L’Express

Patrick Weil : « Donald Trump imprévisible ? Woodrow Wilson l’était tout autant »

Donald Trump lors d'un meeting à Tempe, en Arizona, le 24 octobre 2024




Un fou à la Maison-Blanche ? Oui mais ce n’est pas celui que l’on croit. Dans un livre enquête ébouriffant, l’historien Patrick Weil évoque la personnalité borderline du président démocrate Woodrow Wilson (1913-1921) qui n’est pas sans rappeler celle d’un certain candidat à la présidentielle de 2024. Voilà un siècle, l’inspirateur de la Société de nations (SDN) qui était venu à Paris pour négocier en personne le traité – de Versailles – censé garantir au monde une paix perpétuelle terminait son mandat dans une atmosphère de dérive populiste et de confrontation avec ses adversaires. Récipiendaire du prix Nobel de la Paix, certains, dans son pays, le décrivaient alors comme « un fou », sinon « un déséquilibré ».Sa personnalité était si contradictoire – d’un côté, un idéaliste faiseur de paix ; de l’autre, un névrosé ne supportant pas l’once d’une critique – qu’elle inspira une étude « psy » au fondateur de la psychanalyse Sigmund Freud. Longtemps oublié, ce travail a été retrouvé en 2014 dans les archives de l’université de Yale par Patrick Weil. Un scoop dont il a tiré un thriller intellectuel passionnant, Un fou à la Maison-Blanche (Odile Jacob, poches). Pour L’Express, Patrick Weil évoque les points de ressemblance entre le démocrate Woodrow Wilson et le républicain Donald Trump. Ils sont nombreux, à commencer par leur relation compliquée avec leur père.L’Express : Votre dernier livre, Un fou à la Maison-Blanche, n’est pas consacré à celui que l’on pourrait croire…Patrick Weil : Mon livre parle effectivement de Woodrow Wilson, pas directement de Donald Trump ! Mais il existe des points communs entre eux. S’il est élu, Donald Trump menace de tourner le dos à ses alliés de l’Alliance atlantique qu’il menace carrément de quitter. L’imprévisible Woodrow Wilson, lui, l’a fait. Après être venu à sa rescousse de la France et de ses alliés pendant la guerre de 1914-1918, il a donné l’ordre aux sénateurs démocrates de voter contre le traité de Versailles, renonçant à adhérer à la Société des Nations, ancêtre de l’ONU. Ce faisant, il a aussi détruit la première alliance atlantique, l’engagement de la solidarité militaire avec la France en cas d’agression allemande, qu’il avait signé au nom des Etats-Unis aux côtés du Royaume-Uni.Aux éditions Odile Jacob.Le « cas » Wilson relève, dites-vous, de la folie ou, du moins, d’un déséquilibre psychologique, dans la mesure où il n’y a guère de logique à son repli isolationniste de 1919.Initialement, Woodrow Wilson est le principal apôtre de la paix. Il est, pour ainsi dire, l’inventeur de l’idée de sécurité collective en Europe. Dès janvier 1918, alors que la guerre franco-allemande fait rage, il présente ses « Quatorze Points », un programme pour la paix mondiale. Un mois après l’Armistice du 11 novembre 1918, il débarque en France en décembre et s’installe dans la capitale… pendant six longs mois ! Jusqu’à la fin juin 1919 et la signature du Traité de Versailles, il réside dans le 16e arrondissement parisien où il installe une « Maison-Blanche itinérante » [NDLR : à l’hôtel de Noailles, sur l’actuelle place des Etats-Unis, non loin de l’avenue du président Wilson]. Il participe à la Conférence de paix de Paris dont il est l’un des protagonistes majeurs en sa qualité d’architecte de la Société des Nations, la SDN. Son idéalisme et sa vision d’une paix durable lui vaudront d’ailleurs d’obtenir le prix Nobel de la paix 1919.Parallèlement au Traité de Versailles, Woodrow Wilson signe aussi le « Traité de garantie » visant à assurer la sécurité de la France face à l’Allemagne. Egalement connu sous le nom de « traité d’assistance mutuelle franco-anglo-américain », ce texte, signé le même jour que le traité de Versailles, le 28 juin 1919, offre une garantie supplémentaire de sécurité contre une éventuelle agression allemande. Il stipule en effet que les États-Unis et le Royaume-Uni viendraient « immédiatement » en aide à la France en cas d’une « agression non provoquée » de l’Allemagne. En somme, c’est l’article 5 du Traité de l’Otan avant l’heure, lequel, comme on sait, affirme qu' »une attaque armée contre un ou plusieurs membres de l’Otan sera considérée comme une attaque contre tous ses membres ». Cependant, alors même que ces deux traités ainsi que la création de la SDN constituent son grand-oeuvre, les Etats-Unis n’adhéreront jamais à la SDN ni ne ratifieront les traités signés à Paris. Et cela en raison d’un changement d’humeur, ou