« L’Etat ne peut pas tout ». Soufflée par Lionel Jospin alors Premier ministre de cohabitation, la formule aux airs de résignation fête cette année son quart de siècle. Pourtant, à l’heure où les défaillances de l’Etat sont sans cesse pointées du doigt, l’aphorisme n’a jamais semblé en pareille résonance avec l’actualité. Dégradation des services publics, difficile maintien de l’ordre… Les griefs sont légion. Mais ces dernières années, les débats les plus vifs se sont cristallisés autour de la question de la gestion des flux migratoires. La loi immigration de 2024 prévoit notamment un durcissement des critères de langue, entre autres. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, a d’ores et déjà annoncé une nouvelle loi immigration pour début 2025.Malgré un raidissement sur la question, la France continue à se montrer ouverte sur les demandes qui rentrent dans le cadre du droit d’asile. L’an dernier, plus de 60 800 demandeurs d’asiles ont obtenu le statut de réfugiés (sur 167 056, en hausse de 7,22 % par rapport à 2022), même si selon les informations obtenues par L’Express auprès de l’Office français de l’immigration et l’intégration (Ofii), pour 2024, les demandes seront plutôt à la baisse par rapport aux années précédentes. Le nombre total de réfugiés dans l’Hexagone s’élève aujourd’hui à 660 000. C’est près de six fois plus qu’en 2007.Un véritable enjeu pour les pouvoirs publics qui peinent à trouver la martingale pour intégrer ces nouveaux arrivants. « On a immédiatement compris que l’Etat seul ne parviendrait pas à gérer autant d’arrivées, on a donc initié un programme d’aide aux réfugiés en apportant un soutien à la fois financier et matériel aux associations », explique Isabelle Giordano, responsable mécénat du Groupe et Déléguée générale de la Fondation BNP Paribas. Pour elle, pas de doute : le secteur privé doit se saisir de la question de l’intégration des réfugiés. « Ils sont en France, et pour beaucoup d’entre eux, veulent le rester. Il faut simplement leur donner les moyens de le faire dans de bonnes conditions ».Apprendre la langue et maîtriser les codesL’intégration s’organise autour de deux volets : l’apprentissage du français et l’insertion professionnelle des réfugiés. Avec la loi immigration adoptée début 2024, les règles s’apprêtent donc à changer. Tandis qu’un suivi assidu de cours de langue suffisait jusqu’à présent pour obtenir un titre de séjour, celui-ci sera désormais conditionné à la réussite d’un test de langue de niveau A2. Un niveau d’exigence plus élevé, qui implique un engagement plus important dans l’apprentissage, alors que les structures ne sont pas légion.Pour Didier Leschi, directeur général de l’Ofii, cette exigence est indispensable : « Toute mesure qui va en direction d’un alignement avec le reste de nos voisins européens est une avancée en matière d’intégration, pour la simple raison que la France est en retard sur cette thématique », estime-t-il. D’autant que, selon lui, plus de 10 % des réfugiés sont non-lecteurs et non-scripteurs à leur arrivée en France, « ce qui complique l’apprentissage du Français ».Mais pour le patron de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, le seul apprentissage de la langue est à « mille lieues » d’être suffisant. « Il faut que les réfugiés intègrent en parallèle les codes sociaux de la société française ». Impératif bien compris de l’association Pierre Claver, qui dès sa création en 2008 a fait le pari de se priver du soutien financier direct de l’Etat. « On ne voulait pas peser sur les dépenses publiques, au contraire, on voulait soutenir l’effort national sur la question de l’accueil des réfugiés », explique Ayyam Sureau, présidente et co-fondatrice de Pierre Claver.L’organisme d’aide aux réfugiés a ouvert en septembre dernier une première classe de 15 élèves venus des quatre coins du globe en partenariat avec le leader mondial de la construction, Vinci. Arzo, une Afghane de 23 ans qui bénéfice du programme, raconte : « Dans mon pays, les femmes ne peuvent pas étudier, travailler, et depuis peu, n’ont même plus le droit de parler. Je suis en train d’apprendre le français, parce que je veux rester en France pour y travailler. »Une classe de réfugiés au cœur de l’entrepriseDans ce programme inédit et innovant, professeurs, mentors et intervenants ne sont autres que des salariés du géant de la construction. Sur leur temps de travail, les salariés donnent des cours, animent des ateliers, et conseillent les jeunes réfugiés. Une première de ce type en France. « S’il n’est pas rare que les grandes entreprises apportent un soutien matériel et financier aux associations, c’est inédit qu’une entreprise s’investisse en mobilisant directement des ressources humaines sur leur lieu et pendant leur journée de travail pour accueillir des réfugiés », souligne Priscille Dargnies, co-fondatrice du programme ENT.RE.Le programme se déroule sur cinq mois, et se compose en plus d’une classe de français de quatre ateliers hebdomadaires : sur l’actualité, les particularismes régionaux, la gastronomie et un cours sur l’humour français et ses spécificités et ses nuances. « On est convaincus que, pour se sentir faire partie d’un pays, il est très important d’en comprendre le ciment culturel commun pour ne pas ressentir ce décalage qui peut isoler un étranger », fait valoir Priscille Dargnies. En plus de Vinci, trois autres leaders économiques sont en lice pour ouvrir une classe en partenariat avec l’association Pierre Claver : Aéroports de