Sur les plaques d’immatriculation de Floride, on ne voit qu’elle aux côtés de l’aguicheur surnom de cet Etat du sud-est des Etats-Unis, the Sunshine State. Si le soleil n’a jamais fait défaut le long des côtes ensablées et dans les terres, l’orange, elle, est en bien mauvaise posture sur ce territoire, longtemps idéal pour son développement. Les champs à perte de vue de l’agrume le plus consommé au monde n’ont plus la splendeur d’autrefois. En 2022, les ouragans Nicole et Ian ont détruit plus de 150 000 hectares de plantations, soit 75 % de la surface totale.L’hécatombe aurait pu s’arrêter là. C’était compter sans l’inexorable propagation de la maladie du dragon jaune depuis le début des années 2000. Cette bactérie, venue de Chine, donne du fil à retordre aux producteurs d’agrumes du monde entier. Une fois l’oranger infecté, un terrible cercle vicieux s’enclenche : propagée par le psylle, un petit insecte dont l’apparence rappelle celle de la cigale, l’affection se répand comme une traînée de poudre. Lorsque les feuilles vertes se mettent à jaunir, l’agriculteur sait que l’arrêt de mort d’une partie de sa parcelle vient d’être signé. Les fruits perdent alors leur couleur orange et virent au vert, perdant toute saveur. Les feuilles tombent ensuite au sol, et les racines de l’arbre finissent par pourrir.Pour l’heure, malgré la recherche, aucun traitement n’a encore été trouvé. « La piste principale consiste à essayer de mettre au point des variétés plus résistantes. Mais le temps de développement est extrêmement long, et la réponse n’est pour l’instant pas satisfaisante. La problématique reste extrêmement vive », regrette Eric Imbert, chercheur au Cirad, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. Le Brésil, premier producteur d’oranges, était jusqu’à présent relativement épargné. La maladie, hélas, y gagne du terrain. Et, comme en Floride, c’est un événement climatique majeur qui est venu donner le coup de grâce : dès septembre 2023, une intense sécheresse a frappé pendant plusieurs mois l’Etat sud-américain. « Les bactéries existent en agriculture depuis la nuit des temps. Mais celle du dragon jaune a connu un développement exponentiel : 40 % des orangeraies du Brésil présenteraient des symptômes, contre 5 % il y a vingt ans », pointe Aurore Bescond, secrétaire générale d’Unijus, l’Union nationale interprofessionnelle des jus de fruits. Résultat, les cours du jus d’orange ont explosé. Sur les six premiers mois de l’année en France, le prix du pur jus a augmenté de 13 %, et celui du concentré de 23,5 %.Le café, bientôt un produit de luxe ?A la table du petit déjeuner, l’orange n’est pas le seul produit à être secoué par les turbulences des marchés. Le café est victime des mêmes maux. Au Vietnam et en Indonésie, les fortes chaleurs de ces derniers mois ont largement amputé la production de robusta, l’une des variétés les plus consommées dans le monde avec l’arabica. « Il faut plus ou moins la bonne température et la bonne quantité de pluie pour que les caféiers s’épanouissent. Aujourd’hui, nous recevons des informations en provenance du Brésil selon lesquelles les conditions météorologiques affectent non seulement l’approvisionnement, mais aussi la qualité. La taille des grains est en fait plus petite que ce à quoi les producteurs s’attendaient », raconte le coordinateur statistique au sein de l’Organisation internationale du café (ICO).S’y ajoutent des perturbations logistiques, en raison du faible niveau d’eau du canal de Panama et des tensions sur la route maritime de la mer Rouge. Et la suite n’annonce rien de bon pour les consommateurs. « De nombreuses zones ne pourront plus produire de café, ou alors en petite quantité, du fait de la hausse des températures. Il y a de fortes probabilités pour que le café devienne un luxe en 2050 », prévient Vincent Viguié, chercheur au Cired, le Centre international de recherche sur l’environnement et le développement. C’est aujourd’hui toute la chaîne de production, des agriculteurs aux industriels, qui doit se remettre en ordre de marche. « Les