L’Express

L’obésité est-elle une maladie ? Ce débat scientifique qui n’en finit pas

L’obésité est-elle une maladie ? Ce débat scientifique qui n’en finit pas

Arnold Schwarzenegger et Teddy Riner ont un point commun inattendu : ils sont tous deux considérés comme obèses. A n’en pas douter, les 142 kilos du judoka français sont plutôt constitués de muscles que de graisse. Mais l’indice de masse corporelle (IMC), la référence mondiale depuis des décennies pour mesurer l’obésité, ne fait pas cette distinction. Une aberration que 58 experts internationaux proposent de corriger en donnant une nouvelle définition de l’obésité.

Dans un rapport publié mi-janvier par la prestigieuse revue médicale The Lancet, ces scientifiques estiment que l’IMC est aujourd’hui un critère insuffisant. A la place, ils recommandent un diagnostic plus précis, tenant compte notamment du tour de taille et distinguant deux formes d’obésité, selon leurs effets sur la santé. D’un côté, l’obésité préclinique, qui n’altère pas encore la santé du patient et n’est pas considérée comme une maladie. De l’autre, l’obésité clinique, un « état de maladie qui résulte directement de l’effet de l’excès d’adiposité sur la fonction des organes et des tissus ».

Si cette nouvelle classification était largement adoptée, les implications seraient massives. Sur le regard de la société, mais aussi des médecins sur l’excès de poids. Sur leur façon de décider quels patients doivent être traités. Et sur les industriels de la pharmacie qui commercialisent les médicaments antiobésité comme Wegovy ou Mounjaro. La distinction entre obésité clinique et préclinique permettrait d’adapter la réponse médicale à chaque patient : soins urgents quand l’excès de masse corporelle porte déjà atteinte à la santé, surveillance et prévention quand les organes fonctionnent encore normalement. Avant même sa publication, le rapport a été approuvé par 76 organisations de santé à travers le monde.

Un retour en arrière ?

En France, l’initiative est diversement perçue. « Un groupe de médecins qui travaille sur la stigmatisation de l’obésité a eu un accueil plutôt favorable », assure Martine Laville, professeure de nutrition au laboratoire Carmen de l’université Lyon I et coautrice du rapport. Son espoir : que ce rapport « aide à mieux reconnaître l’obésité clinique comme une maladie chronique, et donc à mieux rembourser les patients ». Mais parmi ces derniers, cet avis est loin de faire l’unanimité. Ainsi, Anne-Sophie Joly, présidente du Cnao (Collectif national des associations d’obèses), ne décolère pas. Elle qui se bat depuis des années pour faire reconnaître l’obésité comme une maladie estime que ce travail va dans le mauvais sens : « On revient à la case départ en termes de communication, cela me met hors de moi. En parlant d’obésité préclinique, on fait passer le message que, pour une partie des personnes concernées, il ne s’agit pas d’une pathologie. C’est la porte ouverte à un retour à la culpabilisation des individus concernés. »

Actuellement, seul l’IMC permet de dire qui est obèse, et qui ne l’est pas. Il est obtenu en divisant le poids par la taille au carré. Un ratio inventé en 1832 par le statisticien belge Adolphe Quetelet, à la recherche des caractéristiques de l’homme moyen. Sa première application concrète date des années 1950, quand une compagnie d’assurance américaine s’en empara. En 1997, l’Organisation mondiale de la santé déclare l’obésité épidémie globale et définit alors un seuil, reposant sur l’IMC. Il est toujours en vigueur aujourd’hui : si votre IMC dépasse 30 kg/m², vous êtes obèse. Pour une personne mesurant 1,75 mètre, cela correspond à un poids de 92 kilos.

Avec ce critère, environ 17 % des Français sont obèses. La réalité est plus complexe, puisque l’IMC ne fait pas la différence entre graisse et muscle. « Il s’agit d’un merveilleux outil de dépistage, mais d’un mauvais instrument de diagnostic individuel », rappelle le Dr Guillaume Pourcher, chirurgien de l’obésité à l’hôpital privé Geoffroy-Saint-Hilaire. De plus, cette mesure ne dit rien de la répartition des graisses, pourtant déterminante pour la santé. Or, c’est bien l’accumulation de gras au niveau abdominal qui est un facteur de risque important pour de nombreuses maladies.

Les experts du Lancet ont mis deux ans pour aboutir à une autre approche de l’obésité. « Au départ, je me suis demandé si on avait vraiment besoin de se lancer dans une nouvelle définition. Je n’étais pas la seule, mais ces deux années de travail m’ont convaincue », confie Martine Laville. Au sein de la communauté des experts, les débats ont été vifs. « Sur la nécessité de dépasser l’IMC, le consensus a été facile à trouver », glisse Martine Laville. Les vrais défis étaient ailleurs. D’abord, s’accorder sur des critères à la fois précis et pratiques. « Comment met-on en évidence cet excès de masse grasse ? L’imagerie médicale serait l’outil parfait, mais nous avions besoin de mesures simples, accessibles partout dans le monde », rappelle la coautrice.

