En entrant chez ce buraliste normand, on remarque assez vite ces mystérieuses petites boîtes rondes disposées dans une étagère en plexiglas entre les Malabar et un présentoir à sucettes Chupa Chups. A l’intérieur, point de sucreries – bien que les saveurs « fruits rouges » ou « menthe givrée » puissent laisser croire le contraire – mais des sachets de nicotine sans tabac, la dernière invention des industriels du secteur pour conquérir de nouveaux clients. Ils sont inspirés du snus suédois, une poudre de tabac humide interdite dans la plupart des pays européens depuis 1992 et qui se consomme par voie orale, mais ils ne contiennent que de la nicotine de synthèse. Et d’après leurs producteurs, ils seraient complètement inoffensifs et destinés à des consommateurs adultes. Dans les pays qui les commercialisent depuis longtemps cependant, on remarque qu’ils encouragent plutôt le tabagisme chez les jeunes. Chez notre buraliste et contrairement à ce que demandent les professionnels du secteur, il suffit de tendre le bras pour attraper une boîte de nicopouches, alors que les cigarettes et tous les autres produits dérivés du tabac sont uniquement accessibles sur demande.Une étude de l’Institut national de la consommation/60 Millions de consommateurs en partenariat avec le Comité national contre le tabagisme (CNCT) publiée le 10 décembre a pointé la dangerosité de ces produits. L’institut a analysé la composition de sept nicopouches différentes en laboratoire et il relève deux problèmes principaux : la teneur en sucre de ces produits et la présence de métaux lourds. »Toutes les références testées contiennent du sucralose, indique une porte-parole du CNCT, une substance dont le pouvoir sucrant est 600 fois supérieur au sucre de table. » Concrètement, cela signifie que d’après l’association, certaines références « ont un goût aussi sucré que des produits qui contiendraient entre 78 % et 137 % de sucre ». Derrière les résultats de ces analyses, le CNCT voit la tentative des industriels de cibler de nouveaux clients plus jeunes. Fin 2024, 30 % des adolescents de 13 à 16 ans avaient déjà entendu parler des nicopouches, soit 11 points de plus qu’en 2023, selon une étude de l’Alliance contre le tabac (ACT).Par ailleurs, le laboratoire de l’Institut national de la consommation a détecté dans plusieurs sachets la présence de certains métaux lourds comme le plomb, l’antimoine (qui peut nuire à la fertilité ou au développement de foetus) ou même l’arsenic. Celui-ci est naturellement présent dans notre environnement et l’INC juge que sa présence dans le sachet est « le probable signe d’une contamination des matières premières utilisées. » Problème : l’agence européenne des produits chimiques estime que le produit est « toxique par ingestion. » Pour Antoine Haentjens, ingénieur d’études auprès de l’institut, « tous ces éléments ne sont pas suffisamment rassurants pour aller dans le sens d’une autorisation de mise sur le marché. » Il plaide pour une interdiction des produits.Un des principaux produits mis en cause est le sachet de la marque ZYN, produit par Philip Morris International (PMI), leader sur le marché américain des nicopouches mais largement devancé par ses concurrents sur le marché européen. Des traces d’arsenic six fois supérieures à celles trouvées dans une cigarette classique ont ainsi été découvertes par l’INC. Contactée, l’entreprise explique qu’elle « ne commercialise pas de produits nicotiniques oraux en France et ne peut, par conséquent, confirmer ni la provenance, ni l’authenticité des sachets de nicotine testés ». Elle affirme également avoir mené ses propres analyses avec un laboratoire accrédité en Suède, qui n’a pas détecté les mêmes niveaux d’arsenic.Vents politiques contrairesDix jours après la publication de notre enquête sur les nicopouches, fin octobre, la ministre de la Santé avait annoncé sa volonté de les interdire dès le début de l’année 2025. Depuis, la motion de censure a été votée, faisant tomber le gouvernement de Michel Barnier et compromettant ce projet de régulation. Les associations sont inquiètes, d’autant que lors de la négociation du budget, l’Alliance contre le tabac a remarqué « une incohérence au sein même des partis de la coalition ». Un amendement a ainsi été voté le 21 novembre dernier, à la faveur des débitants et à rebours des déclarations de la ministre. « Cet amendement vise à fiscaliser la vente de sachets de nicotine et à l’encadrer fermement en donnant sa vente uniquement aux buralistes », a ainsi expliqué son auteur, le sénateur Xavier Iacovelli (Renaissance), devant la chambre haute. L’ACT, elle, y voit la preuve de « la puissance des lobbies des buralistes ». »La consommation de ces produits se répand très rapidement, s’inquiète quant à lui Antoine Haentjens de l’INC. Plus on attend pour les interdire, plus ils se seront généralisés et plus ce sera compliqué de les interdire. » Pendant que les pouvoirs publics français tergiversent sur la question, la Belgique a déjà mis un terme à leur commercialisation, rapidement suivie par les Pays-Bas. Pendant ce temps, chez le débitant normand, les boîtes en plastique rondes trônent toujours dans leur vitrine en plexiglas, entre les Malabar et un présentoir à sucettes Chupa Chups.
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Author : Mathias Penguilly
Publish date : 2024-12-17 18:00:00
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