L’Express

« Le monde vu par la CIA en 2025 » : comment le service secret américain avait (presque) tout prédit

« Le monde vu par la CIA en 2025 » : comment le service secret américain avait (presque) tout prédit

Une pandémie mondiale. L’essor du terrorisme. La perte de vitesse de l’Europe, fragilisée par l’éloignement des Etats-Unis et la montée en puissance de la Chine. Ces constats géopolitiques ont été annoncés il y a bien longtemps. Tous au même endroit : dans les rapports publics rédigés par le renseignement américain. En se replongeant dans ces documents, L’Express a dénombré plusieurs scénarios qui ont bien fini par se réaliser. D’abord édités en France par les éditions Robert Laffont, commentés par le journaliste Alexandre Adler, les ouvrages « Le rapport de la CIA : comment le monde sera en 2020 » et « Le rapport de la CIA : comment le monde sera en 2025 », publiés en 2005 et 2009, livrent un exercice de « diagnostic prospectif » qui s’est souvent vérifié avec une efficacité surprenante.

Le futur dépeint par le Conseil national du renseignement américain – une équipe rattachée à la Maison-Blanche, qui compte plusieurs cadres de la CIA – fait écho aux défis multiples que rencontrent les Etats-Unis et l’Europe aujourd’hui. Certaines, comme l’avènement d’un monde multipolaire, la fin de l’hégémonie occidentale ou encore le vieillissement de l’Europe, sont bâties sur des tendances de fond. Mais d’autres, beaucoup plus inattendues, illustrent le talent de prospective des experts mobilisés.

La première d’entre elles, et la plus connue, a pris vie en 2020 : celle d’une pandémie causée par l’apparition « d’une nouvelle maladie respiratoire humaine virulente, extrêmement contagieuse » et « pour laquelle il n’existe pas de traitement adéquat », imagine la CIA dès 2009. L’agence d’espionnage met ainsi en garde contre des « souches hautement pathogènes de la grippe aviaire telles que le H5N1 », mais aussi « d’autres agents pathogènes, comme le coronavirus du SRAS ». Fortement inspirés par l’épidémie de SRAS qui s’était diffusée principalement dans les pays asiatiques et le Canada entre 2002 et 2004, les experts ont ainsi imaginé la propagation d’un virus similaire à celui du Covid-19 – onze ans avant son arrivée. Même son origine potentielle est juste : une « zone à forte densité de population », prévoyaient-ils, comme la « Chine et dans le Sud-Est asiatique » (le Covid-19 est né à Wuhan, en Chine centrale). Le scénario prédit est perspicace. « La maladie tarderait à être identifiée si le pays d’origine ne disposait pas des moyens adéquats pour la détecter », est-il écrit, les analystes soulignant qu’il « faudrait des semaines pour que les laboratoires fournissent des résultats définitifs confirmant l’existence d’une maladie risquant de muter en pandémie ». Carton plein.

La fin de l’ordre international

Mais bien au-delà de l’émergence du Covid-19, les analystes sont parvenus à distinguer des tendances géopolitiques plus profondes. En 2009, la CIA envisage seize ans plus tard la fin d’une « seule et unique » communauté internationale, « avec de nouveaux acteurs introduisant de nouvelles règles du jeu, et des risques accrus alors que les alliances occidentales traditionnelles perdront de leur force ». Dans son édition précédente, conçue en 2004, ses experts voient déjà poindre la paralysie des organisations internationales, « les Nations unies et les institutions financières internationales » courant le « risque de glisser dans l’obsolescence, à moins qu’elles ne prennent en considération le pouvoir croissant des puissances montantes ».

Le transfert de richesse au bénéfice de la Chine et de l’Inde risque de « renforcer des Etats comme la Russie qui entendent remettre en cause l’ordre occidental ». « D’ici à 2025, le système international sera planétaire et multipolaire », note le rapport, qui enchaîne, semblant prédire l’émergence des géants de la tech : « la puissance relative de divers acteurs non-étatiques – qu’il s’agisse d’entreprises, de communautés ethniques, d’organisations religieuses, de réseaux criminels – ira croissante ». La menace de guerres avec des visées territoriales – comme celle menée par la Russie en Ukraine depuis février 2022 – est avancée. « Nous ne pouvons pas exclure un scénario de course aux armements, d’expansion territoriale et de rivalités militaires, similaire à celui du XIXème siècle », est-il écrit en 2009. Dans son édition précédente, les experts de la CIA mettaient aussi en scène des Américains dont la population est « fatiguée de jouer les gendarmes du monde ». Avec des mots faisant étrangement écho à la campagne de Donald Trump, le rédacteur de ce scénario – un haut fonctionnaire américain – s’y inquiète notamment de l’influence de « groupes défenseurs du principe de ‘l’Amérique d’abord' ».

