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Comment contrer les drones FPV ukrainiens ? Quand les soldats russes reçoivent un guide de survie

Des opérateurs de drones FPV (pilotage en immersion) de l'armée ukrainienne s'entraînent près de la ligne de front, dans la région de Donetsk, le 16 novembre 2023




Une tête de mort, avec des hélices de quadricoptères sur les côtés, le tout dans un viseur : telle est l’illustration de couverture d’un document distribué aux soldats russes sur le front. Son titre : « Tactiques d’utilisation par l’ennemi des drones FPV et solutions pour les contrer ». Rédigé récemment, il détaille les menaces que représentent ces aéronefs tueurs, devenus les marqueurs du terrible conflit en cours en Ukraine, le plus sanglant sur le continent européen depuis la Seconde Guerre mondiale.Ce manuel de survie confirme la menace permanente que représentent ces drones armés de petite taille pour les combattants, à l’origine de « jusqu’à 70 % des pertes humaines et matérielles » sur le front. Des livrets de ce type devraient être bientôt distribués dans les armées occidentales. Car ces armements d’un coût modique sont partout où il y a un conflit dorénavant, comme le montre leur utilisation dans l’offensive ayant fait chuter le régime el-Assad en Syrie ou encore en Birmanie, où ils infligent d’importants dégâts à la junte.Le manuel détaille, avec des infographies en couleur, une vingtaine de tactiques offensives de ces drones munis d’une charge explosive, contrôlés grâce à une manette et un casque FPV (pour « first person view », vue à la première personne) qui donne la sensation d’être « à bord » du drone. Cette vision immersive augmente la capacité de réaction, tout en facilitant la visée d’une cible pour ces petits aéronefs « kamikazes » capables de voler jusqu’à 100 km/h pour une portée maximale d’une dizaine de kilomètres.Tous les cas de figure y sont présentés. Le drone FPV est le plus souvent accompagné d’un drone de reconnaissance. Il peut « chasser » en meute ou seul, pour accompagner l’assaut de combattants au sol, cibler un bâtiment ou des soldats. Le manuel fait état de drones FPV transportés à plusieurs dizaines de kilomètres du front, par un « drone mère » en mesure de servir, ensuite, de relais de transmission pour les pilotes. Il présente aussi des cas de drones avec une charge thermobarique. Celle-ci génère deux explosions : la première pour répandre un gaz et la seconde pour l’enflammer et aspirer l’oxygène, ce qui est dévastateur dans les abris. »Dès qu’on avait le nez dehors, on était menacé » »Ce manuel montre à quel point la confrontation aux drones est désormais l’une des expériences les plus communes du combattant et un problème permanent, explique Yohann Michel, expert militaire et chargé de recherche à l’Institut d’études de stratégie et défense, basé à Lyon. C’est aussi un outil de plus pour le combattant, qui mène à tout un ensemble de tactiques, de ruses et de pièges nouveaux. Ces manuels d’emplois vont garnir des rayonnages de bibliothèques militaires, comme l’avaient fait, en son temps, ceux ayant suivi l’arrivée des mitrailleuses. »Le manuel insiste, dans une deuxième partie, sur les recommandations à suivre, en tenant compte du fait que ces drones ont « entraîné une décentralisation et une réduction des troupes au front ». Il appelle le combattant russe à se camoufler par tous les moyens, à « rester dans l’ombre », à « bouger peu » et à se déplacer lorsque la visibilité est réduite, au lever et au coucher du jour, ou lorsqu’il y a du brouillard. « On se fait repérer par les mouvements le jour et le rayonnement de chaleur la nuit », avec les caméras thermiques, pointe le document. « La lumière d’une cigarette, d’un feu de camp, […] des écrans de portable attire les drones comme les papillons par une flamme », précise-t-il.Un drone FPV utilisé par un soldat ukrainien de la 24e brigade, à proximité de Druzhkivka, le 29 août 2023Au regard de cette menace, le livret appelle les combattants à construire des fortifications plus poussées, en plaçant des filets sur leurs abris et au niveau des ouvertures, pour éviter qu’un drone FPV se faufile jusqu’à eux. Il conseille de rester méfiant, même à plusieurs kilomètres du front. « Le risque de la première ligne est vécu dorénavant à plusieurs kilomètres de profondeur », constate Yohann Michel. Comme le note le manuel, il devient beaucoup plus difficile d’assurer le ravitaillement du front, confié, de plus en plus à des drones terrestres.Pour rejoindre cette zone du front où les drones FPV pullulent, les Russes ont commencé à installer des feux de signalisation. « Si le feu est rouge, cela veut dire qu’il y a des drones qui volent dans le secteur, s’il est orange, qu’il y a un risque et s’il est vert, c’est que c’est le bon moment pour passer », explique une source militaire française. »Ces drones FPV sont une épée de Damoclès en permanence au-dessus de vous, note l’historien et colonel de réserve Michel Goya. C’est très difficile pour les soldats de faire face à autant de menaces différentes, simultanées, venant de plusieurs directions. Cela leur ajoute une couche de stress de pouvoir être frappés par un ennemi invisible. » Cette évolution lui rappelle la confrontation, alors nouvelle, aux snipers, lors de son déploiement à Sarajevo, au début des années 1990. « Dès qu’on avait le nez dehors, on était menacé, il fallait en tenir compte, ce qui demandait des efforts supplémentaires, forcément usant. J’avais fait des recommandations en retour d’expérience, à l’époque, pour les déploiements suivants. » »Toujours écouter les sons »Le manuel distribué aux Russes exhorte à « toujours écouter les sons », à scruter le ciel, en considérant « tous les drones comme hostiles ». Si le soldat constate qu’il est repéré par un drone, il doit « se mettre à l’abri » et, surtout, « ne pas révéler la position de [son] unité ». « Si un drone est à vingt ou trente mètres, ne vous figez pas […] votre salut est dans la réaction et le mouvement », ajoute-t-il. Il recommande de tirer à courte distance – « jusqu’à 50 mètres » – avec des fusils de chasse ou à pompe, dont la mitraille à plus de chance de toucher un drone FPV qu’un tir de pistolet ou de fusil d’assaut. Il fait valoir que le brouillage électronique reste la meilleure défense.Il invite également à se méfier d’un drone qui semble inerte. « Lorsqu’un drone FPV est détecté au sol (surtout s’il émet des ‘bips’ à proximité des positions), ne courez pas vers lui joyeusement, dans l’espoir d’un nouveau trophée. Il peut s’agir d’un piège, précise-t-il. Ne vous approchez pas du côté de la caméra (le caméraman attend que vous apparaissiez dans le cadre), ne le touchez pas, faites un rapport au commandant. Le spécialiste s’en chargera. » Dans sa conclusion ce livret précise que « le développement innovant de ce type d’arme entraînera sans aucun doute la recherche et la mise en œuvre de nouvelles techniques et méthodes de contre-attaque (électroniques, optiques, mécaniques, etc.), et conduira également à la création d’unités » spécialisées.Pour les armées occidentales, et celle de la France en particulier, il s’agit d’un défi important, comme le relève Michel Goya. « Les Ukrainiens qui s’entraînent à l’ouest se félicitent de la qualité de la formation qui leur est proposée, relève-t-il. Mais ils nous expliquent que celle-ci ne prend pas en compte cette nouvelle donnée, qui, en effet, reste théorique pour nous ». Et pour cause : les troupes françaises n’y ont pas encore été confrontées à l’échelle massive du front ukrainien.



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Author : Clément Daniez

Publish date : 2024-12-26 07:45:00

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