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Yann Rivoallan ressent comme une désagréable impression de déjà-vu. Le 6 septembre 2024, le président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin (FFPPF) rencontre pour la première fois Donald Tang, le patron de Shein, venu lui présenter la controversée plateforme de vente de vêtements d’ultra fast-fashion. En introduction, l’homme d’affaires américain, né à Shanghai, multiplie les affirmations, dont certaines pour le moins contestables : « Nous démocratisons la mode et nous le faisons de façon écologique. Or, ce secteur a aujourd’hui une mauvaise image. Nous avons besoin de vous pour changer cela et on peut le faire avec Shein ». L’entreprise d’origine chinoise – elle a déménagé son siège à Singapour en 2022 – a pour projet d’embarquer les marques françaises avec elle, afin que ces dernières mettent en vente leurs produits sur son site.Quatre mois plus tard, Christophe Castaner, nommé à la surprise générale conseiller de Shein au sein d’un comité Responsabilité sociale et environnementale (RSE), répond à ses détracteurs, dont les acteurs du textile, les plus furibonds. Dans une interview à La Tribune Dimanche, l’ancien ministre de l’Intérieur dénonce « un effet moralisateur » et défend une entreprise qui « démocratise la mode pour tous ». « Les arguments qu’il utilise sont les mêmes que ceux mis en avant par Donald Tang », constate, dépité, Yann Rivoallan.Une nouvelle vie dans le conseilDepuis sa défaite aux législatives de 2022, dans la deuxième circonscription des Alpes-de-Haute-Provence, l’ex-figure de la Macronie a fait son retour dans le privé. Avant de rentrer à l’Assemblée nationale en 2017, Christophe Castaner avait déjà occupé des fonctions au sein du service des affaires juridiques de BNP Paribas. Désormais reconverti dans le conseil, il a fondé en mars 2023 la société Villanelle Conseil. Un mouvement validé par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).Outre Shein, Christophe Castaner accompagne la CCI Lyon Métropole dans la reconversion de l’ancien site de l’EM Lyon en pôle dédié à la sécurité globale. « Il s’agit de mobiliser les acteurs de ce secteur, qui vont de la police technique et scientifique à l’industrie pour les textiles de sécurité », détaille-t-il auprès de L’Express. Au total, il dit travailler avec une douzaine de clients dans les domaines du spatial, de la gestion de crise, du catering international – la restauration – ou encore du média training – la prise de parole en public.En parallèle, l’ancien élu préside depuis 2022 le conseil de surveillance du port de Marseille Fos. L’année dernière, son mandat a été renouvelé pour une durée de cinq ans. Une activité bénévole, à laquelle il consacre beaucoup de temps. « Christophe s’est véritablement investi et a pris ce rôle à cœur. Il n’est pas seulement là pour présider les conseils, qui ont lieu cinq fois par an. Il va à la rencontre des acteurs du port et s’implique dans la vie locale, en participant aux événements institutionnels et en entretenant des relations avec le maire », raconte l’ancien PDG d’Orange, Stéphane Richard, membre de l’instance et qui fut un temps le choix numéro 1 d’Emmanuel Macron pour prendre le poste après son départ de l’opérateur télécom. Enfin, Christophe Castaner est également président du conseil d’administration d’Autoroutes et Tunnel du Mont Blanc. Fonction pour laquelle il indiquait, en 2023, toucher 3 600 euros par mois. »Le pire modèle économique possible »Si, jusqu’à présent, ses nouvelles activités dans le privé n’avaient pas fait grand bruit, son atterrissage chez Shein entraîne son lot de questions. Le géant de l’ultra fast-fashion est accusé de concurrence déloyale en proposant à la vente des vêtements à des prix extrêmement bas et en contrevenant à toute réglementation environnementale. « Cette nomination est une véritable surprise, et pas dans le bon sens, tacle l’ancien ministre Yves