L’Express

« Qu’est-ce qu’on a pu s’engueuler sur Pétain » : l’histoire de la « promo 93 », berceau des avocats de Le Pen

La cheffe des députés RN Marine Le Pen le 15 septembre 2024 à Paris.




2023 touche à sa fin. Un drôle d’attelage surgit sur la place Dauphine à Paris. Il s’engouffre à l’intérieur du Caveau du Palais, restaurant préféré du Barreau. Autour de la table, l’ancien ministre de l’Economie Arnaud Montebourg, l’avocat et eurodéputé Rassemblement national Alexandre Varaut, Basile Ader, ancien vice-bâtonnier de Paris, Me Rodolphe Bosselut, avocat attitré de Marine Le Pen, Maître Pascale Lalère, spécialiste du droit de la famille, ou Nicolay Fakiroff, avocat, lui aussi, du parti d’extrême droite. Ce jour-là, le petit groupe célèbre un anniversaire. Il y a 30 ans, ils intégraient la même promotion de la Conférence du stage, célèbre concours d’éloquence, Graal absolu pour tout avocat débutant. Depuis, ils ont pris l’habitude de se retrouver, une à deux fois par an. L’ambiance est chaleureuse, la table animée. On plaisante. « Pour ma légion d’honneur, tu t’adresseras à Marine ! », s’esclaffe un convive. « Marine », c’est Marine Le Pen.Tous ont fait du chemin en trois décennies. Certains l’ont fait côte à côte. Aujourd’hui Alexandre Varaut, Rodolphe Bosselut et Nicolay Fakiroff assistent Marine Le Pen pour l’affaire dite des « assistants parlementaires » dont le procès s’est ouvert le 30 septembre au Tribunal correctionnel de Paris. « C’est la mafia des secrétaires de la conférence », s’amuse Alexandre Varaut. L’affaire ne fait pas rire tout le monde. « Je ne viendrai pas à ce dîner, c’est tous des fachos », a lâché devant Arnaud Montebourg, l’un des anciens camarades de promo. Le socialiste déçu, lui, considère que les désaccords politiques n’ont pas leur place dans cette amitié vieille de 30 ans dont l’histoire débute en 1993. »La promo 93″Nous sommes sous Mitterrand. Ils sont trentenaires, et jeunes avocats. Aux profils pour le moins variés. Alexandre Varaut, engagé à l’époque aux côtés de Philippe de Villiers, suit les traces de son père, Jean-Marc, premier secrétaire de la promotion 1959, et stagiaire de Jean-Louis Tixier-Vignancourt (avocat et candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle de 1965). Il se lie rapidement d’amitié avec Rodolphe Bosselut, fils du maire RPR de Font-Romeu, qu’on définit comme « de droite » mais qui n’entend pas faire carrière en politique. Arnaud Montebourg, militant socialiste depuis 1985, se souvient de débats animés dans la promotion : « Je me rappelle qu’on avait souvent des discussions enflammées sur le sujet, qu’est-ce qu’on a pu s’engueuler à propos de Pétain ! » Alexandre Varaut raconte avoir vu l’ancien ministre entonner « Maréchal nous voilà ! », « au second degré évidemment », lors d’un dîner de la conférence. « Nicolay Fakiroff, lui, c’était le russe blanc d’extrême droite affiché, commente un ex-camarade. Il était anti-communiste viscéral, c’était une sorte de style, c’était très esthétique. » Bref, résume Montebourg : « C’était une promo très politisée, on rigolait beaucoup, mais toujours avec beaucoup de bienveillance. »Le socialiste devient major de promo. Il force, à l’époque, l’admiration de ses pairs. Notamment celle de Rodolphe Bosselut, qu’il surpasse lors d’un duel oratoire. « Le sujet était : le domaine public appartient-il à tous ? Pour mon niveau, j’avais fait un bon discours. Je me rassois. Et je comprends vite que l’humilité doit toujours se rappeler à vous. Arnaud a fait un discours terrible, drôle, brillant, fin », se souvient Bosselut dans les colonnes de GQ. Un lien fort se noue entre les camarades. Arnaud Montebourg deviendra le parrain du fils de Rodolphe Bosselut, et cette promotion insolite fait sourire le Barreau parisien.Marine Le Pen et « la conf’ »D’autresà l’époque rêvent d’intégrer la conférence. Une jeune avocate en particulier. Elle travaille aux côtés de l’avocat et député frontiste Georges-Paul Wagner, et s’appelle Marine Le Pen. Dans les couloirs du Palais de Justice, nombreux sont ceux qui refusent de lui adresser la parole. Il ne