L’Express

Friedrich Merz futur chancelier ? Ces conséquences à prévoir pour l’Allemagne… et la France

Friedrich Merz, le chef de la CDU, le parti conservateur  allemand, ici le 15 novembre 2024.




En l’écoutant, on a la douce impression d’être de retour dans la « République de Bonn ». Costume bleu marine démodé, mouchoir en tissu bien repassé dans la poche, toujours courtois, Friedrich Merz est l’un des derniers spécimens de l’ère Kohl, une époque où la politique se faisait sur les bords du Rhin dans l’ambiance bourgeoise, feutrée et très provinciale, de l’ancienne capitale.A 69 ans, le président de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) est un « homme du passé », comme ne cesse de l’écrire la presse allemande, encore bloqué dans une vision de la société des années 1990. Après le retrait de ses deux principaux rivaux dans la course à la chancellerie, mi-septembre, il a désormais le champ libre pour prendre le pouvoir à Berlin lors des élections anticipées du 23 février 2025 provoquées par la fin prématurée du gouvernement Scholz. « Cette fois, il a de grandes chances de devenir chancelier », estime Ursula Münch, directrice de l’Académie de sciences politiques de Tutzing.Enterrer l’ère MerkelEjecté de la présidence du groupe parlementaire par Angela Merkel en 2002, ce revenant en politique avait disparu des écrans durant près de deux décennies, gérant des fortunes privées dans des cabinets internationaux, ce qui lui a valu le surnom de « requin de la finance ». Tout au long de cette traversée du désert, il n’a jamais abandonné l’idée de se venger du « coup de poignard dans le dos » de l’ancienne chancelière, dont il semble encore porter des cicatrices aujourd’hui. « Alors qu’elle a quitté la scène politique, on a l’impression qu’il a encore des comptes à régler avec elle », confie un proche observateur.Enterrer l’ère Merkel est d’ailleurs son objectif. Merz veut tourner cette page traumatisante de la « social-démocratisation de la CDU » pour redonner à son parti un conservatisme allemand bien trempé. Pour lui, la « politique de l’accueil » de l’ancienne chancelière a été un accident de parcours dans l’histoire de la CDU. Il ne devra « plus jamais se répéter ».Le chemin du retour n’a pas été une partie de plaisir. Face à la « bande à Merkel », Merz a d’abord essuyé deux défaites douloureuses : la présidence de la CDU, ravie par Annegret Kramp-Karrenbauer, puis la candidature aux élections de 2019, attribuée à Armin Laschet.En 2022, lorsqu’il est enfin élu président de la CDU, il a les larmes aux yeux. « C’était une longue marche pour en arriver là. On peut lui reconnaître une incroyable persévérance. C’est une grande qualité pour un responsable politique », juge Ursula Münch. De fait, Merz a réussi à stabiliser le parti en mettant fin aux querelles internes. Il veut désormais récupérer les électeurs passés à l’AfD (Alternative für Deutschland). Pour cela, il promet de faire table rase de tout ce que le chancelier Scholz a réformé depuis trois ans : la légalisation du cannabis, la réforme du code de la nationalité, la sortie du nucléaire et, surtout, la politique migratoire. Merz offre à ses électeurs un « retour aux racines ». « Les conservateurs ont toujours défendu une politique d’immigration très restrictive. Dans les années 1990, ils réclamaient la suppression du droit d’asile. La CDU d’avant Merkel était sur la ligne actuelle de l’extrême droite, rappelle Ursula Münch. La question est de savoir jusqu’à quel point ils veulent revenir en arrière sur ces positions. » Les sondages accordent environ 34 % à la CDU contre 24 % aux dernières législatives, il y a trois ans.Du haut de ses quasi 2 mètres, Friedrich Merz domine ses interlocuteurs. A l’instar d’un Charles de Gaulle ou d’un Konrad Adenauer, deux hommes qu’il cite régulièrement, il se plaît à traverser lentement la foule en serrant abondamment les mains, comme au bon vieux temps de la République de Bonn.La fibre européenneEnfant de l’après-guerre, né en 1955 dans le Sauerland (le sud-est de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie), il