Dans un monde où le sport occupe une place croissante sur la scène internationale, la diplomatie française se montre plus offensive dans ce champ stratégique et compte bien capitaliser sur les Jeux de Paris. Depuis une dizaine d’années, le Quai d’Orsay a créé le poste d’ambassadeur du sport, encore peu connu. Après avoir passé trois années à Tokyo (2018-2021) et au Qatar (2015-2018) en tant que conseiller sport et attaché olympique, Samuel Ducroquet est actuellement ambassadeur pour le sport depuis février 2023. Avant cela, il a été senior manager chargé du programme des dignitaires au sein de la direction des relations internationales du Comité d’organisation des Jeux de Paris 2024. A l’approche du coup d’envoi des JO, son rôle et ses initiatives prennent une importance particulière, soulignant l’ambition de la France de briller sur la scène internationale. Dans un entretien à L’Express, Samuel Ducroquet explique la complémentarité de son rôle par rapport aux fédérations sportives et ses ambitions pour le rayonnement international du sport made in France.L’Express : Quel est votre rôle en tant qu’ambassadeur du sport, dans l’architecture de la diplomatie du sport français ?Samuel Ducroquet : Depuis une dizaine d’années, nous sommes très mobilisés au Quai d’Orsay pour développer une véritable diplomatie sportive compte tenu de l’importance stratégique du sport à l’international. Sur le plan économique d’abord, en raison du poids que représente le sport dans le PIB mondial ; sur le plan socioculturel aussi, puisque c’est un fait social global avec une pratique que l’on retrouve aux quatre coins du monde ; mais aussi sur le plan politique, grâce aux opportunités en termes de valorisation de l’image d’un pays.Au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères [MEAE], nous mettons en avant notre expertise, notre connaissance de l’international, notre réseau diplomatique afin d’accompagner le sport français (qu’il s’agisse des entreprises, des ONG, des clubs, des fédérations) dans leur déploiement à l’international. Concrètement, mon rôle au sein du ministère consiste à utiliser le sport sur le long terme, comme un outil de coopération et de rapprochement avec nos partenaires à l’étranger. Et dans mes postes successifs, que ce soit au Qatar ou au Japon, j’ai pu mesurer pleinement l’apport du sport en matière de développement des relations bilatérales. Je le constate encore davantage aujourd’hui en tant qu’ambassadeur pour le sport.D’où vient cette prise au sérieux du sport ?Les Jeux de Londres nous ont confortés dans l’idée que les Jeux constituaient un enjeu de rayonnement à l’international, avec une volonté réaffirmée de figurer dans cette cartographie des grands événements sportifs. Les plus grandes compétitions internationales ont été organisées en France ces dernières années, comme l’Euro, le Mondial de foot féminin, le Mondial de hand, le Mondial de rugby, les Jeux aujourd’hui. C’est la preuve d’une influence retrouvée, mais qui doit sans cesse être réaffirmée. Ces compétitions contribuent systématiquement à nous convaincre, au Quai d’Orsay, de ce qui peut être accompli grâce à ces grands événements : accueillir le monde, présenter notre savoir-faire.Avez-vous remarqué à l’étranger, un attrait pour cette marque « France »?Absolument. Les grands événements sportifs internationaux concentrent l’attention sur la France, ressentie aussi dans les ambassades à l’étranger, qui ont à cœur de valoriser ces événements dans leur pays de résidence. Nos interlocuteurs, que ce soit à Tokyo, à Doha, à Washington ou à Pékin sont intrigués par ce que la France propose lorsqu’elle a la responsabilité d’organiser les plus grands événements sportifs. Nos partenaires attendent enfin de nous que nous soyons moteurs dans le domaine du sport, ce que ces événements contribuent à faire, en mettant en lumière le savoir-faire français et ainsi donner un rayonnement à la marque « France » dans le domaine du sport.Quels seront les impacts à long terme ?L’opportunité de construire des relations entre mouvements sportifs étrangers et acteurs du sport français, entre collectivités locales et fédérations sportives également, notamment grâce aux centres de préparation aux Jeux, labellisés Terre de Jeux 2024, qui permettent à des athlètes venus de l’étranger de s’entraîner en France avant les Jeux. C’est le cas par exemple en Moselle : le département a récemment noué un partenariat avec la confédération brésilienne de volley-ball. La Moselle est ainsi devenue l’arrière-base en Europe du volley-ball brésilien, toutes catégories confondues, lors de ses déplacements sur le continent. Il y a quelques années le mouvement sportif s’organisait seul avec les différents acteurs. Aujourd’hui, notre diplomatie sportive s’intègre pleinement dans cette dynamique, accompagne ces efforts et cherche à capitaliser sur ces relations qui se nouent grâce au sport.Dans quelle mesure les ambassades à l’étranger participent-elles à cette diplomatie ?Nos ambassades sont désormais pleinement mobilisées dans le domaine du sport, un secteur peut-être trop longtemps sous-estimé mais qui offre l’occasion de présenter une image renouvelée de la France, un secteur qui change de nos leviers d’action traditionnels. Mais le sport est un domaine