fait pas toujours bon être la fille du « diable de la République ». Alexandre Varaut et Rodolphe Bosselut n’ont pas ces pudeurs et lui serrent volontiers la main devant la chambre de la presse. Marine Le Pen prend l’habitude de copiner avec les anciens secrétaires de « la conf’ ». Souvent, elle passe à la table d’anciens à la buvette du palais, où se trouve régulièrement Nicolay Fakiroff, qui travaille à l’époque aux côtés de Jean-Baptiste Biaggi, un proche de Jean-Marie Le Pen. Le contact se fait naturellement. Marine le Pen a envie de tenter le coup. D’anciens secrétaires l’en dissuadent. L’épisode était raconté dans L’Express. « Tu vas te faire massacrer, n’y va pas », lui conseille Jean Balan. « Si tu te présentes, tu dois prendre tes distances politiquement avec ton père dès ton premier discours », la met en garde Chabert. « T’es un c…, tu n’as rien compris », lui rétorque-t-elle. Elle renonce, finalement, persuadée qu’elle n’aurait aucune chance d’être retenue. Elle garde le contact, étroit, avec les quelques anciens secrétaires. Ceux notamment de la promo 1993.Un jour de 2016, le téléphone d’Alexandre Varaut retentit. Marine Le Pen au bout du fil. Les bureaux du Front national viennent d’être perquisitionnés pour une affaire de soupçons d’emplois fictifs à Strasbourg. Elle a besoin d’un avocat. De confiance, c’est mieux – il travaille déjà pour le parti d’extrême droite depuis deux ans. Qui connait le fonctionnement du Parlement européen, idéalement. Vendu. L’ancien villiériste commence à plancher sur le dossier. Et participe à la constitution de l’équipe de défense. Pour cette affaire, il faut ce qu’il appelle des avocats FN-compatibles. « Il y a une logique politique derrière, tu sais que si tu fais du bon travail, tu participes à améliorer l’image du RN et sa position », revendique Alexandre Varaut. Ça tombe bien, il connait quelques profils. Son ami Rodolphe Bosselut, bien sûr, qui travaillait déjà avec Marine Le Pen. Nicolay Fakiroff, également, recommandé par la patronne.La Conférence, vivier de recrutement pour le RNLa Conférence est un formidable lieu de réseau et un vivier de qualité pour qui sait le solliciter. Yann Le Pen souhaite changer d’avocat ? Thibault de Montbrial ne lui convient plus ? – « Il est très cher et ne fait pas grand-chose », lâche au passage un aimable confrère. Qu’à cela ne tienne, on connait un petit jeune très bien : Grégoire Etrillard, promotion 2011. Alexandre Varaut, élu au Parlement européen, ne peut plus assurer la défense en tant qu’avocat ? Solange Doumik, promotion 1995, fera très bien le travail. Le puzzle se complète au fil des mises en examen, et les frontistes piochent volontiers parmi les anciens secrétaires qui se réunissent régulièrement chez l’avocat François Wagner, avenue de la Grande Armée, pour préparer le procès. Marine Le Pen fait quelques apparitions.D’anciens secrétaires viennent aussi grossir les listes de candidats. Pascale Pierra, membre de la promotion 1995, figure sur la liste RN pour les élections européennes, et est élue au Parlement européen le 9 juin. Francis Szpiner, président de l’association de la Conférence, n’en revient pas : « Ce n’est pas croyable ! Le fait que des avocats s’affichent désormais avec l’étiquette RN ou comme sympathisants est un vrai tournant dans la normalisation du parti. » Les avocats en question, quant à eux, savourent. « Il y en a qui vont s’étouffer à la Conférence en lisant votre papier », se délecte Alexandre Varaut. Au sein de la promo 1993, pourtant, personne n’est tombé des nues en découvrant les noms de leurs camarades accolés à celui de Marine Le Pen. La boucle WhatsApp continue de vivre. Récemment, Arnaud Montebourg a même été salué par le trio frontiste pour son interview du 14 avril 2024 dans Le Figaro. « Excellent entretien, j’aurais pu le signer », s’est moqué Alexandre Varaut. Le Caveau du Palais peut se rassurer, les dîners ne sont pas près de cesser.



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Author : Marylou Magal

Publish date : 2024-10-08 15:00:00

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