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Le leadership, une vertu dangereuse ? Le regard de Julia de Funès

Le leadership, une vertu dangereuse ? Le regard de Julia de Funès

Il y a des mots qui, à force d’être répétés, perdent leur sens. Un exemple ? Le leadership.

Les formations qui l’inculquent n’en finissent pas de fleurir. Elles promettent toutes la même chose : vous apprendre à « incarner une posture managériale », à « gagner en charisme », à « activer les leviers du leadership »… Quoi de plus généreux ? Là encore ne serait-ce pas ce que j’appelle une vertu dangereuse, un bon sentiment qui se retourne en écueil ? Une vertu qui chavire en vice ?

Car on ne devient pas charismatique en suivant une méthode comportementale. Les postures qu’on enseigne sont souvent superficielles, mécaniques, artificielles. Elles font croire qu’il suffirait de se tenir droit, de parler fort, de regarder les gens dans les yeux pour devenir un leader naturel.

Or, le charisme, l’autorité, le leadership, ne s’enseigne pas. Et pour deux raisons. D’abord, parce que l’autorité dépend toujours d’autrui. On peut apprendre toutes les techniques du monde, si les autres ne nous reconnaissent aucune autorité, nous n’en aurons jamais. L’autorité ne s’impose pas, elle se reçoit. Elle repose sur un jugement extérieur qu’aucune formation ne peut garantir.

Ensuite, parce que l’autorité est singulière. Ces formations veulent tout standardiser : un kit de comportements, une recette de gestes et de mots, censés convenir à tout le monde. Mais l’autorité, justement, ne supporte pas ce type de formatage. Elle est affaire de style, de personnalité, de vérité intérieure. Le charisme, le leadership, l’autorité, ne viennent pas du rôle, mais de la présence. De cette énergie vitale qu’évoquait Nietzsche : la volonté de puissance. Non pas la volonté de dominer, mais celle de s’intensifier, de se vouloir soi-même, de désirer ses désirs, d’avoir envie de dire ce que l’on est en train de dire.

Regardez les grands leaders : chacun son style. Quoi de commun entre Elon Musk, Steve Jobs, Tim Cook, Nicolas Sarkozy, Donald Trump, François Hollande ou encore Emmanuel Macron ? Rien de commun entre eux, sinon une chose : une cohérence intérieure. Leur charisme vient de leur singularité assumée, et non d’un protocole appris.

Derrière l’usage du mot « posture », il y a donc un piège : celui d’une identité figée. C’est entrer dans un rôle, se conformer à une image, et peu à peu, se perdre dans cette représentation. À force de jouer à être quelqu’un, on finit par s’éloigner de soi. Adopter une posture, c’est souvent une imposture, celle de cesser d’être soi-même.

Alors dans un monde où le développement personnel prétend tout formater, la véritable audace est peut-être là : oser la singularité. Refuser le confort du rôle tout fait pour la liberté du style personnel. Car être libre, c’est ne pas répéter. C’est sortir des schémas, des postures, des masques. Alors ne réduisons pas l’authenticité que suppose le charisme à de la simple technicité. Osons comme dit Beauvoir, l’aventure d’être soi-même.



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Author : Julia De Funès

Publish date : 2025-12-08 08:12:00

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