plutôt d’un coup de folie, du président Wilson, un tantinet déséquilibré.C’est-à-dire ?Si Woodrow Wilson renonce soudain à la solidarité transatlantique, c’est vraiment pour une peccadille. Voici l’histoire. Après son retour aux Etats-Unis, les deux traités doivent être ratifiés par le Sénat. Or les républicains, qui dominent cette chambre, entendent émettre de menues réserves et rappeler, en l’écrivant noir sur blanc, que l’engagement de l’armée américaine dans un conflit (pour venir au secours d’autres nations que la France) est soumis à l’approbation préalable d’un vote du Congrès. En fait, il s’agit juste de rappeler ce que prévoit la Constitution américaine. Les élus entendent ajouter que « le président doit respecter la Constitution ». Mais pour l’irascible Woodrow Wilson, c’est trop. Il n’admet pas la moindre critique contre « son » Traité de Versailles, « son » traité de garantie et « sa » SDN, qu’il considère comme quelque chose d’aussi sacré que les Dix Commandements. Or on ne modifie pas les Dix Commandements ! L’ironie de l’histoire est évidemment que Woodrow Wilson est aussi un professeur… de droit constitutionnel.Un autre facteur entre en jeu. Wilson est habité par une violente haine contre son principal adversaire politique, le sénateur républicain Henry Cabot Lodge, le leader des républicains au sénat. Il préfère donc détruire son grand œuvre et renoncer à tout ce projet plutôt que de faire l’objet de critique et passer sous les fourches caudines du parti républicain. Hélas, les conséquences de ce caprice sont vertigineuses. Car jamais Hitler (arrivé au pouvoir seulement quatorze années plus tard) n’aurait déclaré la Seconde Guerre mondiale ni attaqué la France si le traité de garantie avait été approuvé par le sénat américain. De plus, sans la présence des Etats-Unis, la SDN avait perdu toute sa substance. C’était une institution mort-née. Quelque chose de comparable à l’ONU ou l’Otan sans les Américains. Absurde ! L’enseignement à tirer est la suivante : les Américains ont déjà abandonné l’Europe en rase campagne une première fois. Ils sont capables de le refaire. Wilson était imprévisible ? Trump l’est tout autant. Il menace maintenant de quitter l’Otan ? Il le fera peut-être.Cela démontre que les caractères des dirigeants pèsent le cours de l’Histoire.Heureusement, nous, Français, avons eu de la chance de pouvoir compter sur Winston Churchill. En donnant un micro à De Gaulle le 18 juin 1940 pour qu’il s’exprime sur la BBC, il nous a sauvé la mise. Et avec Franklin D. Roosevelt, il a sauvé la France. Il n’est pas anodin que ces deux-là aient été présents à la conférence de la paix de Paris en 1919. Le premier, en tant que ministre de la Guerre de Sa Majesté ; le second, en tant que secrétaire d’Etat à l’U.S. Navy. Churchill et Roosevelt étaient aux premières loges à Paris et ils ont vu où le revirement de Wilson a mené le monde. C’est pourquoi ils ont su réagir face à Hitler en 1939.Churchill se souvenait parfaitement que Wilson avait abandonné l’Europe. Le général De Gaulle, également, n’a jamais oublié la leçon. Il connaissait très bien cette histoire. D’où son obsession pour la souveraineté nucléaire de la France. La relation de la France au reste du monde a toujours été déterminée par le risque que l’Amérique nous abandonne. Si Donald Trump rompt avec l’Otan, son retour à la Maison-Blanche aura les mêmes conséquences catastrophiques que la volte-face de Woodrow Wilson en 1919. De nouveau, nous sommes à la merci du caractère déséquilibré d’un seul homme. Et d’une poignée d’électeurs dans des « swing states ».D’autres points communs entre Wilson et Trump ?A la fin de son mandat, Wilson, s’est mis à détester les élites politiques. Il s’est réinventé en leader populiste. Au lieu de négocier et de ratifier les traités en passant par le Congrès, selon la règle, il s’est mis en tête de consulter le peuple par référendum – ce que la constitution américaine ne permet pas. Il a entrepris une grande tournée de meetings dans les Etats américains de l’ouest et du Midwest afin que le peuple fasse pression sur les sénateurs et les oblige à ratifier les traités qui étaient sa création. Cela n’a pas fonctionné.Fred Trump était autoritaire, cruel, égoïste, racistePatrick WeilIl y a aussi des ressemblances du côté familial. Les relations de Trump et de Wilson avec leur père sont assez similaires. Fred Trump [NDLR : décédé en 1999 à l’âge de 93 ans] était autoritaire, cruel, égoïste. C’était aussi un homme raciste qui refusait d’avoir des locataires noirs dans les appartements de son petit empire immobilier. Fondateur de la société