Un terrorisme « décentralisé »

Au-delà de ces grandes tendances, l’ouvrage se distingue par ses scénarios de pure fiction – qui parviennent, dans certains cas, à tomber juste. Dans le premier, la CIA imagine un monde « sans Occident », en réalité une nouvelle donne où l’Occident est moins influent. Un officiel russe d’une organisation imaginaire (le président de l’Organisation de coopération de Shanghai) écrit au secrétaire général de l’Otan. Il constate l’apparition aux Etats-Unis et en Europe de « mouvements protectionnistes conduits par une coalition de forces balayant l’éventail politique d’un extrême à l’autre » et la montée en puissance d’une hostilité envers la Chine. L’Occident, confronté à une récession qui s’éternise, cherche « un bouc émissaire ». « Ces événements ont été un véritable don du ciel parce qu’ils ont jeté Russes et Chinois dans les bras l’une de l’autre », écrit le responsable russe. Le rapport de 2009 consacre aussi un chapitre important au risque nucléaire, soulignant que de « nouveaux développements politico-militaires contribuent à éroder le tabou lié à cet armement ». Difficile, aujourd’hui, de ne pas penser au missile balistique Orechnik, lancé par la Russie en novembre 2024 contre une ville ukrainienne. Conçu pour transporter des têtes nucléaires – mais sans charge – l’envoi de cette arme a été perçu en Occident comme un signal stratégique.

Publié huit ans après le 11 septembre 2001, le rapport de la CIA ausculte la montée d’un autre risque : celui de la propagation de l’islam radical, et particulièrement du salafisme, qui « risque de saper l’influence des alliés occidentaux dans le monde musulman, notamment au Moyen-Orient ». Dans son édition précédente – prévoyant en 2004 le monde de 2020 – le rapport donnait une plus large place encore aux évolutions présentées par le mouvement islamiste radical. En 2020, « Al-Qaïda aura été supplanté par des groupes extrémistes d’inspiration islamiste similaire », note-t-il, soulignant le « risque non-négligeable » de les voir « fusionner avec des mouvements séparatistes locaux ».

Le terrorisme islamiste des années qui viennent sera « décentralisé », ont prévenu les experts, qui avaient perçu l’arrivée « d’une kyrielle de groupes éclectiques, de cellules et d’individus qui n’ont pas besoin de quartiers généraux fixes pour projeter et exécuter des opérations ». Dans un scénario prévoyant le monde de 2020, les experts de la CIA imaginent la proclamation d’un « nouveau califat » qui séduit, grâce à Internet, bien au-delà de ses frontières physiques. Dans son avant-propos, Alexandre Adler fait lui-même preuve d’une rare clairvoyance concernant la situation au Moyen-Orient, prévoyant qu’en 2020 « le Hezbollah remet en cause son accord avec le gouvernement d’union de Saad Hariri et reprend tout à la fois les actes de provocation face à Israël ». Le rapport imagine, avec quelques années d’avance, la chute de Bachar el-Assad, et l’arrivée au pouvoir à Damas, via une coalition, de Frères musulmans sunnites.

Des erreurs de prospective

La prospective n’est toutefois pas une science exacte. Dans leurs rapports, les experts de la CIA ont également imaginé des hypothèses qui n’ont que peu de chance de se réaliser, y compris dans un avenir proche. Elles sont marquées du sceau de l’époque où elles sont rédigées, revêtant les craintes et les espoirs de l’année en cours. Dans leur projection de 2025, les experts de 2009 imaginent par exemple la fin de la partition Corée du Nord/Corée du Sud – dont la frontière est un point de tension permanent. Une autre hypothèse met également en scène une scène internationale fortement dominée par les ONG : devant l’ampleur des catastrophes liées au réchauffement climatique, l’ONU aurait « réservé vingt sièges aux ONG qui se disputent chaque année le droit d’y prendre part pendant un an et de disposer d’un vote équivalent à celui des Etats nations ». En 2004, un an après que le terme a été popularisé par le gouvernement Bush lors de son invasion de l’Irak, les analystes tracent le scénario d’une population frappée par des attaques avec des armes de destruction massive.

Les éditions suivantes du rapport de la CIA présentent les mêmes qualités – et les mêmes travers. Publiée en 2021 – en France aux éditions Equateurs documents -, sa dernière version imagine le monde en 2040, avec entre autres, un scénario où la pandémie de Covid-19 n’a jamais été jugulée. Cette dernière a eu des conséquences en série, ouvrant notamment la voie à une unification de la Chine et de Taïwan. Dans un autre, le monde est séparé en « silos », en blocs fragmentés opposés les uns aux autres. Les efforts pour faire face au changement climatique sont « sporadiques », voire inexistants. L’accès à un Internet ouvert est limité aux Etats-Unis et à quelques alliés. Un autre, enfin, se montre positif, et imagine une « coalition mondiale dirigée par l’Union européenne et la Chine » qui parviendrait à réduire les effets néfastes du changement climatique. Pour savoir si le troisième oeil de la CIA fonctionne encore, rendez-vous dans 15 ans.



Source link : https://www.lexpress.fr/societe/le-monde-vu-par-la-cia-en-2025-comment-le-service-secret-americain-avait-presque-tout-predit-PBNTEKKSBBD6JOXMGDDVZFVGB4/

Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2025-02-01 07:45:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express