déjà entendu un leader américain, chinois ou indien dire : nous sommes en retard, il n’y a pas de capital, nous n’avons pas d’idées, c’est impossible de faire des affaires chez nous…, souligne Anna Stellinger, directrice générale adjointe de la Confédération des entreprises suédoises. Il nous faut du courage, des tripes. »

Sur scène, le 24 novembre, lors du colloque Europe de L’Express : notre journaliste Béatrice Mathieu ; Enrique Martinez, CEO de Fnac Darty ; Anna Stellinger, directrice générale adjointe de la Confédération des entreprises suédoises et Maciej Witucki, président de la confédération Lewiatan.

« Le seul espoir des Européens, c’est l’Europe, renchérit Maciej Witucki, le président de l’équivalent du Medef polonais. Il n’y a pas un pays européen qui peut, seul, faire face à des puissances globales. Les prévisions indiquaient que l’Allemagne aurait un PIB inférieur à l’Inde dans deux ans, elles ont déjà été rattrapées en réalité. Il n’y a pas l’Europe de l’Est et l’Europe du Nord, il y a une Europe, et soit elle avance ensemble, soit elle coule ensemble. »

C’est aussi la conclusion du rapport remis par Mario Draghi à la Commission européenne, en septembre 2024, véritable baromètre des défis européens. « Mais ce rapport est très, très noir, relativise Anna Stellinger dans un français parfait. D’après ce rapport, l’Europe aurait même à craindre pour sa propre existence… Dans de nombreux pays européens, notamment les pays nordiques, nous avons du mal à nous retrouver dans cette image-là : nous n’avons quasiment pas de dette publique, nous avons des marchés des capitaux qui fonctionnent, il y a du capital, et nous sommes systématiquement placés parmi les pays les plus innovants au monde ! »

L’entrepreneuse suédoise, très applaudie par le public de L’Express, poursuit : « Là où Mario Draghi a raison, c’est qu’il manque du capital en Europe, du capital-risque, de l’investissement et là, la comparaison avec les Etats-Unis devient très pertinente. Vous savez que, en 2023, nous avions à peu près 2,3 billions d’euros [2 300 milliards d’euros] d’actifs dans des fonds de pension en Europe ? C’est une somme considérable, mais cette somme n’est pas investie, ou très peu. Si on mettait cet argent de manière durable et flexible dans nos économies, on aurait un coût d’investissement absolument gigantesque. »

Prenons de la hauteur !

Pour son colloque européen, L’Express a, comme à son habitude, aussi pris de la hauteur. Avec Hélène Huby déjà, fondatrice de The Exploration Company et concurrente du SpaceX d’Elon Musk. En visio depuis Brême, en Allemagne, avec derrière elle une capsule prototype que son entreprise franco-allemande a envoyée dans l’espace en juin dernier. « Notre vision est de maîtriser l’ensemble de la chaîne du transport spatial, fusées, capsules et véhicules lunaires, y compris les lanceurs, détaille Hélène Huby. L’avantage d’une capsule, d’abord, c’est que l’Europe n’en a pas : nous apportons à l’Europe une technologie nouvelle puisque, aujourd’hui, pour faire voler les astronautes, l’Europe utilise les véhicules américains. C’est aussi à travers des symboles comme celui-là que l’Europe prend conscience de qui elle est et que l’Europe définit son propre niveau d’ambition. »

Sur la scène du colloque Europe de L’Express, à Strasbourg le 24 novembre, le directeur adjoint de la rédaction, Sébastien Le Fol, interviewe Hélène Huby, fondatrice de The Exploration Company.

Et pour prendre de la hauteur, quoi de plus approprié que la littérature européenne, si bien racontée par William Marx, professeur au Collège de France. Pour le public de L’Express, l’auteur d’Un été avec Don Quichotte (Éditions des Equateurs/France Inter, 2024) propose de « considérer l’Europe comme un roman, genre européen par excellence » : « L’Europe consiste à construire une histoire ensemble, une aventure, un peu comme Don Quichotte partant sur les routes de la Mancha […] Je crois que ce qui nous rend européens, c’est la lecture de la littérature. Les grands romanciers ont voyagé à travers toute l’Europe, Joyce, par exemple, Irlandais, passé par Paris, par Trieste, ville frontière là aussi par excellence. Le roman est le genre de toutes les frontières. »

Et William Marx d’en prendre pour preuve la libération de Boualem Sansal, auteur franco-algérien, libéré des geôles d’Alger grâce à l’intervention du président allemand : « La leçon de cette histoire, c’est qu’il a été emprisonné en tant qu’écrivain français, mais a été libéré en tant qu’écrivain européen. » Sans doute la plus belle des leçons pour notre continent.

Ce colloque aura été l’occasion de célébrer les talents européens à travers la remise de prix de L’Express de l’année dans quatre catégories :

– le prix de l’Essai européen : Giuliano da Empoli, pour L’heure des prédateurs (Gallimard)

– le prix de la Science : professeure Bana Jabri, directrice de l’institut Imagine

– le prix de l’Entreprise européenne : Spotify

– le prix de l’Avenir européen : Hélène Huby, fondatrice de The Exploration Company



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Author : Corentin Pennarguear

Publish date : 2025-11-25 15:11:00

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