Retentissement sur les organes

La proposition du rapport reprend des mesures déjà pratiquées par de nombreux professionnels : un tour de taille supérieur à 102 centimètres pour les hommes et 88 centimètres pour les femmes, un ratio tour de taille-hanche supérieur à 0,9 pour les hommes et 0,85 pour les femmes, ainsi qu’un ratio tour de taille-hauteur supérieur à 0,5. La règle est ensuite simple. Si l’IMC est supérieur à 30 et que l’une ou deux de ces mesures sont dépassées, la personne est considérée comme obèse. De plus, « un IMC supérieur à 40 suffit à présumer le statut d’obésité », note le rapport.

« Ensuite, il a été nécessaire de répondre à la question suivante : cet excès de masse grasse a-t-il un retentissement sur les organes ? » détaille Martine Laville. Autrement dit, l’obésité est-elle – ou non – une maladie ? Un sujet épineux, qui divise de longue date les experts. « Pour définir l’obésité comme une maladie, il fallait des arguments scientifiques pour considérer que cette atteinte était causée directement par l’excès de graisse », poursuit Martine Laville. Au lancement des travaux, les 58 experts ont dû répondre à un sondage : pour plus de la moitié d’entre eux, l’obésité ne relève pas toujours de la pathologie. « Ils soutenaient l’idée qu’elle est un facteur de risque d’autres maladies et, parfois, une maladie en soi », rappelle le rapport. Avec un argument principal : « Un nombre important de personnes avec une adiposité excessive ne présentent aucun signe évident de maladie en cours. »

C’est pour se mettre d’accord que les auteurs ont fini par créer ces deux catégories, l’obésité préclinique et l’obésité clinique. Cette dernière indique que l’excès de masse grasse porte atteinte à la santé du patient. Pour l’identifier, les praticiens ont mis au point 18 critères de diagnostic. En résumé, il faut se demander si le surpoids provoque des difficultés concrètes en termes de santé (essoufflement important, douleurs articulaires, troubles du sommeil, problèmes cardiaques ou mauvaise gestion du sucre) ou dans la vie quotidienne (difficulté à se déplacer, se laver, s’habiller ou manger).

Risque de confusion

Ainsi, une femme dont l’IMC dépasse 30 et dont le tour de taille dépasse 88 centimètres mais n’a aucun de ces signes doit être considérée en état d’obésité préclinique. Sa santé n’est pas encore dégradée par sa surcharge pondérale. Ce qui ne veut surtout pas dire qu’elle ne doit pas être suivie par un professionnel. Une telle distinction permet toutefois de mieux flécher les parcours de soins et le suivi. D’un côté, l’obésité clinique exige un traitement immédiat pour freiner l’atteinte des organes. De l’autre, l’obésité préclinique appelle une surveillance et des conseils personnalisés. Mais cette nuance entre une obésité-maladie et une obésité sans altération de santé est controversée. Anne-Sophie Joly, présidente du Cnao et le docteur Guillaume Pourcher craignent par exemple que ce rapport crée de la confusion, tout particulièrement dans notre pays, où le statut de l’obésité reste flou.

Le site du ministère de la Santé la qualifie de « maladie », mais ne lui accorde pas le statut officiel de pathologie chronique. Une reconnaissance pourtant recommandée par Martine Laville dans un rapport remis en avril 2023 au ministère de la Santé et qui devait servir de base de travail. La feuille de route promise pour améliorer la prise en charge des personnes concernées s’est depuis perdue dans les méandres de l’instabilité gouvernementale. Avec cette définition du Lancet, il y a un risque de casser cette dynamique, estime Anne-Sophie Joly : « En étant flou, on brouille le message de santé publique, on ne va pas améliorer la formation des praticiens et l’agroalimentaire entendra ce qu’elle a envie d’entendre. »

En tant que chirurgien, le Dr Guillaume Pourcher craint « qu’on utilise ces outils de diagnostic plus fins pour limiter l’accès à des actes thérapeutiques ». Mais il y voit aussi une opportunité : « Cette approche pourrait nous aider à mieux comprendre et expliquer l’obésité, tant aux professionnels qu’au grand public. Aujourd’hui, on fait l’amalgame entre les causes et les facteurs aggravants et on dépiste mal. Ce qui est intéressant avec cette notion d’obésité préclinique, c’est que cela permettrait de dépister et suivre des patients plus tôt, qui n’auraient pas été détectés initialement. » C’est tout l’espoir des auteurs du Lancet. Reste à voir si, en France, cette logique finira par se traduire dans les faits.



Source link : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/lobesite-est-elle-une-maladie-ce-debat-scientifique-qui-nen-finit-pas-RD6XXLATQRAFFFV2V6BDBELHVY/

Author :

Publish date : 2025-02-02 06:45:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express