Paris (ADP), EDF et AXA.Le fleuron français de l’assurance fait partie des entreprises dont le projet est le plus abouti. « Pour l’instant, on se limite à donner des bourses pour que les élèves de Pierre Claver puissent s’inscrire à l’université, mais on aimerait bien pouvoir associer à ce soutien financier et matériel, une aide plus concrète en ouvrant une classe », confirme Juliette Prieur, en charge du mécénat et de l’engagement bénévole des collaborateurs chez AXA. L’an dernier, deux stagiaires de l’école Pierre Claver ont été intégrés au sein d’équipes. « Je suis convaincue que ces liens avec le monde de l’entreprise sont un facteur clef pour l’intégration durable des réfugiés », martèle Ulrike Decoene, Directrice de la Communication, de la Marque et du Développement Durable du Groupe AXA.La crise syrienne, véritable prise de conscienceLes premiers pas du monde économique tricolore dans l’aide aux réfugiés remontent à 2015. Avec l’intensification du conflit en Syrie, le Vieux continent connaît un afflux massif de nouveaux arrivants. Rapidement, les Etats côtiers vers lesquels arrivent les migrants – Grèce, Italie – se retrouvent submergés. A Bruxelles, on ne parle plus que de la « crise » migratoire. « Personne ne s’attendait à des demandes d’asile, tous les services étaient engorgés, et le temps d’attente était extrêmement long », se souvient Ayyam Sureau, directrice de l’association Pierre Claver.La Fondation BNP Paribas de son côté accompagne depuis une trentaine d’associations et d’organismes établis dans 11 pays européens et participe aux financements de programmes impulsés par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, l’association Apprentis d’Auteuil ou encore Simplon. C’est notamment cette start-up spécialisée dans l’apprentissage et la formation professionnelle qui a monté Refugeeks, une formation de huit semaines maillée de cours de français et de formation au numérique. Le but ? Eliminer les germes d’une fracture numérique entre immigrés et nationaux, obstacle à la création d’un curriculum vitae, à la recherche d’un emploi et donc, à l’insertion professionnelle qui constitue la clef de voûte de l’intégration des réfugiés.Une impulsion transnationaleL’enjeu est tel qu’un forum international est organisé par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés tous les quatre ans à Genève, en Suisse. Pendant trois jours, conférences, tables rondes et débats s’articulent autour du rôle des acteurs privés dans l’accueil et l’intégration des immigrés. En 2023, les 4 200 participants ont signé quelque 1 600 engagements visant à soutenir les réfugiés. Sur les 2,2 milliards de dollars mis sur la table, 250 millions proviennent du secteur privé. Mais « au-delà du soutien financier, les entreprises peuvent jouer un rôle dans la déconstruction des préjugés accolés aux réfugiés », estime Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France Terre d’Asile et du conseil stratégique de la Tent Foundation, qui sensibilise le privé à la thématique de l’intégration.Depuis sa création en 2016, le réseau de la Tent Foundation a gonflé ses rangs de 400 grandes entreprises, parmi lesquelles L’Oréal, Sodexo, Allianz, Barilla, Carrefour, Lidl, Suez, ou encore TotalEnergies. En rejoignant la Tent Foundation, chacune de ces entités s’est engagée à lever les barrières au recrutement des réfugiés. Un gage qui va de l’adaptation du processus de recrutement à celles des conditions requises en passant par la sensibilisation des équipes en place. La multinationale française Suez a par exemple formé et embauché une centaine de personnes réfugiées depuis son entrée au sein du réseau, selon la patronne de France Terre d’Asile.L’intégration des réfugiés, un travail de « dentelle »En outre, c’est notamment lors d’un sommet organisé par l’ONG Tent Partenship for Refugees en juin dernier à Paris qu’une quarantaine d’entreprises se sont engagées à former et à embaucher quelque 250 000 réfugiés d’ici à trois ans. « A chaque fois que des réfugiés ont été intégrés dans des équipes, le résultat a été sans appel : l’initiative a eu un impact extrêmement positif en interne et au sein des équipes », souligne Najat Vallaud-Belkacem, de concert avec Isabelle Giordano, déléguée générale de la Fondation BNP Paribas : « Les réfugiés s’intègrent très bien et sont généralement des salariés très attachés à l’entreprise qui leur a laissé leur chance ».L’intégration des réfugiés demeure néanmoins un véritable travail de fourmi. « On est constamment en train de faire de la dentelle, alors que l’Europe présente sur son sol près de 900 000 demandeurs d’asile », soupire Didier Leschi, directeur de l’Ofii. Car s’il existe bien des métiers en tension ceux-ci requièrent, sinon un niveau élevé de qualifications, un minimum de compétences. « Même dans le BTP, il faut que les travailleurs soient capables de lire les consignes de sécurité », pointe Didier Leschi dont l’organisme a dispensé quelque 12 millions d’heures de cours à plus de 128 000 réfugiés signataires du contrat d’intégration républicaine. « Il faut toutefois continuer à encourager les entreprises à s’investir dans l’intégration des réfugiés qu’elles pourront ensuite potentiellement embaucher », insiste Najat Vallaud-Belkacem, qui l’assure : il n’y a pas meilleur accélérateur d’intégration que le travail en entreprise.
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Author : Ambre Xerri
Publish date : 2024-11-24 16:18:27
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