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L’Express

Mais où est passé l’esprit de la Ve République ?, par Denys de Béchillon

Mais où est passé l’esprit de la Ve République ?, par Denys de Béchillon




Chacun a sa petite idée sur « l’esprit de la Ve République ». Dernier avatar en date : le pronunciamiento médiatique déclenché par le Nouveau Front populaire (NFP) à 20 h 01 le 7 juillet pour revendiquer son droit naturel à gouverner (voire à choisir le Premier ministre) bien qu’il n’ait obtenu que 174 sièges sur 577 (et 25,3 % des suffrages exprimés au second tour). Le coup est bien joué, puisque beaucoup de monde croit à cette théorie, mais ça n’en dit long que sur le talent de ses vendeurs. D’autant que la denrée à fourguer fait partie des douteuses.Ce qui est clair dans l’économie générale de la Ve, c’est que le Premier ministre y est le chef de la majorité parlementaire. Telle est sa fonction politique et la raison – primordiale – pour laquelle on l’a toujours pris grosso modo dans ses rangs. Le choix de sa personne repose invariablement sur cette harmonie-là, surtout en période de cohabitation. Or, comme on sait, nul – de près ou de loin – ne dispose aujourd’hui d’une majorité. Rien ne justifie donc que l’on doive se sentir obligé d’accorder son attribut le plus éminent – le gouvernement de la France – à ceux qui occupent moins du tiers des sièges à l’Assemblée nationale. Bref, dans la configuration actuelle, la seule vérité disponible est que personne n’a de titre « naturel » à revendiquer quoi que ce soit.Le drôle, dans cette invocation frénétique de l’esprit de nos institutions, c’est qu’elle ne sert en ce moment que son exact contraire. S’il faut chercher une philosophie directrice dans la Ve République, on la trouvera dans la volonté qu’avait le général de Gaulle de faire échapper le pays à la tyrannie des intérêts partisans. Tout, en 1958, était voulu pour rompre avec elle et rendre possible la recherche d’une espèce de transcendance républicaine, d’un bien commun national qui lui soit supérieur. L’âme de notre Constitution est faite de ce bois.Cirque ambiantDans un pays coupé en trois, cette logique de renoncement dans l’intérêt général devrait conduire à rechercher le plus petit dénominateur commun sur lequel les uns et les autres pourraient s’accorder en dépit de leurs considérables divergences. L’objectif tout aussi naturel devrait être de déboucher, dans le meilleur des cas, sur une coalition fabriquée autour d’un projet de compromis, dans le moins bon, sur une sorte de consensus gestionnaire. Mais cela suppose que les acteurs politiques – voire les citoyens – y soient disposés, c’est-à-dire prêts à sacrifier une partie d’eux-mêmes au service de leur pays. Or nous avons, ces temps-ci, vu à peu près tout le monde se précipiter dans la direction opposée.Il y a longtemps que ça n’avait pas été aussi épouvantable. Qu’il s’agisse des hommes ou des formations politiques, chacun se consacre à ses petites affaires, recherche son bénéfice bien compris, cultive ses ambitions, rêve éveillé, se livre à ses calculs, donne droit à sa perversité, à ses haines, à sa colère… Il est vrai qu’on ne manque pas de motifs. Ce n’en est pas moins fascinant, a fortiori si l’on ne perd pas de vue que la situation de la France est au moins aussi grave sous les angles géopolitique, sécuritaire, économique et financier qu’elle ne l’est sous l’angle institutionnel, et qu’il y a bien mieux à faire que de se vouer tout entier aux joies du cirque ambiant.La Ve République des origines repose sur deux jambes. L’une est pessimiste – l’Histoire est tragique, et il faut se préparer à l’affronter au mieux –, l’autre est pragmatique – les hommes et les forces politiques étant ce qu’ils sont, il serait suicidaire de laisser le destin du pays voguer au gré de leur seul étripage, notamment parlementaire. Dans l’idée de ses fondateurs, il s’est toujours agi de contenir la bête politique, de nous aider à limiter les effets de notre commune déraison, de ne pas nous abandonner sans ressources à la démagogie des programmes électoraux ou à l’aléa des aventures inconsidérées.La meilleure chose qui pourrait nous arriver serait de savoir (re) trouver cet esprit véritable et de vouloir conquérir le centimètre de grandeur qu’il nous incite à prendre pour nous arracher – tous – au pire de nous-mêmes. Cela ne viendra qu’avec la conscience du danger. L’avons-nous enfin ?



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Author : Denys de Béchillon

Publish date : 2024-07-15 04:50:20

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