Lula da Silva l’avait pourtant annoncé dès le lendemain de son élection, le 30 octobre 2022 : « Le Brésil est de retour » ! » Sur la scène internationale, l’offensive diplomatique du président brésilien, qui se voit comme le champion du « Sud global » [NDLR : terme désignant les puissances dites émergentes] n’est pourtant pas probante. Peu convaincant dans ses tentatives de médiation entre Kiev et Moscou, car critiqué pour ses positions prorusses, Lula avait, en début d’année, suscité un tollé en comparant l’opération israélienne à Gaza à l’Holocauste. Celui qui se définit comme le leader de la gauche sud-américaine s’est étrangement peu ému du drame qui se joue à ses frontières. Trente manifestants tués, 2 000 citoyens emprisonnés, dont des dizaines de mineurs, la répression qui s’est abattue sur le Venezuela après la réélection frauduleuse du président Nicolas Maduro, le 28 juillet, n’a suscité que de molles condamnations de la part du leader brésilien. « Le comportement de Maduro laisse à désirer », a-t-il déclaré. Et pour la fuite en Espagne d’Edmundo Gonzalez Urrutia, le candidat d’opposition, après le mandat d’arrêt émis contre lui début septembre ? « Très préoccupant », a simplement réagi son conseiller diplomatique Celso Amorim.A Brasilia, le constat est amer : Lula da Silva ne semble avoir aucune prise sur l’homme fort de Caracas. « J’ai parlé personnellement à Maduro avant le scrutin, a confié le chef de l’Etat brésilien. Je lui ai dit que ce serait justement la transparence du processus électoral et la légitimité du résultat qui nous permettraient de nous battre pour que soient levées les sanctions économiques occidentales contre le Venezuela. » Raté. Pour Lula, qui avait misé sur la convergence idéologique avec le successeur et héritier politique d’Hugo Chavez, l’échec est patent – et d’autant plus dommageable que la crise vénézuélienne représente pour lui un test diplomatique majeur.Ambiguïté de LulaLe leader brésilien veut encore y croire : Maduro, dont l’actuel mandat ne s’achève qu’en janvier, « a encore quatre mois devant lui », rappelle-t-il. L’Europe et les Etats-Unis s’en sont en effet remis à Lula pour trouver une issue négociée. Mais l’Amérique latine a bien changé depuis la première présidence du leader de la gauche brésilienne, voilà vingt ans. « Lula reste une voix importante sur le continent, mais dégager des consensus régionaux est désormais plus difficile », observe Denilde Holzhacker, professeure de relations internationales à l’université ESPM de Sao Paulo. Or, la question vénézuélienne remet en cause le leadership brésilien dans la région. « Plusieurs pays, menés par l’Argentine, ont basculé à droite et critiquent l’ambiguïté de Lula vis-à-vis de Maduro, poursuit-elle. Même la gauche latino est divisée ! » A l’image du président du Chili Gabriel Boric, qui incarne un nouveau leadership de gauche et a condamné la fraude électorale. Ce que Lula, lui, rechigne à faire.Contraint à la retenue en raison de sa proximité idéologique – mais aussi parce qu’il ne désespère pas de tenter une médiation –, Lula n’a pas reconnu la « victoire » de Maduro, tout en renvoyant dos à dos les deux adversaires. « Sans preuves, je ne reconnaîtrai ni la victoire de l’un ni celle de l’autre », dit-il… sans y croire lui-même. Les procès-verbaux électoraux n’ont en effet toujours pas été rendus publics par le Conseil national électoral. Quant aux bulletins comptabilisant le score des candidats par bureau de vote, ils « ne prouveraient plus rien », aurait-il lâché en privé. Plus d’un mois après le scrutin, le régime aurait largement eu le temps de les falsifier. « Logiquement, le Brésil devrait changer son fusil d’épaule et s’aligner sur l’opposition vénézuélienne », note Denilde Holzhacker. Avec tous les risques que cela comporte auprès de l’opinion brésilienne. Comment désavouer un Maduro qui garde des appuis à gauche au Brésil ? Comment accréditer des accusations de fraude électorale sans alimenter le complotisme de l’extrême droite ? Lula n’a pas oublié qu’en 2022 son prédécesseur Jair Bolsonaro l’avait accusé de lui avoir « volé » la victoire. « Le Brésil s’est mis lui-même dans une situation sans issue, se désole Hussein Kalout, chercheur auprès de l’université Harvard et ex-conseiller diplomatique de la présidence brésilienne. Il aurait fallu se montrer beaucoup plus ferme avec Maduro, et cela depuis longtemps, car les violations du processus électoral ne datent pas d’hier. »Qu’on en juge. En janvier 2024, la leader vénézuélienne de la Plateforme unitaire de l’opposition, Maria Corina Machado, bête noire du régime, a été empêchée par la justice de disputer le scrutin. Puis ce fut le tour de sa remplaçante, Corina Yoris. Dans l’accord qu’il avait signé avec son opposition le 17 octobre 2023, Maduro s’était pourtant engagé à tenir des élections libres, en échange d’un allègement des sanctions économiques américaines. Croyant encore à leur relation privilégiée, Lula s’était porté garant de sa parole. Et l’avait reçu à Brasilia, le 29 mai 2023, mettant fin à l’interdiction de séjour dont Bolsonaro l’avait frappé. « Jusqu’au bout, Lula a voulu croire que Maduro pouvait gagner sans fraude, pointe Hussein Kalout. Ses stratèges ont sous-estimé la capacité d’organisation de l’opposition vénézuélienne et l’ampleur du mécontentement populaire. Tout s’est passé comme si le Brésil de Lula s’accommodait d’un Maduro certes autoritaire, mais allié géopolitique au sein du Sud global », le dada de la diplomatie luliste.Lula a peu de leviers sur MaduroCoincé, le président brésilien ne peut même pas pousser à l’organisation d’une nouvelle élection – une idée fixe chez lui. D’abord, parce que Nicolas Maduro n’en veut pas – et son opposition pas davantage. Ensuite, parce que la Russie et la Chine – deux grands concurrents du Brésil au Venezuela – ont déjà reconnu sa victoire. Moscou fournit son armement à Caracas, tandis que Pékin achète son pétrole, soumis aux sanctions américaines. A côté, le Brésil ne fait pas le poids. Mettre Maduro sous pression n’aurait probablement qu’un effet : consommer la rupture de Maduro avec Lula… qui ne peut se le permettre. « Economiquement, le Brésil dépend davantage du Venezuela, qui fournit de l’électricité à l’Etat brésilien du Roraima, que le contraire », précise Hussein Kalout. Seul levier dont dispose Lula, « Maduro a besoin de la reconnaissance du Brésil, la plus grande démocratie d’Amérique latine », poursuit le chercheur.Est-ce suffisant ? Pas sûr, d’autant que le durcissement du régime rend plus ardu une sortie de crise. Décidément, la « diplomatie de la bossa-nova », comme on surnomme la politique étrangère brésilienne, ne cesse d’enchaîner les fausses notes.
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Publish date : 2024-09-20 05:30:00
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