L’histoire est moqueuse. Sébastien Lecornu est arrivé à Matignon précédé d’une réputation pas forcément flatteuse. Libération et le Canard enchaîné l’avaient révélé, il avait dîné avec le diable sans que l’on sache s’il avait pris la peine de se munir d’une longue cuillère : Marine Le Pen, avec et sans Jordan Bardella, s’était retrouvée à sa table. « J’ai fait trois dîners en trois ans avec le Rassemblement national, s’expliquait-il le jour même où il déposait ses bagages rue de Varenne. Je suis cerné par le RN dans mon département de l’Eure, moi j’ai fait le front républicain. Mais je ne les insulte pas. » Ses proches étaient sur la défensive : « Lors de ces repas, ils ont surtout parlé de la loi de programmation militaire et de l’Ukraine. Si vous faites le malin, vous vous faites défoncer. Combien de questions le RN a-t-il posé à l’Assemblée nationale pour dénoncer l’aide à l’Ukraine ? Zéro ! »
En septembre 2025, François Bayrou est tombé, premier chef du gouvernement à ne pas avoir surmonté un vote de confiance. Lui cochait toutes les cases pour discuter avec le PS, or son passage à Matignon fut l’histoire d’un malentendu avec les socialistes. Sébastien Lecornu serait-il celui qui se tournerait de l’autre côté et obtiendrait du parti de Marine Le Pen la neutralité qui avait manqué à ses prédécesseurs ? Michel Barnier, censuré en décembre 2024, n’avait même pas le numéro de portable de Marine Le Pen quand il fut nommé, cette fois les discussions pourraient enfin être plus fluides…
Vous voyez bien que vous voyez mal. On regardait du mauvais côté. Puisque Sébastien Lecornu était attendu à la droite de la droite, il est allé à gauche. Il a bien fait montre de sa volonté de dialoguer, mais pas avec le RN : avec le Parti socialiste. D’emblée, le Premier ministre a cherché à lui donner une visibilité sur son action. Très vite s’est construite une idylle avec Olivier Faure. Ces derniers jours, Amélie de Montchalin a même qualifié, en petit comité, de « smart » l’attitude du PS, remarquant qu’il avait rapidement remballé les éléments symboliques exposés pendant l’automne, les fameux totems – oubliant un peu facilement la suspension de la réforme des retraites, qui aurait pu compter pour solde de tout compte, ce qui ne fut pas le cas. A droite comme au centre, un même reproche a ciblé en décembre le chef du gouvernement : celui d’avoir trop lâché, et à un seul camp.
Brouille avec LR
Sébastien Lecornu a fini par froisser le parti dont il est originaire, LR. Ses ministres ont accusé le parti de Bruno Retailleau de s’être montré irresponsable au Sénat, en ne luttant pas contre les déficits si ce n’est par des jeux d’écriture – et allez savoir pourquoi, les sénateurs LR l’ont très mal pris. Seule consolation : puisqu’il se fâche avec Bruno Retailleau, le chef du gouvernement s’entend bien avec Laurent Wauquiez, ainsi fonctionnent la vie et les vases communicants de ce côté-là de l’échiquier.
« Je suis un homme de droite », avait lancé Edouard Philippe le jour où il succédait à Bernard Cazeneuve, en 2017. Sébastien Lecornu est un homme de droite, sa carrière est là pour le prouver : il a 16 ans lorsqu’il s’inscrit l’UMP dont il sera l’un des secrétaires nationaux, puis il adhère à LR, il en deviendra membre du bureau national.
Est-ce un problème de boussole ? Aujourd’hui celui qu’on suspectait de vouloir amadouer le RN est donc en passe de se brouiller avec la droite pour avoir été trop tendre avec le PS… « Le Premier ministre doit, en priorité, cesser de tout céder aux socialistes. Ce que je lui demande aussi, c’est de se saisir du 49.3 pour donner un budget responsable au pays », a déclaré dimanche dans Ouest-France Bruno Retailleau. Le 49.3 ? Deux hommes ont jusqu’à présent refusé mordicus qu’on l’utilise : Sébastien Lecornu, contre les avis d’une partie de son camp, et Olivier Faure, contre les conseils d’une partie de son mouvement. Il n’est pas inutile d’être fin manœuvrier. Mais il faut bien à un moment savoir où on veut aller.
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Author : Eric Mandonnet
Publish date : 2025-12-23 07:45:00
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