L’Express

Energie : et si la Pologne révolutionnait la construction européenne ?

Le Premier ministre polonais Donald Tusk, lors d'une conférence de presse avant son départ pour Bruxelles, le 18 décembre 2024.




Le 1er janvier prochain, la Pologne prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne avec un thème au programme : la sécurité. Une présidence pour six mois seulement, hélas, comme le prévoient les textes européens. Hélas, parce qu’à l’heure où la guerre assaille l’Europe sous toutes ses formes il est temps de prendre conscience que la sécurité est le sujet n° 1 pour les dix années qui viennent au moins. Sécurité militaire évidemment face à la Russie, sécurité économique et d’approvisionnement en énergie et matières premières face à la Chine notamment, mais aussi sécurité alimentaire et sécurité que l’on pourrait qualifier de civique face aux cyberattaques et autres opérations orchestrées de désinformation et de déstabilisation contre nos démocraties libérales.Maître mot de la présidence polonaise, la sécurité doit être comprise avec son corollaire, l’autonomie : l’Europe doit se préparer à des ruptures d’approvisionnement et apprendre à ne compter que sur elle-même en cas de crise majeure. Dans le domaine de la sécurité et de la défense, la traduction évidente de cette approche est la maxime bien connue Si vis pacem, para bellum (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »). Les Européens doivent se préparer à se défendre seuls, quand bien même ils bénéficieraient du parapluie américain, dont Trump conditionne aujourd’hui le maintien à une augmentation de leur effort de défense. Cette autonomie ne saurait se concevoir sans une industrie européenne pour fabriquer des matériels de défense made in Europe : comment imaginer que les peuples du Vieux Continent acceptent un réarmement, avec de lourdes conséquences budgétaires – on parle ici de dépenses représentant 3 ou 4 % du PIB, quand la plupart des pays européens, notamment dans l’ouest du continent, naviguent à moins de 2 % -, sans les emplois qui vont avec ?Changer l’état d’espritOr, l’industrie lourde européenne, étouffée par des prix de l’énergie trop élevés, sur fond d’offensive chinoise à coups de surcapacités dans l’acier, est en train de mourir ou de partir, notamment aux Etats-Unis. Rassurez-vous, nous dit Bruxelles : le MACF va nous sauver ! Qu’est-ce donc ? Ce « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », entré en application depuis l’automne 2023 et qui sera généralisé en 2026, prévoit de taxer les importations à fort contenu carbone. En théorie, cet outil d’extraterritorialité de la politique climatique européenne est superbe ; les Chinois, et non les Européens, paieront pour le carbone contenu dans leurs produits industriels s’ils veulent les exporter sur le territoire de l’UE. Ces droits de douane qui ne disent pas leur nom pourraient représenter jusqu’à 35 % de coût supplémentaire pour les importations de ciment, aluminium, acier, etc. Sauf que nous ne vivons pas en théorie et que, d’ores et déjà, les industriels alertent : tous, sans exception, estiment que ce mécanisme complexe sera contourné. En revanche, les mêmes industriels européens verront bien, eux, disparaître les quotas gratuits d’émission qui leur permettaient de ne pas payer le prix du carbone que l’Europe est la seule au monde à imposer à son économie.Donner la priorité à la sécurité de l’Europe signifie-t-il que l’agenda climatique européen doit être sacrifié ? Evidemment non. Dans un discours devant le monde de l’électricité français réuni à Paris le 10 décembre dernier, l’ancien ministre de l’Energie polonais et président de la COP24 Michal Kurtyka a proposé une vision illustrant l’état d’esprit qui prévaut désormais dans l’est de l’Europe et, de plus en plus, dans les pays nordiques : l’autonomie européenne est l’objectif, la transition la conséquence, et non l’inverse. La politique climatique doit être le résultat, non le moteur des politiques de sécurité et d’autonomie. Ajoutons, en écho au rapport Draghi, que l’autonomie est sœur de la compétitivité et de la productivité : impossible d’être autonome si on est pauvre…C’est une révolution copernicienne qui est proposée là. Le Polonais Copernic révolutionna la physique au XVe siècle… Et si la Pologne révolutionnait la construction européenne au XXIe siècle ? On se prend à rêver de voir Varsovie présider le Conseil non pas six mois, mais cinq ans…



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Author : Cécile Maisonneuve

Publish date : 2024-12-24 06:45:00

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