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Syrie : après la chute de Bachar el-Assad, le devenir des armes chimiques en question

Une affiche représentant le président syrien Bachar al-Assad avec un masque à gaz lors d'une manifestation dans la ville d'Afrin le 20 août 2023, au dixième anniversaire des attaques chimiques qui ont tué plus de 1 400 personnes dans la Ghouta.




C’est l’une des nombreuses interrogations qui planent après le renversement du régime de Bachar el-Assad : que va-t-il advenir des stocks d’armes chimiques qui demeurent vraisemblablement dans le pays ? L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), qui enquête sur l’arsenal syrien depuis 2013, s’est toujours heurtée à des retards et des obstructions de la part de l’ancien pouvoir syrien, alimentant des soupçons selon lesquels Damas ne donne pas une image complète de la situation.Alors qu’Israël a annoncé avoir mené des frappes pour détruire des « armes chimiques » en Syrie, afin d’éviter que celles-ci ne tombent « aux mains d’extrémistes », le groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), principale formation rebelle qui a pris le pouvoir dans le pays, s’est engagé à « coopérer avec la communauté internationale » sur ce sujet. Focus sur la situation dans le pays.Quelle est la situation actuelle ?Le directeur général de l’OIAC, Fernando Arias, a exprimé dès le 25 novembre sa « grave préoccupation » concernant le stock potentiel de la Syrie. Il a déclaré qu’il pourrait rester « de grandes quantités d’agents de guerre chimique et de munitions chimiques potentiellement non déclarés ou non vérifiés » dans ce pays.Depuis 2014, l’OIAC a signalé 26 sujets non résolus en ce qui concerne le stock d’armes chimiques en Syrie. Depuis, seulement sept ont été résolus, a-t-il indiqué. « Malgré plus d’une décennie de travail intensif, le dossier des armes chimiques de la République arabe syrienne ne peut toujours pas être clos », a-t-il déclaré lors d’une réunion annuelle de l’OIAC.Qu’avaient déclaré les anciennes autorités syriennes ?Sous la menace de frappes américaines en septembre 2013, la Russie de Vladimir Poutine avait affirmé avoir convenu avec la Syrie qu’elle accepte de rejoindre l’OIAC et qu’elle déclare et remette son stock d’armes chimiques.Un événement en août 2013 avait notamment suscité l’émoi et la réaction de la communauté internationale : le massacre de la Ghouta orientale. Ce double bombardement au gaz sarin, un puissant neurotoxique mortel, avait fait plus de 1 000 morts, selon le renseignement américain. Cette attaque chimique avait franchi la « ligne rouge » fixée par le président américain de l’époque, Barack Obama, qui menaçait de déclencher des frappes américaines. Elle avait été imputée au pouvoir syrien par de nombreux rapports indépendants, même si le régime de Bachar el-Assad avait démenti et accusé les forces rebelles.En janvier 2016, l’OIAC avait ainsi annoncé le retrait et la destruction complets de 1 000 tonnes d’armes chimiques de Syrie déclarées par les autorités. Mais dès son adhésion à l’OIAC, cette dernière soupçonnait que la déclaration initiale de la Syrie en 2013 était pleine de « lacunes et d’incohérences ». « Il est assez clair que la déclaration n’a jamais été complète et qu’ils ont toujours des armes chimiques stockées quelque part », observe auprès de l’AFP Lennie Phillips, chercheur à l’institut Royal United Services Institute, basé à Londres.Pourquoi l’OIAC a-t-elle suspendu la Syrie ?En 2021, les membres de l’OIAC ont suspendu les droits de vote de la Syrie après une nouvelle enquête accusant Damas d’avoir utilisé des armes chimiques. L’OIAC avait établi que l’armée de l’air syrienne a utilisé l’agent neurotoxique sarin et le gaz chloré lors de trois attaques à Latamné en 2017. La pression s’est encore accrue lorsqu’une deuxième enquête de l’OIAC a établi qu’un hélicoptère syrien avait largué une bombe au chlore sur la ville rebelle de Saraqeb en 2018. Damas n’a ensuite pas respecté le délai de 90 jours pour déclarer les armes utilisées dans les attaques, révéler son stock restant et se conformer aux inspections de l’OIAC.En 2014, l’OIAC a mis en place une mission pour enquêter sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Cette équipe a publié 21 rapports couvrant 74 cas présumés d’utilisation d’armes chimiques, selon l’OIAC. Les enquêteurs ont conclu que des armes chimiques avaient été utilisées ou probablement utilisées dans 20 cas. Dans 14 de ces cas, le produit chimique utilisé était le chlore. Le sarin a été utilisé dans trois cas et le gaz moutarde a été employé dans les trois autres.A l’aide d’analyses médico-légales, d’entretiens avec des témoins et de tests médicaux sur les victimes, l’OIAC a conclu que l’armée syrienne était également responsable d’une attaque au chlore dans la ville rebelle de Douma en 2018 qui a tué 43 personnes. L’OIAC a également établi que le groupe djihadiste Etat islamique en Irak et au Levant avait mené une attaque aux armes chimiques en septembre 2015 dans la ville syrienne de Marea.Quelle réaction de la communauté internationale après la chute d’el-Assad ?Washington a affirmé que les Etats-Unis faisaient tout ce qu’ils pouvaient « pour s’assurer prudemment » que ces armes ne tombent dans les mains de personne. Le chef de la diplomatie israélienne a confirmé ce lundi que son pays avait mené des frappes ces jours-ci pour détruire des « armes chimiques » en Syrie, afin d’éviter que celles-ci ne tombent aux mains des rebelles islamistes radicaux ayant renversé Bachar el-Assad dimanche.De son côté, l’OIAC a annoncé ce lundi avoir contacté les nouvelles autorités syriennes « afin de souligner l’importance primordiale de garantir la sûreté et la sécurité de tous les matériaux et installations liés aux armes chimiques » dans le pays. « A ce jour […] la déclaration syrienne de son programme d’armes chimiques ne peut toujours pas être considérée comme exacte et complète », a insisté l’OIAC, affirmant que « de graves inquiétudes subsistent quant à l’exhaustivité de la déclaration initiale de la Syrie et au sort d’importantes quantités d’armes chimiques non comptabilisées », a-t-elle ajouté.Que disent les nouvelles autorités syriennes ?De son côté, le groupe islamiste HTC s’est engagé à « coopérer avec la communauté internationale pour tout ce qui concerne la surveillance des armes et des zones sensibles ». Dans une déclaration publiée samedi et traduite par le groupe de renseignement SITE, une organisation privée américaine qui surveille les groupes jihadistes et extrémistes sur Internet, HTC a assuré qu’il protégerait les stocks d’armes chimiques restant dans le pays et veillerait à ce qu’elles ne soient pas utilisées contre les citoyens. »Nous affirmons clairement que nous n’avons ni l’intention ni le désir d’utiliser des armes chimiques ou des armes de destruction massive, quelles que soient les circonstances », a assuré le « département des affaires politiques » de la formation islamiste. « Nous n’autoriserons pas l’utilisation d’une arme, quelle qu’elle soit, contre des civils ou comme outil de vengeance ou de destruction », a ajouté HTC.Le groupe islamiste a enfin affirmé son intention de sécuriser les sites militaires et « de ne permettre en aucun cas que ces sites ou ces armes tombent entre des mains irresponsables ». Mais pas forcément de s’en débarrasser, donc. Et au vu de l’instabilité actuelle du pays, cela suffit pour susciter des inquiétudes.



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Publish date : 2024-12-10 16:00:00

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