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Dans la course à l’intelligence artificielle, le mystérieux retard de l’Inde

Dans la course à l’intelligence artificielle, le mystérieux retard de l’Inde

« Est-ce que trois ingénieurs indiens avec 10 millions de dollars pourraient bâtir quelque chose de similaire à OpenAI ? » La séquence vidéo connaît, ce mois-ci, un regain de popularité sur les réseaux sociaux. On y voit Sam Altman questionné par un parterre de chefs d’entreprise et d’investisseurs à New Delhi en 2023. Sa réponse est cinglante : « Aucun espoir de rivaliser avec nous dans l’entraînement de modèles de fondation, vous ne devriez même pas essayer. »

La scène avait suscité un certain émoi dans la communauté tech du pays. « Cher Sam, d’un chef d’entreprise à l’autre… Challenge accepté », avait aussitôt rétorqué CP Gurnani, le dirigeant de Tech Mahindra, l’un des plus grands groupes de services informatiques, dans un post diffusé sur X. Et pourtant, dix-huit mois plus tard, c’est la publication d’un modèle en open source par le chinois DeepSeek qui vient titiller la domination américaine dans le secteur, jusque-là jugée absolue. La société a été créée en mai 2023 à Hangzhou et elle affirme n’avoir consacré que 5 millions de dollars en puissance de calcul pour l’entraînement de son modèle, là où OpenAI a dépensé 100 millions pour GPT-4.

Pourquoi l’Inde n’a-t-elle pas été capable de réaliser cette prouesse ? La question anime depuis quelques semaines le pays qui copréside le AI Action Summit organisé à Paris du 6 au 11 février. Exactement comme celui de DeepSeek, le modèle Sutra Dual2L de TwoAI, la start-up indienne la plus avancée du secteur, repose sur un modèle open source mis à la disposition de tous par le groupe Meta de Mark Zuckerberg. Il affiche néanmoins des performances bien inférieures à celui bâti par le chinois à partir de cette même base. Et DeepSeek n’est que la pointe de l’iceberg en ce qui concerne l’intelligence artificielle en Chine. Il faudrait également citer Qwen (Alibaba), SenseTime, MiniMax, Kimi et DuoBao (ByteDance).

Le marché indien étouffé par les Américains

De nombreuses voix indiennes appellent à suivre le schéma établi par l’Organisation de recherche spatiale du pays, l’Isro. Elle a réussi à faire entrer l’Inde dans la course à l’espace en envoyant en orbite de Mars le satellite Mangalyaan, en 2013, et dix ans plus tard, la sonde Chandrayaan-3 sur la Lune. Ayant respectivement coûté 74 et 75 millions de dollars, ces exploits ont été salués comme une ode à l’ingéniosité et à la frugalité.

La construction de modèles de langage étendus est en réalité assez facile. La science fondamentale derrière ces LLM existe depuis 2017. Les améliorations, depuis, sont disponibles via des articles de recherche. DeepSeek, qui a raffiné une approche appelée « mélange d’experts » – plusieurs sous-modèles spécialisés travaillent ensemble afin de répondre à une question, au lieu d’un seul grand modèle se chargeant de tout -, a d’ailleurs publiquement détaillé ses travaux.

Au-delà du modèle, l’accès aux données est clé. OpenAI a accusé Deepseek d’avoir utilisé sans permission des données générées par son IA. Ce qui ne manque pas de sel, OpenAI étant poursuivie en justice par divers médias, notamment indiens, qui l’accusent d’avoir utilisé leurs contenus sans autorisation pour entraîner ses modèles.

Les Indiens pointent aussi la difficulté de trouver les spécialistes adéquats. Il est vrai que les meilleurs ingénieurs et chercheurs du pays émigrent aux Etats-Unis. Mais DeepSeek a prouvé qu’il n’était pas indispensable de recruter des superstars de l’intelligence artificielle, en embauchant de jeunes diplômés des universités locales, parfois avec des spécialités autres que l’informatique ou les mathématiques. Le vivier de talents indiens est suffisamment profond pour rivaliser.

Enfin, l’argent est là. En mars 2024, le gouvernement a lancé la mission IndiaAI, allouant 1,5 milliard de dollars pour les cinq prochaines années et créant un cluster de 19 000 puces qui sera mis à disposition des start-up locales.

L’explication la plus plausible de ce retard dans l’IA, c’est l’absence de marché protégé, la même raison pour laquelle l’Inde n’a pas son propre Google ou Facebook. Comme en Europe, les entreprises locales sont étouffées par les fournisseurs de services américains car ils sont moins chers et meilleurs. A l’inverse, les acteurs chinois bénéficient d’un marché immense duquel OpenAI et Anthropic sont bannis. L’Inde est réputée pour être le second marché d’OpenAI en nombre d’abonnés après les Etats-Unis. Sam Altman prévoit de s’y rendre début février et de rencontrer le Premier ministre Modi, comme il l’avait déjà fait en 2023. L’occasion de réitérer sa déclaration d’alors ?



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Author : Robin Rivaton

Publish date : 2025-02-02 17:30:00

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