a été élevé avec la fibre européenne. « J’ai été baigné de politique à Bruxelles et à Strasbourg », rappelle régulièrement l’ancien député européen (1989 à 1994). « Merz fait partie de cette génération qui pense que la France doit faire l’objet d’une attention particulière de la part de l’Allemagne. Il est l’un des derniers représentants de l’héritage d’Adenauer », remarque Frank Baasner, codirecteur du Forum pour l’avenir franco-allemand.A ce titre, il représente une lueur d’espoir pour la relance des relations franco-allemandes, au point mort depuis l’élection d’Emmanuel Macron. « Malgré tous les efforts de la France, l’Allemagne est restée sourde à ses propositions. On espère que Friedrich Merz changera de cap, poursuit Frank Baasner. Mais quoi qu’il arrive, les profonds différends entre l’Allemagne et la France sur les dossiers de l’énergie, la géopolitique, la politique migratoire et la dette européenne commune resteront. » Sans aller jusque-là, Merz a annoncé ces derniers jours qu’il était prêt à réformer le mécanisme très contraignant du « frein à la dette », ce qui permettrait de réaliser des investissements dans le pays.En attendant, c’est sur la question de la répartition des réfugiés en Europe que l’amitié franco-allemande devrait être mise à l’épreuve. L’attentat au couteau de Solingen – trois morts, fin août – perpétré par un réfugié syrien de 26 ans a marqué un tournant dans la politique migratoire de l’Allemagne, avec le retour des contrôles aux frontières du pays. Après avoir réclamé le refoulement systématique des demandeurs d’asile (refusé par Scholz), Friedrich Merz a promis d’être intraitable avec ses voisins européens s’il est élu chancelier, y compris avec la France. « J’ai toujours plaidé pour des frontières ouvertes en Europe. Comme Konrad Adenauer et Helmut Kohl, je crois que l’Europe est ce que les Allemands ont de plus précieux. Mais cela ne fonctionne que si les frontières de l’UE sont protégées et si nos voisins respectent les règles communes […] S’ils ne le veulent pas, j’estime que nous avons le devoir et le droit de refouler à nos frontières », assène-t-il dans les meetings politiques. Et d’ajouter : « Nous décidons qui entre chez nous. C’est quand même normal pour un pays qui a encore un peu d’amour-propre. »Contrairement à Eric Ciotti, Friedrich Merz n’a pas l’intention de se tourner vers l’extrême droite pour parvenir à ses fins. Le cordon sanitaire restera sacré jusqu’au bout. « Je n’aurais pas imaginé que Ciotti puisse faire ça [rejoindre le RN] », confiait-il d’ailleurs à L’Express, juste après le ralliement du président de LR à l’extrême droite pour les législatives. « Il ne prendra jamais le risque d’une alliance avec l’AfD. Il ne remettra jamais l’Europe en jeu », assure Ursula Münch. Il l’a d’ailleurs répété lors du débat de politique générale le 13 novembre après la chute du gouvernement Scholz : « Il n’y aura jamais d’alliance avec vous, ni aujourd’hui, ni demain et quel que soit le nombre de vos députés dans l’Hémicycle », a-t-il fait comprendre aux députés de l’AfD. Ce qui ne l’a pas empêché, en septembre dernier, lors des élections régionales du Brandebourg, de mener campagne sur les mêmes thèmes. « Ils [migrants syriens et afghans] sont sans respect vis-à-vis des femmes, surtout les jeunes. C’est la réalité en Allemagne », déclarait-il le 21 septembre à Potsdam, la veille de ce scrutin, qui a vu l’AfD atteindre 30 % des voix, presque trois fois plus que la CDU (12 %).Friedrich Merz pense que cette stratégie lui permettra de récupérer les électeurs conservateurs perdus de l’ère Merkel. « Quel autre choix a-t-il pour couper l’herbe sous le pied de l’extrême droite ? » demande Ursula Münch. Jusqu’à présent, toutefois, la méthode n’a pas fait ses preuves. Lorsqu’il a pris la tête de la CDU, il avait promis de « diviser par deux » les électeurs d’extrême droite. Ils sont aujourd’hui deux fois plus nombreux.



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Author : Christophe Bourdoiseau

Publish date : 2024-11-28 06:00:00

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