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Immigration : derrière le budget, l’autre menace qui pèse sur François Bayrou

Immigration : derrière le budget, l’autre menace qui pèse sur François Bayrou

Le lundi 27 janvier, le ciel est encore dégagé. Rien ne semble faire obstacle à la conclusion d’un accord de non-censure entre le gouvernement et les socialistes autour du budget 2025. La paix armée est dans l’intérêt de tous. Attablé dans un café parisien, un cadre de l’ex-majorité présidentielle affiche un optimisme teinté de prudence. « Des éléments peuvent percuter la bienveillance qui semble se dessiner entre le PS et nous. Un Retailleau qui ferait trop de Retailleau par exemple… » Prophétique. Enfin, presque. Le ministre de l’Intérieur n’est pour rien dans la colère socialiste. En théorisant l’existence d’un « sentiment de submersion migratoire », François Bayrou a lui-même réveillé les envies de censure de la formation à la rose. Le budget est la première menace pesant sur l’exécutif : dans La Tribune Dimanche, le Premier ministre annonce qu’il recourra lundi au 49.3 et dit son « espoir » de voir le projet de loi de finances enfin adopté. Mais un train peut en cacher un autre.

Le thème de l’immigration est à double tranchant dans cette Assemblée morcelée. L’interrogation est lancinante. Le gouvernement doit-il s’en emparer avec vigueur pour se prémunir du risque de censure ? Ou bien embrasser le sujet l’expose-t-il aux assauts simultanés de la gauche et du Rassemblement national ? L’interrogation souffre d’un biais idéologique évident.

Sujet à double tranchant

A son arrivée à Beauvau, Bruno Retailleau penche sans surprise pour la première option. Le Vendéen espère que son discours et ses projets législatifs auront pour effet d’anesthésier le Rassemblement national. « C’est une assurance vie face au RN, juge alors un proche. Aucun gouvernement ne survit s’il ne penche pas à droite. » La thèse ne manque pas d’arguments. D’après les enquêtes d’opinion, les Français sont avides de fermeté migratoire. Cette « majorité nationale » – que Bruno Retailleau érige en source de légitimité politique – verrait d’un mauvais œil la censure d’un exécutif vigoureux. L’analyse vole en éclats le 4 décembre. L’extrême droite baisse le pouce, joignant ses voix à celles de la gauche pour faire chuter le gouvernement Barnier. L’immigration a été éclipsée du discours frontiste, au profit d’alertes contre une hausse des impôts ou d’un tour de vis sur les retraites.

Ce jour-là, François Hollande a censuré Michel Barnier. Au lendemain de la nomination de François Bayrou, l’ancien président de la République cartographie les menaces. « Si Bayrou, comme Barnier, cherche un accord avec le RN sur une loi immigration, il mettra les socialistes dans l’obligation de censurer tout en sachant que cette position ne ferait pas forcément tomber le gouvernement. » Immigration, terrain miné. La gauche se méfie de Bruno Retailleau, jugé complaisant avec les thèses du RN. La formation d’extrême droite le dépeint en « ministre de la parole », à l’efficacité douteuse. Dès septembre, Marine Le Pen érigeait en « ligne rouge » l’absence de « sursaut migratoire ». « Nous vous demandons […] de remettre à votre agenda, dès le premier trimestre de 2025, un projet de loi immigration restrictif, reprenant au minimum les dispositions censurées en janvier par le Conseil constitutionnel », lançait-elle à Michel Barnier après sa déclaration de politique générale (DPG).

« Une grande loi est de nature à provoquer une censure »

Ces mécontentements peuvent se coaguler contre l’exécutif. La preuve par l’Aide médicale d’Etat (AME). La baisse de 111 millions d’euros des crédits allouée au dispositif, approuvé ce vendredi par la Commission mixte paritaire (CMP), suscite des réactions contradictoires. « Humiliation totale des LR sur le budget et l’immigration », a réagi le député RN Jean-Philippe Tanguy sur X ». « La Macronie et les soutiens du gouvernement coupent dans l’AME ! C’est l’extrême droite qui gouverne ? La censure s’impose », a rétorqué l’élu LFI Aurélien Le Coq, membre de la CMP.

Alors, l’exécutif fait assaut de prudence. Oubliée, la grande loi immigration initialement souhaitée par Bruno Retailleau. François Bayrou a évoqué de simples « initiatives parlementaires » lors de sa DPG. Le Premier ministre préfère des propositions de loi sur des objets identifiés. Moins risqué. « Avoir un grand texte est de nature à provoquer une censure, note une ministre. De plus petites lois sur des sujets particuliers peuvent être tout aussi efficaces et moins dangereuses ». Ainsi, Bruno Retailleau n’est pas pressé de transcrire dans notre droit le Pacte européen sur la migration et l’asile, une obligation d’ici juin 2026. Là encore, la tenaille guette. Les eurodéputés socialistes avaient voté contre ce texte, tout comme Jordan Bardella. A Beauvau, on philosophe : serait-ce la première fois que la France prend des libertés avec les règles européennes ? La survie vaut bien une petite indélicatesse.

François Bayrou en prendra-t-il ombrage ? Le Premier ministre n’est pas réputé pour sa doctrine sur l’immigration. « Je ne saurais pas donner sa pensée précise sur le sujet », sourit un ministre. « C’est… François Bayrou », ajoute un autre, en allusion à son centrisme. Du genre à donner raison à ses ministres Bruno Retailleau et Eric Lombard, aux lignes pourtant divergentes. Avant sa DPG, le ministre de l’Intérieur glissait au chef de gouvernement : « J’attends que tu t’exprimes. Je ne peux pas me contenter de silences. » Le choix du niveau sonore requiert une grande subtilité.



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Author : Paul Chaulet

Publish date : 2025-02-02 06:30:00

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