Fuite structurelle ou conjoncturelle ? Le mythe du travail pendant toute une carrière dans une seule entreprise est balayé. A-t-il seulement existé ? Le phénomène est en effet loin d’être récent. La première enquête sur l’emploi a été réalisée en France en 1950 (Dominique Goux, Insee, 2003), peu après la création de l’Institut national de la statistique et des études économiques le 27 avril 1947. L’Insee affine ses méthodes, multiplie ses publications et montre que la mobilité externe progresse d’année en année. 30 % des actifs occupés travaillaient en 1970 dans un autre établissement qu’en 1965, contre 20 % seulement entre 1959 et 1964 (Insee, décembre 1973) – ce sont les « Trente Glorieuses ».La tendance se poursuit les décennies suivantes : 26 % des personnes en emploi à la fois en 1998 et en 2003 ont changé au moins une fois d’entreprise entre ces deux dates (Insee 2010). Un chiffre qui culmine à 30 % en Ile-de-France. Il monte à 40 % chez les ouvriers non qualifiés de province, cette fois-ci dans une période de mondialisation et de désindustrialisation qui conduit souvent au chômage. Il est très haut, à 33 %, pour les cadres de la région parisienne mais pour d’autres raisons : « un espace du marché du travail où les individus peuvent facilement vendre leurs compétences et changer d’entreprise », analyse Frédéric Lainé, alors en poste à l’Insee.Vingt ans plus tard, la mobilité externe se poursuit, mais cette fois-ci pour tout le monde et partout : « davantage de salariés ont changé d’entreprise en 2022 qu’avant la crise sanitaire », annonce l’Insee (« Emploi, chômage, revenus du travail », juillet 2024).Il ne faudrait néanmoins pas se méprendre sur les causes de ces mobilités externes. Hier, elles étaient bien souvent subies par le salarié : « en 1950, le chômage était résiduel (de l’ordre de 150 à 200 000 personnes au chômage (Lévy-Bruhl, 1977), mais représentait déjà une préoccupation politique », indique Dominique Goux. Suit la création de l’Agence nationale pour l’emploi par ordonnance le 13 juillet 1967, à l’initiative du secrétaire d’Etat à l’Emploi, Jacques Chirac. Quarante ans plus tard, en pleine crise des subprimes on parle de « flexisécurité » (néologisme né dans la seconde moitié des années 1990, importé du modèle danois) : « permettre aux individus de concilier flexibilité du travail et sécurité des carrières », définissent Guillemette de Larquier et Delphine Remillon (Insee, janvier-mars 2008).Le vœu d’une sécurité sociale professionnelle, notamment défendue par les professeurs Pierre Cahuc et Francis Kramarz (2004) est concomitant à une réalité plus sombre : le nombre de chômeurs dépasse le seuil des 2 millions en octobre 2008. Des ruptures souvent subies. « Une inversion de la courbe du chômage » qui tarde sous le mandat de François Hollande (2012-2017) et dont le taux atteint même 10,5 % au premier trimestre 2015, mais qui se concrétise sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.Partir pour gagner plus ?La décrue du chômage se poursuit (en dépit d’une remontée à 9 % au troisième trimestre 2020), la mobilité aussi. « En 2023, 18,3 % des salariés du secteur privé de 2022 ont quitté leur employeur, soit 1,3 point de plus qu’en 2019, avant la crise sanitaire. La plus grande mobilité constatée sur les données en 2022 est ainsi confirmée et étaye l’hypothèse d’un changement de comportement pérenne des salariés », indiquent les auteurs de la dernière étude de l’Insee. Ce phénomène déjà constaté dans les années 1970 (300 000 chômeurs, moins de 4 %), avant le premier choc pétrolier de 1973, revient en 2023, mais avec 2,3 millions de personnes sans emploi et un taux de chômage qui s’établit tout de même à 7,5 % au premier trimestre 2024 (Insee). Toutes les catégories d’âge y succombent, y compris les plus de 50 ans, même si ce sont les 30‑49 ans les plus concernés et surtout les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI). On ne quitte pas un CDI ? Un autre mythe tombe. D’ailleurs, un salarié sur quatre du secteur privé (25,6 %) en contrat la première semaine ouvrée de septembre 2022 a quitté son entreprise un an plus tard.Pour 26,3 % des salariés qui voulaient trouver un nouvel emploi en 2023, augmenter leurs revenus (4,2 points de plus depuis 2021) est la raison principale, à égalité avec le souhait d’améliorer ses conditions de travail, – qu’un salarié sur deux se sent épuisé professionnellement (baromètre 2023, Malakoff-Humanis). Un désir de changement malgré un troisième mythe à déconstruire : contrairement à une idée répandue, l‘évolution salariale est souvent moins favorable pour les salariés mobiles que pour ceux restés en place (« Emploi, chômage, revenu du travail », Insee 2024). A court terme du moins. En effet, les partants ont plus de chances d’être augmentés en changeant d’entreprise mais ils oublient parfois dans leur calcul que certains avantages ou primes liés à l’exercice précédent (intéressement, participation, bonus) ne sont pas versés la première année d’un nouvel emploi, ou sont corrélés au temps passé dans l’entreprise (prime d’ancienneté).
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Author : Claire Padych
Publish date : 2024-07-30 09:00:00
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