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Cour suprême : pourquoi la réforme proposée par Biden n’a aucune chance de voir le jour

Joe Biden pour son premier déplacement depuis l'annonce choc de son retrait de la course à la Maison Blanche, le 29 juillet 2024 à Austin (Texas)




D’aucuns peuvent imaginer combien renoncer à se représenter a coûté à Joe Biden. Lui qui s’est tant accroché à ce bureau Ovale. Et qui, avant d’y être installé, a si longtemps été écarté de la course qui pouvait l’y conduire. Ainsi, compte-t-il profiter de chaque moment qui le sépare de son départ de la Maison-Blanche. Six mois pendant lesquels il pourrait parachever « l’honneur de sa vie », selon sa formule, par une dernière réforme majeure. Pourquoi pas, par exemple, s’attaquer au vieux serpent de mer que constituerait une refonte de la sacro-sainte Cour suprême ?L’initiative a été dévoilée, ce lundi 29 juillet, en marge d’un raout commérant la loi sur les droits civiques, à Austin à la bibliothèque Lyndon B. Johnson. Ce même président qui comme lui, a renoncé à se représenter à la fonction suprême. Sous le soleil texan, les précautions sont de mise à trois semaines du grand Congrès des démocrates : « J’ai un grand respect pour nos institutions et pour la séparation des pouvoirs prévue par notre Constitution. » Et comme souvent, elles sont suivies d’un « mais » : « Mais ce qui se passe actuellement n’est pas conforme à cette doctrine de séparation des pouvoirs », pose le président démocrate. Avec, en toile de fond, une double référence.Tout d’abord, les révélations de corruption venues égratigner l’image de l’institution, concernant plusieurs juges qui auraient accepté vacances et cadeaux des mains de riches donateurs proches des milieux conservateurs. En avril 2023, le magazine d’investigation en ligne ProPublica avait notamment levé le voile sur la liste des avantages perçus par le juge Clarence Thomas dans le cadre de ses fonctions. Une somme qui se chiffre en dizaines de millions de dollars. Ensuite, une façon pour Joe Biden de donner un coup de canif à l’une des dernières décisions de la Cour suprême.L’élargissement de l’immunité présidentielleDébut juillet, le président de la Cour suprême américaine, John Roberts, a suscité la controverse en s’écartant de la neutralité institutionnelle jusqu’alors affichée depuis son entrée en fonction en 2005 sous la présidence de George W. Bush. C’est ainsi que fut interprétée la décision rendue par la majorité conservatrice six mois après la saisine du 12 février dernier de Donald Trump qui revendiquait l’immunité présidentielle. Le but pour l’ancien président ? Eviter le procès fédéral prévu le 4 mars dernier, et qui devait juger sa tentative de coup d’Etat qui a conduit à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021.Si la Cour, en se bornant aux actes constitutionnels, n’a pas concédé l’immunité pleine et entière, le verdict n’en reste pas moins un cadeau pour Donald Trump, qui voit ainsi s’éloigner le spectre d’un procès dans cette affaire. Et pour cause, dans sa décision, le président conservateur John Roberts fait valoir « la nature du pouvoir présidentiel » qui accorde à un ancien président « a minima une immunité présumée contre les poursuites pour tous ses actes officiels. » Une décision justifiée, entre autres, par la crainte d’une mise à mal de la séparation des pouvoirs.Pour de nombreux juristes, toutefois, cette décision rendue par la Cour ne se base sur aucun élément juridique. John Roberts et la majorité conservatrice de la Cour suprême n’ont fait qu’offrir à Donald Trump « une victoire significative qui pourrait inverser les rapports de force dans ses batailles juridiques », résume CNN. Et tandis que le juge libéral Ketanji Brown Jackson accuse la majorité conservatrice de semer « les graines du pouvoir absolu » pour les locataires de la Maison-Blanche, Joe Biden fustige « un précédent dangereux ».Une réforme vouée à l’échecAinsi, le chef d’Etat américain a-t-il plaidé ce lundi pour l’adoption d’un amendement constitutionnel retirant au président l’immunité « pour les crimes commis dans l’exercice de ses fonctions ». Problème : toute révision constitutionnelle nécessite l’approbation des deux tiers du Congrès et des trois quarts des Etats. Quorum dont ne disposent pas les démocrates. A peine présentée, la réforme de Joe Biden, qui comporte également la limitation du nombre de mandats des juges de la Cour suprême, est ainsi déjà flanquée de l’étiquette « mort-née ». Rien de surprenant, toutefois, tant l’institution est perçue comme intouchable aux Etats-Unis.Depuis les années 1930, aucun autre président après Franklin Delano Roosevelt ne s’est d’ailleurs risqué à toucher à la Supreme Court. A l’instar de Joe Biden, l’instigateur du New Deal avait hérité, à son arrivée au pouvoir en janvier 1933, d’une cour dominée par les conservateurs. Ainsi, pour éviter de voir ses réformes sociales retoquées par la Cour, avait-il proposé de nommer un nouveau juge à chaque 70e anniversaire d’un membre. « Mais la presse et les grands juristes sont montés au créneau, dénonçant une manipulation des institutions à des fins politiques, et faisant ainsi tomber à l’eau le projet », raconte à L’Express Françoise Coste, professeure à l’Université de Toulouse Jean Jaurès et spécialiste des Etats-Unis.Une manœuvre qui pourrait tourner en faveur de TrumpMais alors, pourquoi s’aventurer dans une réforme qui n’a aucune chance de voir le jour à six mois de l’élection suprême ? Pour canaliser la base démocrate, tout simplement. « A quelques semaines du grand congrès, Joe Biden était obligé de répondre à la décision d’étendre l’immunité présidentielle qui a fait de la Cour l’appendice de la campagne présidentielle de Trump », décrypte Françoise Coste. Davantage encore à l’heure où les décisions à forte coloration politique s’enchaînent. »Un basculement inédit semblait déjà avoir eu lieu avec l’annulation de l’arrêt Roe vs. Wade sur l’avortement en 2022″, se rappelle la spécialiste. Mais avec la décision d’étendre l’immunité du chantre du « MAGA » (pour Make America Great Again, slogan de campagne utilisé par Ronald Reagan lors de la campagne présidentielle de 1980 et reprise par Donald Trump), « la Cour suprême a atteint un point de non-retour », estime Françoise Coste, notamment avec John Roberts, « qui se lâche totalement et ne prend plus la peine de masquer son penchant pour la droite dure ». Ce même président de Cour qui martelait pourtant en 2018 : « Nous n’avons pas de juges pro-Obama ou pro-Trump, de juges pro-Bush ou pro-Clinton. »En outre, jeter un pavé dans la mare en mettant sur la table cette réforme pourrait être une façon pour le démocrate de faire la lumière sur les abus des juges conservateurs en pleine campagne présidentielle. La proposition a notamment été immédiatement soutenue par Kamala Harris, adoubée par Joe Biden immédiatement après son retrait de la course à l’élection présidentielle de novembre prochain. Attention toutefois à ne pas trop l’agiter, au risque de servir sur un plateau d’argent au candidat républicain un énième argument au service de sa rhétorique populiste.



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Author : Ambre Xerri

Publish date : 2024-08-01 07:30:00

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