qui se caractérise par son caractère « horizontal », « transversal », et qui peut venir apporter un complément essentiel dans la relation avec nos partenaires. Le sport est volontiers associé à d’autres enjeux tels que la culture, la mode, la science, le développement. Il permet enfin de présenter une image plus moderne et audacieuse, et de toucher des publics différents, notamment la jeunesse, plus éloignée de nos cercles d’influences traditionnels.Comment cela se concrétise-t-il ?Les ambassades nouent des relations avec les ONG, avec les fédérations locales, avec les clubs, pour accompagner des projets en lien avec le sport. C’est le cas par exemple au Cameroun, à travers la construction d’infrastructures sportives de proximité, plus précisément d’un skatepark à Yaoundé dans l’optique de créer, avec nos partenaires locaux, un véritable écosystème inclusif autour des sports urbains. Nous avons aussi à cœur de mener des projets, en lien avec nos opérateurs en faveur de l’inclusion et de la cohésion sociale ou encore de soutenir des plus petits projets d’ONG qui, par exemple au Sénégal, luttent pour la réinsertion de jeunes incarcérés, notamment par l’escrime et qui présente des résultats fabuleux. Je pourrais aussi citer l’exemple de Tirop’s Angels, cette association que nous soutenons et qui lutte contre les violences faites aux femmes, grâce à la pratique de la course à pied.Comment définiriez-vous votre valeur ajoutée ?Notre valeur ajoutée réside à la fois dans notre mobilisation, toujours plus forte, aux côtés de l’écosystème et des acteurs du sport en France, mais aussi dans notre connaissance des attentes et opportunités à l’étranger. Cela nous permet d’intervenir en amont et de faciliter la réflexion autour d’un projet et de sa mise en œuvre. Le MEAE peut ainsi accompagner les fédérations étrangères qui souhaitent se rapprocher de leurs homologues sur les enjeux de gouvernance, de gestion des licenciés, leurs sources de revenus… Ensuite, nous sommes aussi souvent sollicités pour faciliter des partenariats autour de la performance. Nous facilitons, lorsque nos interlocuteurs en expriment le besoin, la création d’instituts du sport, afin de mettre en place l’équivalent de l’Insep dans certains pays, comme récemment au Maroc, où l’Insep a signé un accord avec l’université Mohammed VI pour développer un centre d’excellence et de performance physique. Notre ministère est reconnu aujourd’hui comme ayant une valeur ajoutée dans cette mise en relation entre les acteurs du sport français et les acteurs du sport international.Y a-t-il une « French touch » dans la diplomatie sportive ?Je pense que notre « touche française » réside dans notre capacité à couvrir tous les domaines de la coopération sportive, allant de l’organisation des grands événements sportifs aux enjeux de coopération technique et institutionnelle, en mettant le sport dans nos accords institutionnels bilatéraux, notamment en Afrique. Le soutien à la filière économique du sport avec la création, en lien avec le ministère des Sports, de « clubs sports » dans certains pays tels que le Qatar, le Japon, la Chine et plus récemment le Sénégal permet d’améliorer la visibilité des entreprises françaises, de présenter des offres intégrées dans l’optique de gagner des parts de marché.Certains sports plus faciles seraient-ils à mettre en avant ?Nous avons une capacité de promotion de toutes les disciplines grâce à un mouvement sportif français qui s’est développé à l’international depuis longtemps ! Nous travaillons aussi bien avec la Fédération française de surf qui cherche à nouer de solides relations avec les pays d’Amérique latine, qu’avec la Fédération française de football, institution d’excellence avec laquelle nous avons mené des projets vraiment remarquables, comme un projet de développement du football féminin en Irak qui est vraiment une belle réussite. Le Ghana et l’Egypte ont sollicité notre expertise afin de monter un dispositif similaire, toujours pour le football féminin. De manière relativement simple et efficace aujourd’hui, nous pouvons mobiliser très rapidement un nombre considérable de partenaires dans le domaine du sport en France et cela constitue une grande joie et une belle réussite.Qu’attendez-vous de cette quinzaine olympique qui s’ouvre ?Pendant les Jeux, nous allons pouvoir décupler ce travail d’interaction et de diplomatie de terrain pour développer des relations avec le mouvement sportif international. Le monde entier converge vers Paris, les fédérations internationales, les fédérations nationales, les comités olympiques et paralympiques étrangers, les sponsors… La présence de ces milliers de personnes nous offre une opportunité unique pour renforcer nos liens dans une unité de lieu et de temps. Une façon de s’épargner des dizaines de déplacements à l’étranger !Qu’est-ce que l’olympisme apporte au monde dans un moment de tensions ?L’olympisme est vraiment porteur d’espoir grâce à sa capacité à fédérer dans ce monde tourmenté. Il existe aujourd’hui cette envie de se retrouver autour de valeurs communes. Nous le ressentons lors de nos échanges avec nos partenaires étrangers. Nous espérons que ces Jeux nous permettrons de vivre une parenthèse de célébration, de paix et d’amitié grâce au sport, que