L’Express

Mélenchon, le blasphème et la cérémonie d’ouverture des JO : chronique d’un zigzag

Jean-Luc Mélenchon à Paris, le 7 juillet 2024




Samedi 27 juillet, lendemain de la cérémonie d’ouverture de ces 33e Jeux olympiques estivaux de Paris. L’écrasante majorité des Français plastronnent fièrement, jugeant, pour 85 % d’entre eux, le spectacle réussi. Le microcosme d’extrême droite, lui, s’insurge sur la toile, et déplore un tableau offensant pour les catholiques. En cause, une parodie de La Cène (ou une représentation d’un banquet de Jupiter ?), rejouée par une DJ, aux côtés d’une dizaine de drag-queens.C’est Marion Maréchal, eurodéputée fraîchement élue, qui affuble ces olympiades de « J-Woke ». Ou encore Philippe de Villiers, fondateur du Puy du Fou, qui s’émeut du « suicide de notre pays devant le monde entier ». De l’autre côté de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon a publié une « note » sur son blog sous le titre : « J’ai aimé ou bien je n’ai pas aimé ? » Et celle-ci, une fois n’est pas coutume, a ravi la presse réactionnaire. »La gauche ne se lève pas pour défendre les bigots »Verdict. « Je n’ai pas aimé la moquerie sur La Cène chrétienne, dernier repas du Christ et de ses disciples, fondatrice du culte dominical. Je n’entre pas bien sûr dans la critique du ‘blasphème’. » Le patriarche de La France insoumise interroge à demi-mot l’opportunité-même de blasphémer. « A quoi bon risquer de blesser les croyants ? Même quand on est anticlérical ! […] Dans le milliard de chrétiens du monde, combien de braves et honnêtes personnes à qui la foi donne de l’aide pour vivre et savoir participer à la vie de tous, sans gêner personne ? » poursuit l’auteur. Une prise de position qui a suscité du débat en interne, incitant même l’intéressé à compléter sa première note par une seconde – intitulée « Le lendemain après que j’ai aimé ou pas aimé » – où il publie ses échanges (apaisés) avec ses camarades. Il rassure : « J’exprimais, je le répète, un point de vue strictement personnel. »Quête de buzz, recentrage anti-woke, apologie de la paix ou clin d’œil aux croyants ? Les quatre à la fois ? Ou bien l’expression d’un malaise sincère ? « Quand l’excellence académique, scientifique et artistique est attaquée par l’extrême droite, la gauche doit être en défense et en affirmation. Elle ne se lève pas pour défendre les bigots. Ça n’est pas son rôle, ça n’est pas son histoire », déplore Michaël Delafosse, maire PS de Montpellier, auprès de L’Express. Le député LFI de Haute-Garonne Hadrien Clouet tempère : « C’est vrai que ça a surpris, dit-il. Mais est-ce qu’à une seule occasion il a défendu qu’une cérémonie publique puisse mobiliser de manière transgressive ? » Les insoumis, pacificateurs en herbe.Raquel Garrido, son ancienne partenaire de route, récemment excommuniée de LFI, fulmine : « Mélenchon est un bon connaisseur de la laïcité. C’est franchement choquant de parler de blasphème s’agissant d’une œuvre d’art : notre école de pensée a toujours clamé ‘toute licence en art’. » L’homme n’a pas employé ce terme si connoté, mais certains le reçoivent ainsi. « Que celui à qui je dois mes convictions républicaines des années 1990 se positionne ainsi… regrette Michaël Delafosse. J’avais 16 ans et j’ai entendu Jean-Luc Mélenchon faire un discours contre la loi Falloux en défense de la laïcité. Il parlait de ces sujets avec une force et une éloquence incroyables. Il a évolué dans ses convictions », raille-t-il. Jean-Luc Mélenchon, l’ancien « bouffeur de curés » auto revendiqué, surpris en plein acte de repentance ? »Je ne me suis jamais moqué de la foi et je ne le ferai jamais »A vrai dire, le catéchisme de Mélenchon en matière de blasphème est changeant. « Je ne me suis jamais moqué de la foi et je ne le ferai jamais. » La citation du triple candidat à l’élection suprême ne date pas du lendemain de la cérémonie d’ouverture mais du mois d’avril 2012, dans les colonnes de L’Express, alors que le champion du Front de gauche concourt à sa première aventure présidentielle. Dans nos pages, Jean-Luc Mélenchon raconte sa jeunesse, celle d’un jeune homme qui « a servi la messe en latin », élevé dans la foi par une mère catholique pratiquante. Une adolescence marquée par les lectures, comme celle du jésuite et scientifique Pierre Teilhard de Chardin, et plus tard du Brésilien Leonardo Boff, inspirateur de la théologie de la libération. Jean-Luc Mélenchon, un homme de foi ? « Ma spiritualité va à un être qui n’existe pas : l’humanité universelle. Un être mythique. Est-ce que ce que je ressens participe d’une certaine spiritualité ? Je ne vous dirais pas que je suis absent de grands élans. »Et pourtant, l’insoumis a longtemps été un « laïcard ». Dans les années 2010, les sphères catholiques traditionalistes et intégristes s’émeuvent de la diffusion de plusieurs pièces de théâtres qu’ils jugent « offensantes » et « blasphématoires », à l’instar de Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci, ou de Golgota Picnic, écrite par Rodrigo Garcia. Le Parti de gauche, formation de Jean-Luc Mélenchon, s’insurge contre les tentatives de déstabilisations de ces représentations. Au Conseil de Paris, ses élus dénoncent un amendement déposé par le conseiller centriste Yves Pozzo di Borgo visant à réduire la subvention du théâtre qui accueillait la première pièce. A Strasbourg, alors que Rodrigo Garcia est visé pour une plainte pour « blasphème et tentative de blasphème », le Parti de gauche demande l’abrogation du Concordat en Alsace-Moselle.2015, à Pontoise. Un dernier adieu avant l’inhumation de Charb. Mélenchon rend un vibrant hommage à son camarade de lutte et ami, assassiné aux côtés de ses collègues de Charlie Hebdo, par des terroristes islamistes. « La laïcité brocardée et les laïcards moqués ont la preuve par Charb de leur sens complet », lance-t-il à la tribune. Charlie, journal avec lequel il a pourtant depuis rompu, dénonçant sa proximité avec l’extrême droite, et le comparant même à Valeurs Actuelles…C’est l’ironie d’une trajectoire, celle de Jean-Luc Mélenchon, d’autant plus étonnante à la lecture de ces quelques lignes d’un chapitre écrit en contribution au Dictionnaire de la laïcité (Armand Colin, 2016), intitulé « Droit au blasphème ». « Les mêmes qui défendent le blasphème sont les défenseurs de la théorie du ‘choc des civilisations […]' », dit-il au sujet de la recrudescence des législations condamnant ce délit. « Pour eux, ‘chacun son blasphème, chacun sa religion, chacun sa civilisation’ est la nouvelle devise des temps modernes. Ce n’est que régression par rapport à l’esprit des Lumières et une négation de la laïcité. »En 2022, dix ans après l’avoir déjà dit sans l’imposer à ses camarades, le candidat l’annonçait à l’INA au cours d’un entretien : « Etant entouré de gens qui croient, que j’aime, et que je respecte, je ne ferai plus les mauvaises blagues de ma jeunesse où nous étions assez grossièrement anticléricaux au point d’être offensants pour ceux qui croyaient. » Jean-Luc Mélenchon est-il en train d’adhérer à « cette nouvelle devise des temps modernes » ?



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Author : Mattias Corrasco

Publish date : 2024-07-30 09:35:34

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