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Des moteurs d’avion pour produire de l’électricité : la surprenante stratégie de la Belgique

Des moteurs d’avion pour produire de l’électricité : la surprenante stratégie de la Belgique

Cela ressemble à une blague. Et pourtant. Pour produire suffisamment d’électricité en période de forte tension sur son réseau, notre voisin belge compte parfois sur… de vieux moteurs d’avions Boeing fonctionnant au kérosène ! Selon la presse bruxelloise, le gestionnaire national Elia aurait déjà utilisé cette solution à plusieurs reprises depuis le début de l’année.

Les défenseurs de l’environnement crient au scandale. Sauf qu’une précision s’impose. « Il s’agit d’un système utilisé en dernier recours. Lorsqu’Elia constate un écart trop important entre l’offre et la demande, les fameux turboréacteurs entrent en action. Concrètement, du gaz ou du kérosène modifié entraînent une turbine couplée à un générateur d’électricité. Ces installations ont la capacité de pouvoir monter rapidement en régime. Elles permettent donc de faire l’appoint en période critique », explique Damien Ernst, professeur à l’Université de Liège et Télécom Paris.

Or, justement, le réseau belge a traversé plusieurs zones de turbulences ces dernières semaines en raison de facteurs exceptionnels. A commencer par le « Dunkelflaute ». « Cette période prolongée sans vent et sans soleil dans plusieurs pays européens s’est traduite par une production d’énergies renouvelables nettement en dessous des moyennes attendues », observe Stéphane Bocqué, porte-parole de la Fédération belge des entreprises électriques et gazières (FEBEG). Elia a dû également faire face à un incident technique sur un réacteur de la centrale nucléaire Tihange 1. Celui-ci a entraîné une perte de puissance de 1000 megawatts du jour au lendemain. D’où l’appel aux turbines Boeing.

« Personne n’est content d’utiliser ce système D »

Bien sûr, ces moteurs d’avion génèrent des émissions de CO2 supplémentaires. Ils font beaucoup de bruit. Et comme il s’agit d’un dispositif de secours, essentiel pour le fonctionnement du réseau électrique, Bruxelles ferme les yeux sur leur impact environnemental. Mais là n’est pas l’essentiel. A l’échelle du pays, le surplus d’émissions est marginal. « Par ailleurs, il est vraisemblable qu’à terme, les parcs de batteries, en plein développement en Belgique et en Europe, répondront davantage à ce type de demande urgente », pointe Stéphane Bocqué.

« En fait, personne n’est content d’utiliser ce système D, explique Damien Ernst. Cette actualité nous rappelle surtout que la Belgique, comme d’autres pays européens, fait face à plusieurs difficultés en matière d’énergie ». D’abord, en raison de la montée en puissance des renouvelables. La Belgique a beau avoir introduit un mécanisme dit de « rémunération de la capacité » basé sur des enchères censées garantir la sécurité de l’approvisionnement en électricité, de fortes divergences peuvent apparaître entre l’offre et la demande. Un phénomène lié à l’intermittence des énergies éolienne et solaire.

On l’a vu récemment en Allemagne où les prix se sont envolés sur le marché de gros alors que le pays a connu pendant plusieurs jours une absence de vent et de soleil. Notre grand voisin a importé massivement de l’électricité, quitte à provoquer des tensions sur les prix dans les pays fournisseurs. « Plus les énergies renouvelables progressent, plus l’équilibre du réseau est compliqué à atteindre. On n’est jamais à l’abri d’une mauvaise prévision », relève Daniel Ernst.

Ne pas suivre l’exemple de l’Allemagne

La Belgique est confrontée à un autre écueil. Son réseau électrique manque de puissance du fait de l’arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires ces dernières années. « Nous avons déjà perdu deux gigawatts de puissance récemment avec la fermeture de Doel 3 et Tihange 2. Et d’ici à 2026, il est encore prévu d’en perdre autant », déplore l’économiste. Le résultat de cette politique ? La production nationale d’électricité est au plus bas depuis six ans. Deux centrales à gaz doivent venir épauler le réseau, mais le chantier prend du retard. Ces installations ne seront sans doute pas disponibles dès cette année comme prévu initialement.

Au risque ultime d’un black-out ? C’est peu probable. Le pays a la possibilité d’opérer des coupures maîtrisées et momentanées du réseau électrique, à l’échelle locale. Autrement dit, du « délestage ». Ce dispositif permet d’éviter le pire : une panne d’électricité généralisée sur une partie importante du territoire. En revanche, les difficultés du réseau contribuent à maintenir des prix de l’électricité élevés. « Ils sont légèrement au-dessus de ceux de la France. Sans les tarifs régulés », note Damien Ernst. En d’autres termes, la population est moins protégée en cas d’emballement des prix.

L’économiste espère que dans les négociations en cours pour former le futur gouvernement belge, un accord sur le nucléaire soit trouvé, permettant de « sauver » un réacteur. « La population a été un peu endormie par le mythe des énergies renouvelables. Et les Verts en sont largement responsables. Mais désormais, la Belgique est devenue pro nucléaire », assure-t-il. Elle n’a pas su préserver autant de capacités de production que la France, mais elle peut encore éviter le chemin pris par l’Allemagne, dont la sortie de l’atome continue de plomber l’économie.



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Author : Sébastien Julian

Publish date : 2025-02-01 07:15:00

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