Trump, c’était une figure imposante et un père humiliant, comme l’illustre bien le biopic The Apprentice. Tout comme Woodrow Wildon, Donald Trump était engagé dans une relation de compétition avec son père, compétition qui s’est révélée victorieuse. Donald a dépassé Fred, tout comme Woodrow a dépassé Joseph, avant de s’effondrer.Le révérend père Joseph Ruggles Wilson – le papa de Woodrow, donc – était du même genre : autoritaire, dominateur et… propriétaire d’esclaves. Pasteur de l’église presbytérienne des Etats-Unis, il avait soutenu les États confédérés pendant la guerre de Sécession. Toute sa vie, son fils Woodrow a eu – comme Donald Trump, qui l’invoque encore lors de ses meetings – le sentiment de devoir lui rendre des comptes. Wilson ne fut donc jamais complètement libre de ses choix. Dans sa jeunesse, son père l’a humilié à maintes reprises. Résultat, derrière l’apparente tranquillité du président, un intellectuel qui avait été à la tête de l’université Princeton, se cachait une agressivité rentrée, jamais exprimée, qui se manifestait lorsqu’un schéma d’humiliation publique se manifestait.Dès que quelqu’un traitait Wilson de la même manière que son père, cela réveillait en lui une agressivité inouïe, incontrôlable. Rancunier, il était capable de rompre définitivement les liens avec des amis chers dès lors qu’ils s’étaient opposés à lui devant des témoins. Comme Donald Trump, Wilson ne supportait pas les désaccords en public. Sa haine du sénateur républicain Henry Cabot Lodge vient de là. Il avait aussi coupé les ponts avec son principal conseiller diplomatique, le colonel House, pendant les négociations du traité de Versailles, tout en se rapprochant du représentant de l’Afrique du Sud, Jan Smuts, l’un des inspirateurs du régime d’apartheid.Tiens, c’est intéressant. Vous avez une thèse là-dessus ?Effectivement. Selon moi, Wilson, Smuts, Donald Trump et Elon Musk partagent le même imaginaire et des visions du monde comparables. Woodrow Wilson, qui aurait voulu être le président de la SDN, se voyait déjà comme le futur dirigeant du monde blanc et chrétien, libéré du carcan de la constitution américaine. A la tête d’un éventuel gouvernement supra mondial, la SDN, ce nouveau Christ, mégalomane, n’envisageait qu’une seule personne pour diriger le monde à ses côtés : le général sud-africain Jan Smuts qui avait rédigé les statuts de la SDN avec lui.Né avant la guerre de Sécession en Virginie, un Etat du sud, Woodrow Wilson appréciait particulièrement Smuts, comme lui un chrétien, un intellectuel et un idéaliste qui s’exprimait avec une pointe d’emphase. Figure historique en Afrique du Sud où, aujourd’hui encore, de nombreuses rues portent son nom, Smuts avait commencé sa carrière comme une sorte de « général Lee » afrikaner (le meilleur de la Seconde guerre des Boers) et la poursuivait comme un Wilson sud-africain, décidé à servir son pays avec le dessein d’unifier la « civilisation » blanche et chrétienne. Son universalisme, comme celui de Wilson, s’appliquait en effet exclusivement aux Blancs. Dans sa dernière interview, le prix Nobel de la paix Wilson a dit du premier ministre sud-africain Smuts : « Il est la seule personne que je respecte au monde. »Donal Trump, c’est la revanche du mâle blanc occidentalPatrick Weil Donald Trump, qui est le fils d’un sympathisant du Klu Klux Klan, m’évoque irrésistiblement Woodrow Wilson. Appuyé par l’électorat blanc et chrétien, son projet est de même teneur. Avec la nomination de juges conservateurs à la Cour suprême, il a rétabli un certain ordre chrétien qui pourfend l’avortement. Et en fermant les frontières à l’immigration, il entend que les Blancs restent majoritaires dans son pays. Face à une candidate noire, Kamala Harris, Donald Trump personnifie la revanche du mâle blanc occidental qui a commencé à perdre ses droits avec la victoire des soldats abolitionnistes de l’Union lors de la Guerre civile (ou de Sécession) en 1865. A l’instar de Wilson vis-à-vis de Smuts, il semble qu’aujourd’hui, Donald Trump ne respecte qu’une seule personne au monde : Elon Musk, dont le projet ultime consiste à sauver l’élite blanche en l’envoyant dans l’espace pour qu’elle survive à l’extinction de l’espèce humaine. Je ne peux m’empêcher de penser qu’Elon Musk est né en Afrique du Sud à l’époque où le régime d’apartheid était encore en vigueur… et dont Jan Smuts fut l’inspirateur quelques décennies avant la naissance du créateur de Space X.



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Author : Axel Gyldén

Publish date : 2024-11-03 17:45:00

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