exploitants sont tenus d’investir réellement dans l’adaptation au climat. Les solutions existent : améliorer les sols, faire pousser des arbres d’ombrage, travailler sur la résilience des plants. La gestion des ravageurs et des maladies pourrait aussi devenir rapidement cruciale, car elle est liée au changement climatique », explique Roman Grüter, chercheur à l’université de Zurich et auteur d’une étude affirmant que les surfaces où le café est actuellement produit diminueront de moitié d’ici à 2050.Le temps presse. « L’instabilité climatique est déjà aux commandes. Elle se manifeste par de courtes périodes de sécheresse ou un excès d’eau qui vont rendre les floraisons plus erratiques », indique Benoît Bertrand, directeur de recherche au Cirad. Les producteurs commencent à réagir. Des recherches ont lieu actuellement en Californie, tandis que l’on parle de planter du café en Sicile, et même à Perpignan ! Les scientifiques, eux, travaillent à la création de nouvelles variétés. « Nous n’en sommes qu’aux débuts. Ces espèces inédites, qui ne s’apparentent ni au robusta ni à l’arabica, pourraient être plus résistantes à la sécheresse », poursuit le chercheur.Record pour le prix du cacaoEnfin, ces derniers mois, il n’a pas échappé aux amateurs de poudre chocolatée et de tablettes que les prix du cacao ont connu les montagnes russes, jusqu’à atteindre les 11 700 dollars la tonne en avril. « Les cours étaient relativement stables jusqu’ici. Depuis les années 1980, ils variaient entre 900 et 3 800 dollars la tonne. Le dernier gros coup de chaud remontait à 1977 », rappelle Alexandre Baradez, responsable de l’analyse marché chez IG France. Là encore, le changement climatique a sévi en Afrique de l’Ouest, qui assure l’essentiel des approvisionnements. « Nous assistons à une intensification des épisodes El Niño, qui provoquent des sécheresses soudaines et des inondations dans différentes régions. Les cacaoyers sont particulièrement vulnérables dans ces régions tropicales », note Maximilian Kotz, chercheur au Potsdam Institute for Climate Impact Research.Avec des conséquences immédiates. « Sur la baisse de la production s’est greffé un regain de spéculation. On s’attendait à des saisons sèches longues, mais une période extrêmement pluvieuse pendant la fructification et la pollinisation a pris à contre-pied les prévisions. Les fruits qui sont apparus ont été détruits par la maladie », détaille Christian Cilas, chercheur au Cirad et spécialiste du cacao. Au sortir d’un tunnel d’inflation éprouvant pour les consommateurs, les industriels n’ont pu répercuter qu’une partie des hausses sur les étiquettes de leurs produits. « Le pricing power, c’est-à-dire leur capacité à monter les prix, est moins fort que dans d’autres secteurs. L’écart va devoir être absorbé majoritairement au niveau des marges », estime Alexandre Baradez. L’autre option pour les fabricants ? Jouer à la baisse sur le pourcentage de cacao dans les tablettes. Au risque de décevoir les fans.La hausse soudaine des cours pourrait néanmoins avoir un mérite, celui de modifier la cartographie mondiale des producteurs. « Ces prix à la tonne élevés vont peut-être inciter à planter. Le seul problème, c’est que les premières productions n’arriveront que dans quatre ans », tempère Christian Cilas. La filière du chocolat a aussi en tête l’entrée en vigueur, en 2025, du règlement sur la déforestation de l’Union européenne. Ce texte vise à interdire toute vente de produit en provenance d’un champ issu d’une déforestation après le 31 décembre 2020. « Il est clair que le cacao s’est développé dans des régions boisées. De ce fait, il sera difficile d’affirmer qu’un cacaotier provenant d’Afrique de l’Ouest vient d’une zone qui n’a jamais été déforestée », souligne l’économiste Philippe Chalmin. Le café sera également concerné. Les producteurs d’oranges, eux, auront d’autres dragons à fouetter.
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Author : Thibault Marotte
Publish date : 2024-07-22 06:45:00
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