Editeur de la newsletter The Wednesday Letter et du site Populyst (une contraction de Population et Analyst), tous deux centrés sur la finance, la démographie, l’intelligence artificielle et la géopolitique, le New-Yorkais Sami J. Karam était précédemment le fondateur d’un fonds d’investissement axé sur les marchés américain et européen. Son analyse sur l’évolution démographique des sept « Etats pivots » cruciaux pour la présidentielle du 5 novembre (Arizona, Géorgie, Michigan, Nevada, Caroline du Nord, Pennsylvanie, Wisconsin) révèle que les plus jeunes électeurs pourraient y faire pencher la balance en faveur de la candidate démocrate.L’évolution démographique des Etats-Unis joue, selon vous, en faveur de Kamala Harris. De quelle manière ?Depuis 2020, plus de 16 millions de membres de la « Génération Z » ont atteint l’âge de voter. Ces primo-votants, nés entre 2003 et 2006, sont aujourd’hui âgés de 18 à 21 ans. Or cette catégorie vote majoritairement pour le Parti démocrate de Kamala Harris, pour les deux tiers d’entre eux. Même si l’on retranche 6 millions d’abstentionnistes à cette population de 16 607 976 millions (voir graphique), il reste plus de 10 millions d’électeurs dont près de 6,5 millions – j’arrondis – penchent pour Harris et seulement 3,5 millions environ du côté de Donald Trump. Cela représente un différentiel de presque 3 millions de votes en faveur de la candidate démocrate (2 869 858 exactement).D’autre part, plus de 8 millions des baby boomers ne se présenteront pas dans les bureaux de vote, soit en raison de leur décès, soit en raison de leur âge avancé. Or ceux-là votaient plutôt républicains dans une proportion de 55 % contre 45 %. Soit un différentiel assez faible. Sur la base de ces deux simples observations (concernant la Génération Z et les baby boomers), il est facile de conclure que les changements démographiques bénéficient davantage aux démocrates. Harris pourrait donc encore améliorer le résultat de Biden en 2020 d’au moins 3 millions de voix. Pour mémoire, Hillary Clinton et Joe Biden avaient tous deux remporté le vote populaire au niveau national : « Hillary » avait attiré 65 millions de suffrages contre 62 pour Trump – soit trois millions de voix d’avance – tandis que Biden avait gagné avec 81 millions de voix contre 74 – soit sept millions d’avance.Certes, mais comme l’a prouvé l’élection de Trump en 2016, l’élection ne se joue pas au suffrage absolu mais au niveau des grands électeurs…En effet, le président est élu par le collège électoral, et non par le vote populaire. Il faut donc examiner les évolutions démographiques en zoomant au niveau de chaque État, et plus précisément au niveau de chacun des sept « swing states », afin de vérifier si les chiffres cités plus haut sont pertinents à l’échelon local. Or c’est le cas.Evolution démographique : les nouveaux électeur de la génération ZPrenons l’exemple de l’Arizona. Que constate-t-on ? Il y a 383 290 électeurs supplémentaires de la Génération Z par rapport à 2020. Sur la base du taux de participation de cette tranche d’âge en 2020 et de sa préférence probable de 2 contre 1 pour le candidat démocrate, il y aura 136 605 nouveaux votes pour Harris et 70 372 pour Trump dans cet Etat, avec 66 233 voix d’avance pour Harris au sein de cette classe d’âge. A titre de comparaison, j’ai indiqué dans mon tableau la marge de victoire globale (tous âges confondus) en 2016 et en 2020 [NDLR : les deux dernières lignes].Sami J. Karam, éditeur de la lettre confidentielle « The Wednesday Letter » et du site Populyst (une contraction de Population et Analyst), tous deux centrés sur la finance, la démographie, l’intelligence artificielle et la géopolitique.Poussons le raisonnement plus loin. En Arizona, la faible marge de victoire de Biden était de 10 457 électeurs d’avance pour le camp démocrate en 2020. Selon mon calcul, Kamala Harris pourra améliorer cette marge de 66 233 voix supplémentaires et ainsi gagner avec 75 000 voix d’avance. En Géorgie, elle améliorerait son avance de 97 000 bulletins ; dans le Michigan, de 89 000 ; dans le Nevada, de 25 000 ; en Pennsylvanie de 101 000 ; dans le Wisconsin de près de 49 000. Elle pourrait même remporter la Caroline du Nord : Trump avait gagné en 2020 avec 74 483 voix d’écart ; cette année, les 84 525 nouvelles voix de la Génération Z pourraient inverser la tendance. Kamala Harris pourrait donc consolider l’avance déjà enregistrée en 2020, remporter les sept « Etats pivots » et, même, écraser Trump par un raz-de-marée en sa faveur. Je dis cela de manière complètement non partisane et indépendante sur la base de simples calculs statistiques.Mais l’arrivée de la Génération Z n’est pas le seul facteur !Evidemment, ce que j’avance ne relève pas de la science exacte. Mon analyse est intrinsèquement imprécise en raison de plusieurs autres facteurs. Elle suppose que toutes les autres choses restent égales, ce qui n’est évidemment pas le cas. Elle suppose aussi que le taux de participation sera similaire à celui de 