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« Ah, les jeunes d’aujourd’hui… » : ces clichés qui en disent plus sur vous que sur eux

« Ah, les jeunes d’aujourd’hui… » : ces clichés qui en disent plus sur vous que sur eux

Si vous pensez que les jeunes d’aujourd’hui sont idiots, incultes, paresseux, égoïstes ou mal élevés, sachez que vous êtes en bonne compagnie. Dès le Ier siècle avant notre ère, Horace s’en plaignait déjà : « Pires que leurs aïeux, nos pères ont eu en nous des fils qui ne les valaient pas, et d’où va sortir une postérité plus méchante encore » (bien d’autres citations similaires que l’on trouve sur Internet semblent en revanche apocryphes). En même temps, si ce constat était vrai à chaque génération, l’humanité aurait subi une dégénérescence spectaculaire en 2 000 ans, difficile à réconcilier avec les progrès considérables effectués dans tous les domaines, par exemple les sciences, la technologie, la santé ou même l’intelligence. Cette contradiction nous met la puce à l’oreille sur le fait que notre évaluation des jeunes générations est peut-être biaisée.

Une étude de deux chercheurs américains en psychologie a testé cette hypothèse en analysant le lien entre les jugements émis sur la jeune génération par plusieurs milliers de participants américains adultes, et leurs propres attitudes et caractéristiques cognitives. Dans trois expériences successives, ils ont trouvé que plus les gens rapportent dans un questionnaire une attitude autoritariste, plus ils jugent que les jeunes sont moins respectueux de leurs aînés que la génération précédente. Plus les participants ont des scores élevés dans un test de vocabulaire, plus ils jugent que les jeunes sont moins intelligents que leur génération. Plus ils ont de bons scores dans un test de culture littéraire, plus ils jugent que les jeunes apprécient moins la lecture qu’auparavant. Ainsi, les jugements portés sur les jeunes semblent influencés par les caractéristiques des personnes émettant les jugements.

Jugement biaisé

Ces résultats suggèrent une première explication de la tendance à dénigrer les jeunes. Chacun semble se comparer à la jeunesse d’aujourd’hui et trouver qu’elle est particulièrement faible dans les domaines où il excelle (tout en négligeant les domaines où il se sent moins supérieur).

De plus, une quatrième expérience menée par les mêmes chercheurs a montré que plus les gens sont cultivés, plus ils se rappellent avoir aimé la lecture dans leur enfance, et plus ils se rappellent aussi que leurs amis d’enfance aimaient la lecture. Ainsi, lorsqu’ils comparent mentalement les jeunes d’aujourd’hui aux jeunes d’antan, ils les comparent sans doute en fait à une représentation biaisée : des jeunes d’antan sur lesquels ils projettent leurs propres qualités.

Pour porter un jugement non biaisé sur les jeunes d’aujourd’hui, il faudrait comparer les performances ou les caractéristiques moyennes d’un échantillon représentatif de la jeune génération et d’un échantillon similaire de la précédente génération, testée au même âge. Mais ces informations ne sont pas accessibles à la plupart des gens, à moins de connaître les études scientifiques qui l’ont fait. Par conséquent, nous avons tendance à substituer à cette comparaison une autre comparaison qui nous paraît plus accessible : c’est un bel exemple de ce que l’on appelle le biais de substitution, c’est-à-dire la tendance à répondre à une question complexe en répondant à une question différente, plus simple, sans s’en rendre compte.

Comparaisons défavorables

Dans notre cas de figure, la comparaison substituée par les participants s’avère doublement biaisée : d’une part, ils choisissent d’effectuer la comparaison sélectivement sur les dimensions qui sont avantageuses pour eux, et donc désavantageuses pour les autres. D’autre part, ne disposant pas d’information très fiable sur les qualités des jeunes d’antan, ils projettent sur eux leurs propres qualités d’aujourd’hui, induisant ainsi une comparaison défavorable avec les jeunes d’aujourd’hui.

Bien entendu, il peut y avoir des domaines dans lesquels les déclins sont réels. Par exemple, les données de l’éducation nationale suggèrent bien une baisse de performance des élèves français en lecture et en calcul sur les dernières décennies. Mais il y a d’autres domaines où nos intuitions sont clairement erronées, comme sur l’évolution de l’intelligence ou de la violence. De toute évidence, moins nous disposons d’informations objectives et représentatives, plus nos jugements risquent d’être influencés par nos biais cognitifs. Pour éviter d’être la proie des biais de substitution sur des questions complexes, il y a intérêt à s’interroger d’une part sur les informations dont nous aurions besoin pour répondre correctement, et d’autre part sur les informations dont nous disposons réellement et qui guident nos intuitions.



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Author : Franck Ramus

Publish date : 2025-12-06 16:00:00

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