j’espère forcément aussi longue que possible, et pas seulement pendant les Jeux.Et ne craignez-vous pas les démonstrations politiques ?Oui, la politisation du sport est un fait et continuera malheureusement de l’être. Mais il ne faut pas non plus surestimer ce risque. Les athlètes sont des professionnels. Ils se rencontrent toute l’année sur les compétitions sportives et eux aussi aspirent à ces moments d’apaisement et de mise à l’écart des tensions internationales pour exercer leur métier, vivre leur passion et profiter de ces émotions. Il n’est pas exclu qu’il y ait des moments de tensions et des frictions, y compris en raison de la pression que certains gouvernements exercent sur leurs athlètes, mais je pense qu’il y a une volonté, y compris au sein du mouvement sportif, de laisser la place au sport et à l’émotion des Jeux.Samuel Ducroquet, ambassadeur du sport au Quai d’Orsay, défend l’importance de la diplomatie sportive.Il y a eu encore des polémiques avec les athlètes russes. Quel est votre sentiment vis-à-vis du CIO qui a souhaité les laisser concourir ?Les comités internationaux olympique et paralympique ont décidé de permettre aux athlètes russes et biélorusses de concourir sous bannière neutre aux Jeux de Paris 2024. Il s’agit là de décisions qui leur reviennent, et que la France a choisi de respecter, afin de préserver l’autonomie du mouvement sportif. Nous avons pris acte de la nécessité pour les athlètes de respecter les critères de neutralité fixés par le CIO et l’IPC [NDLR : Comité international paralympique] et nous resterons bien sûr très attentifs aux modalités de mise en application de ce principe de neutralité, tant avant les Jeux, que pendant la compétition.Comment répondez-vous aux critiques selon lesquelles les Jeux olympiques et autres grands événements sportifs sont perçus comme étant dominés par les pays occidentaux ?Il y a certes un enchaînement qui se dessine entre Paris, Los Angeles et Brisbane, des villes parfaitement légitimes lorsqu’il s’agit de l’organisation de grands événements sportifs internationaux. Mais rappelons que les Jeux se sont aussi déroulés à Tokyo, à Rio, en Chine, en Corée, ou en Russie… Il n’y a pas de confiscation par l’Occident ou un club restreint de pays des Jeux olympiques et paralympiques. Il y a certes un enjeu lié au coût des Jeux, mais la France s’est justement pleinement mobilisée pour inscrire son projet dans le cadre de transition qui a été opérée par le Comité international olympique dans le cadre de l’Agenda 2020 + 5. L’enjeu est assez simple : transformer le modèle des Jeux, le rendre plus sobre, plus durable, et plus responsable. Cela fait partie des marqueurs très forts des Jeux de Paris 2024. Il y a une volonté de s’inscrire dans cette dynamique, pour permettre aux Jeux d’avoir un avenir, et montrer qu’il est possible d’organiser des Jeux sous un nouveau modèle. Le nombre de pays qui s’alignent pour les Jeux de 2036 nous donne le sentiment que le pari est réussi : l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques redevient un rêve accessible et acceptable.Les Jeux de Paris 2024 semblent raviver l’idée de l’olympisme et proposer une nouvelle approche des Jeux. En quoi auront-ils été novateurs ?Oui, grâce à des choix audacieux. Non seulement par la cérémonie d’ouverture, qui aura lieu en dehors d’un stade, un projet qui semblait un peu fou mais qui s’annonce grandiose et laissera une image indélébile des Jeux de Paris. De même que pour les lieux de compétition en plein cœur de la ville aux abords des plus beaux sites, mondialement reconnus, ou encore pour le choix des sports. L’ajout du breakdance dans la liste des disciplines de Paris 2024 intervient dans cette logique de modernisation, d’attractivité vis-à-vis d’un public plus jeune qui pouvait se désintéresser de certaines disciplines « traditionnelles » mais qui est aujourd’hui susceptible de trouver un intérêt renouvelé pour des disciplines telles que le breakdance, le surf ou encore le skateboard.Qu’est-ce qui restera de ces Jeux, selon vous ?Sur le plan technique et opérationnel, on retiendra sûrement les nouveaux marqueurs posés par les Jeux de Paris 2024, des Jeux paritaires, à la faveur de cette égalité parfaire entre athlètes hommes et femmes aux JO, des Jeux plus sobres qui auront relevé le pari du respect de l’équilibre budgétaire.En matière de rayonnement, sans doute les images de la cérémonie d’ouverture avec les athlètes sur les bateaux, le triathlon sous le dôme des Invalides, le beach-volley au pied de la tour Eiffel, l’équitation à Versailles, le cross-country dans les jardins de l’être. Ce sera phénoménal. Les émotions du sport seront décuplées grâce au patrimoine français.Sur une note plus personnelle, pendant la compétition, y a-t-il des sports que vous allez plus particulièrement suivre ?Alors moi, j’ai un petit faible pendant les Jeux olympiques et paralympiques pour le judo. Je suis un grand fan de Teddy Riner et de Clarisse Agbegnenou, mais également pour le triathlon, plus précisément le relais mixte, cette épreuve où la performance individuelle de quatre athlètes est mise au service du collectif.
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Publish date : 2024-07-25 14:00:00
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