2020, qu’il sera le même dans tous les Etats et que les préférences resteront les mêmes pour tous les groupes d’âge. De plus, il faudrait prendre en compte d’autres paramètres, comme les déménagements et les migrations d’un Etat à l’autre et, aussi, tenir compte du vote des immigrés naturalisés – qui pourrait d’ailleurs constituer un autre avantage pour Kamala Harris.Malgré tout, deux choses restent vraies. Primo, le changement démographique augmente le vote Harris, principalement en raison de l’arrivée des nouveaux électeurs de la génération Z et accessoirement du retrait progressif des votes des baby boomers. Deuzio, cette évolution est probablement assez importante pour faire basculer les Etats en faveur de Harris.Justement, que pèsera le vote des baby boomers ?En fait, l’évolution démographique est encore plus défavorable à Trump si l’on prend en compte le nombre de votes des baby boomers qui disparaîtront en 2024 par rapport à 2020, en raison de décès ou d’une participation plus faible aux élections en fin de vie. Environ 8,5 millions de votes de baby boomers disparaîtront, dont 4,8 millions de républicains et 3,7 millions de démocrates, soit une perte de 1,1 million de voix pour Trump.A votre avis, le discours de campagne de Trump est-il adapté à la situation ?Pas vraiment. Accuser Kamala Harris d’être « une communiste » est inopérant au-delà de la base des électeurs trumpistes. L’attaquer sur ses origines n’a pas davantage d’efficacité. Les Afro-Américains la voient comme l’une des leurs tandis que les Indiens-Americains voient ses origines indiennes. Tout le monde sait par ailleurs qu’elle appartient à l’élite du pouvoir et qu’elle est mariée à un homme blanc. Elle parle donc à toutes les communautés. Et n’oublions pas les femmes !Sauf erreur majeure de la candidate, l’on va sans doute assister à la même dynamique de campagne qu’en 2008 avec le candidat Barack Obama, avec la thématique de l’espoir, du renouveau et de l’optimisme. Il est indéniable que le camp démocrate fait souffler un vent d’air frais sur la campagne. On sent une excitation que, personnellement, je ne partage pas. J’aurais préféré un candidat ou une candidate avec davantage de densité, de profondeur et d’expérience en politique étrangère en cette période de grands enjeux géopolitiques. Mais mon avis importe peu. Ce qui compte pour les démocrates, c’est de séduire les jeunes, les femmes et les minorités. Et Harris est bien positionnée pour le faire.La campagne de Trump vous semble-t-elle bien partie ?Pour le moment, non. L’effet de contraste avec la candidature de Harris est indéniable. Maintenant, c’est lui qui paraît âgé. Les gens semblent las de la rhétorique trumpienne, essentiellement négative. Il y a une érosion liée au fait qu’il est omniprésent depuis 2015. De plus, Donald Trump se sabote lui-même en employant des mots comme bitch, ce qui en français signifie « salope » ou pire encore, pour désigner Harris.Ce n’est pas ainsi qu’il va conquérir les indécis. Les déclarations de son colistier J.D. Vance sur l’avortement ou sur les « femmes à chats » (c’est-à-dire les femmes sans enfants, qui ne comprendraient rien à l’avenir du pays) ne l’aideront pas davantage. Trump serait mieux avisé de parler de l’immigration, de l’inflation où même de son bilan en matière de politique étrangère, qui n’était pas mauvais. Mais il semble privilégier les attaques ad hominem sur la personne de Kamala Harris.Le choix de Tim Walz, comme colistier de cette dernière, est-il astucieux ?Son profil est intéressant. Au-delà de ses positions politiques, il est rassurant pour la classe moyenne. Ancien professeur et coach sportif, son monde est très éloigné de celui de la finance et de Wall Street. Il n’est ni de la côte est, ni de la côte ouest, c’est-à-dire hors de l’axe New York-Californie. Il possède ses racines dans le lointain Nebraska, au milieu du pays, et préside, comme gouverneur, aux destinées du Minnesota qui est certes un Etat démocrate depuis des décennies mais qui est aussi un endroit du Midwest où l’on chérit les valeurs traditionnelles de la famille, de l’effort, du mérite, du patriotisme.Enfin, il n’est pas riche. Sa fortune a été évaluée à 300 000 dollars (269 000 euros), ce qui est peu pour un homme politique de son âge. C’est même du jamais-vu. Songez à Nancy Pelosi, personnalité démocrate majeure dont la fortune s’élève à 230 millions de dollars, ou même à celle de J.D. Vance. Colistier de Trump, ce dernier est certes issu d’un milieu modeste mais sa fortune s’élève aujourd’hui à 10 millions de dollars. Le profil plutôt ordinaire de Tim Walz rappelle un peu celui de l’ex-président Jimmy Carter (1976-1980). Dans les trois Etats du Midwest qui sont des swing states (Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin), son style a de quoi séduire les primo-électeurs de la Génération Z.
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Author : Axel Gyldén
Publish date : 2024-08-26 05:30:00
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