Jégo, créateur de la certification Origine France garantie (OFG). Shein représente le pire modèle économique possible, et son expansion équivaut à une mort programmée pour ce qu’il reste du textile français. Dans ses explications, Christophe Castaner s’abrite derrière une logique douteuse de cheval de Troie : il affirme qu’il vaut mieux être à l’intérieur, pour influencer, plutôt que de chercher à changer ce modèle destructeur. » Julia Faure, la cofondatrice de la marque de vêtements éthiques Loom, et coprésidente du Mouvement Impact France, abonde : « Personne n’est dupe. Dans une période où il y a une crise de confiance vis-à-vis des politiques, la symbolique est catastrophique. »Quelles seront les marges de manœuvre du nouveau conseiller ? « Pour faire évoluer une filière, la puissance publique ne peut pas tout », assume Christophe Castaner. « Je ne veux stigmatiser personne, mais si l’idée est de transformer l’entreprise de l’intérieur, cela implique de modifier son modèle économique en profondeur, à savoir réduire drastiquement la taille des collections et ralentir le rythme effréné de production, ce qui paraît peu probable », juge Pierre-François Le Louët, coprésident de l’Union française des industries de la mode et d’habillement.Shein attend de Christophe Castaner qu’il donne un avis tranché sur ses futures orientations. Elle entend aussi profiter de son expérience passée et de sa capacité à sentir les bonnes idées pour la France, dont il aura la charge. Reste qu’en matière de RSE, le CV de l’ex-locataire de Beauvau ne coche aucune case. « Il ne possède pas d’expertise technique particulière. Ce qu’il apporte, ce sont ses réseaux, son influence et sa capacité à naviguer dans les circuits décisionnels pour promouvoir les intérêts de son nouveau client », pointe le professeur de droit public Jean-François Kerléo, auteur de La Déontologie politique (Lgdj). Christophe Castaner n’est pas le seul à céder aux sirènes chinoises. L’avocate Nicole Guedj, ancienne secrétaire d’Etat sous Jacques Chirac, et Bernard Spitz, qui fut notamment président du pôle international et Europe du Medef, complètent le comité.Coup dur pour le made in FranceLe message envoyé au textile français se révèle dévastateur. « Nous nous battons chaque jour pour mobiliser les bonnes volontés, parce que nous sommes tombés très bas sur le plan industriel. Et aujourd’hui, on se retrouve avec des responsables politiques capables de soutenir des entreprises qui infligent des dégâts immenses à notre économie », regrette Gilles Attaf, président de la certification OFG. Le secteur traverse actuellement une phase critique. « Il n’y a plus que 10 000 entreprises environ, dont la plupart sont de simples ateliers de confection, à fabriquer des vêtements en France. On ne se sent pas tellement soutenu par l’Etat », déplore Karine Renouil-Tiberghien, dirigeante du groupe Les Manufactures de layette et tricots, dans la Loire.Nombre de nos interlocuteurs vont jusqu’à utiliser le mot « trahison ». Parce que Christophe Castaner a fait partie d’un gouvernement qui a promu, avec tambour et trompette, une politique volontariste de réindustrialisation. « On ne peut pas, une fois sorti de l’exécutif, agir à l’opposé de ce qu’on a prôné pendant son mandat. C’est d’un cynisme effarant », peste Fabienne Delahaye, la fondatrice et présidente du Salon du Made in France. En novembre 2021, sur le plateau de BFMTV, l’ex-patron du groupe LREM à l’Assemblée nationale faisait la promotion du fabriqué en France, qu’il présentait comme une « priorité ». « Dans ce combat que nous menons pour notre souveraineté, nous devons tous être acteurs : pouvoirs publics comme consommateurs ! », lançait-il alors. »Cette affaire semble relever d’une logique purement économique, dénuée d’engagement sincère ou de conscience morale. Ces personnalités ont beau tenir de beaux discours, leurs actes témoignent parfois d’une absence de discernement lorsqu’il s’agit de choisir