Le gouvernement de Keir Starmer n’avait pas vu venir cette crise. Après une semaine d’émeutes, essaimant tous les jours un peu plus loin leur violence au Royaume-Uni, le Premier ministre travailliste a dû convoquer, lundi 5 août, une cellule de crise pour évaluer la situation. « Mieux vaut tard que jamais », a ironisé l’opposition conservatrice. Il faut dire que la torpeur estivale et les vacances parlementaires ont amoindri la réactivité des autorités…Par ailleurs, Keir Starmer et sa ministre de l’Intérieur Yvette Copper espéraient sans doute que les échauffourées entre militants d’extrême droite et la police du Yorkshire finiraient par s’atténuer. Et que la réalité, désormais connue autour du tragique fait divers ayant servi de déclencheur aux violences, viendrait calmer les esprits. Peine perdue. Les manifestations, tout d’abord localisées à Southport près de Liverpool, ont dégénéré en émeutes, qui augmentent en intensité et touchent chaque jour de nouvelles localités.Tout a donc commencé le 29 juillet dernier à Southport, quand un adolescent de 17 ans poignarde à mort trois fillettes et blesse gravement dix autres personnes. La police refusant de révéler l’identité du suspect, les rumeurs commencent rapidement à courir sur son origine et son statut. Des militants d’extrême droite font circuler la fausse information sur Telegram selon laquelle le meurtrier est un demandeur d’asile fiché et qu’il est musulman. La rumeur atteint le réseau social X et est relayée par l’influenceur milliardaire Andrew Tate ainsi que par l’ancien leader de la milice English Defence League, Tommy Robinson aux 10,8 millions d’abonnés. C’est ensuite au tour de TikTok d’amplifier la vague de désinformation. Pour Tim Squirrell, directeur de l’Institute for Strategic Dialogue, spécialiste de l’extrême droite et des stratégies de désinformation en ligne, c’est la boule de neige classique, « l’escalier à trois marches : Telegram, Twitter et TikTok ». »Une colère à l’état de frémissement permanent »Le résultat est immédiat. Le lendemain de la tragédie, des centaines de militants d’extrême droite convergent vers Southport et s’attaquent à une mosquée et à la police locale, visiblement débordée. De son côté, la police mettra trois jours à révéler l’identité du suspect : bien trop long pour que les faits tordent le cou aux mensonges. En réalité, le meurtrier de 17 ans est britannique, de parents Rwandais installés légalement au Royaume-Uni. Cela ne change pas grand-chose pour les émeutiers, qui n’avaient finalement besoin que d’un prétexte pour laisser libre champ à leur colère. « Une colère à l’état de frémissement permanent », estime Tim Squirrell.Aux vrais xénophobes, se sont agrégés des pillards, des voyous mais également une population pauvre notamment du nord de l’Angleterre qui se sent déclassée et négligée, en comparaison avec les minorités ethniques et les migrants qui, selon elle, sont beaucoup mieux traités et font l’objet d’aides spécifiques. Le prolétariat blanc se sentant menacé culturellement et socialement est sensible aux arguments de l’extrême droite. Pour lui, ces émeutes sont devenues en quelques jours un moyen de hurler sa frustration, comme le Brexit voici huit ans.Pour le moment, Keir Starmer parle de « brutalité d’extrême droite » et a dépêché des policiers supplémentaires pour aider à gérer la situation. Les forces de l’ordre des régions du sud-ouest de l’Angleterre, du Devon et des Cornouailles, sont mobilisées et s’attendent à des manifestations violentes et à des contre-manifestations de l’extrême gauche mais également de milices de défense de la communauté musulmane. On a déjà frôlé la tragédie, dimanche 3 août, quand un groupe de huit émeutiers a mis le feu à un centre d’accueil de réfugiés à Rotherham en bloquant les issues de secours avec 130 personnes à l’intérieur. Les secours ont pu intervenir à temps.L’opposition, et notamment le leader d’extrême droite Nigel Farage – qui condamne les violences mais réclame un débat national sur l’immigration -, presse Keir Starmer de rappeler les députés actuellement en vacances pour une session parlementaire d’urgence. Pour le moment, Keir Starmer s’y refuse. Pourtant, l’Irlande du Nord, après des pillages et scènes de violence anti-immigrés à Belfast, vient, pour sa part, de rappeler son assemblée en catastrophe.Keir Starmer mise pour le moment sur une réponse musclée, de nombreuses arrestations (au nombre de 450 hier soir) et la sévérité de la justice en comparution immédiate pour mettre un terme aux émeutes. Un mandat d’arrêt a même été émis à l’encontre de Tommy Robinson, militant d’extrême droite, qui a incité à la violence sur X depuis sa maison de vacances en Espagne. La ministre de l’Intérieur Yvette Cooper a fait savoir que toute action de désinformation en ligne serait poursuivie et sévèrement réprimée. Une enquête est également en cours sur le rôle que pourraient tenir certains pays dans la désinformation sur les réseaux sociaux.Les travaillistes sont confrontés à un premier test très sérieux. Ils ont intérêt à très rapidement faire la démonstration de leur efficacité s’ils ne veulent pas être entraînés sur une pente aussi glissante que dangereuse.
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Author : Agnès Poirier
Publish date : 2024-08-06 06:12:43
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