entre des intérêts privés et l’intérêt général », analyse Jean-François Kerléo. S’il comprend les critiques sur Shein, l’ancien patron d’Orange a plus de mal avec celles ciblant Christophe Castaner : « Quand vous avez été ministre et que vous n’avez pas une grande fortune personnelle, c’est bien de pouvoir enchaîner des missions pro bono d’intérêt général, mais il faut aussi, comme tout le monde, gagner sa vie en travaillant ! », affirme Stéphane Richard.Conseil ou lobbying ?La constitution de ce comité RSE intervient au moment où Shein vise une introduction en Bourse sur la place de Londres, au premier semestre. Et qui dit cotation, dit transparence. « Une fenêtre de tir stratégique pour l’entreprise car elle cherche à lever des fonds », note Pierre-François Le Louët. L’opération devrait lui permettre de financer sa croissance fulgurante, qui paraît totalement incompatible avec des pratiques vertueuses. « Leur unique projet est de miser sur des volumes énormes. La pollution générée par le transport et la fabrication est inévitable », assure Yann Rivoallan, de la FFPPF.En France, le groupe fait des pieds et des mains pour retarder l’adoption de la loi encadrant les pratiques de la fast fashion. Votée à l’unanimité en mars 2024 par l’Assemblée nationale, elle devait passer au Sénat en procédure accélérée. Mais la dissolution, puis la censure du gouvernement Barnier, a retardé l’échéance. Prise de court après le vote des députés, la plateforme avait dépêché une société de lobbying pour contacter un à un les sénateurs appelés à se prononcer. « Je pense qu’ils ont sous-estimé l’impact de ce texte », confie la députée Anne-Cécile Violland (Horizons), à l’origine de la proposition de loi qui prévoit le renforcement du système de « bonus-malus » sur les articles textile lié à leur éco-score et l’interdiction de la publicité pour les produits de fast fashion. Un texte que Christophe Castaner juge dans La Tribune Dimanche inadapté car il va « créer une TVA sur des produits jugés trop populaires ». »Logiquement, cette loi devrait être soutenue par quelqu’un en charge d’améliorer la politique RSE de l’entreprise, observe le député Antoine Vermorel-Marques (Droite républicaine). S’il est là pour accompagner une évolution sincère en la matière, son arrivée pourrait être positive. Mais s’il agit dans une logique contraire – ce dont il se défend –, cela posera problème. » D’après l’élu, Shein et ses consœurs ne pourront pas faire évoluer leurs pratiques tant que le cadre réglementaire ne sera pas modifié. Anne-Cécile Violland a fait part à Christophe Castaner de toute sa confiance pour agir auprès de Shein. Mais la députée de Haute-Savoie n’épargne pas le géant asiatique. « Lors de leur audition à l’Assemblée, leur discours m’avait semblé superficiel, plaqué et dénué d’authenticité. Je ne crois pas en leur sincérité et je doute qu’ils souhaitent s’engager sérieusement », confie-t-elle.Bien que « retraité » de la vie politique, Christophe Castaner cherchera-t-il à passer quelques messages à ses anciens collègues, à mesure que le vote au Sénat approchera ? « Shein s’évertue à anticiper les évolutions de l’agenda législatif français. Dans des situations de crise, les entreprises ont besoin de personnes capables de leur apporter des éclairages sur les dynamiques politiques en cours, même de manière informelle. S’il devait intervenir de façon proactive auprès des parlementaires, il serait tenu de s’enregistrer sur la liste des représentants d’intérêts de Shein auprès de la HATVP », rappelle Guillaume Courty, professeur de science politique à l’Université de Picardie Jules Verne et spécialiste des lobbys. Pour l’heure, il n’y figure pas. Mais une chose est sûre, ses moindres faits et gestes seront scrutés de près dans les prochains mois.
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Author : Thibault Marotte
Publish date : 2025-01-19 11:00:00
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