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Marco Rubio et Donald Trump : leur plan pour redessiner l’Amérique latine

Marco Rubio et Donald Trump : leur plan pour redessiner l’Amérique latine


Ces deux-là n’ont pas toujours été amis. En 2016, lors du débat des primaires républicaines, le sénateur de Floride Marco Rubio et le businessman Donald Trump se balançaient des insultes à la figure en direct. A l’époque, le premier, très offensif, traite le second d’arnaqueur, critique ses faillites en série, l’accuse d’employer des travailleurs clandestins, moque ses fautes d’orthographe sur Twitter. Et affirme que, si « Donald n’était pas un héritier, il serait en train de vendre des montres à la sauvette dans les rues de Manhattan ». En tête dans les sondages, Trump contre-attaque : il diminue son adversaire en l’appelant « Little Marco », en le qualifiant de « poids plume », de « menteur invétéré » et en déclarant qu’il transpire. « Cela l’oblige, en coulisses, à se maquiller à la truelle, y compris pour cacher ses grandes oreilles », raille-t-il.

A un autre moment, Rubio suggère que Donald Trump a… un petit pénis ! « Regarder la taille de ses mains, et vous savez ce qu’on dit sur les hommes qui ont des petites mains », se gausse-t-il. Trump, très premier degré, montre ses mains à la caméra : « Vous appelez ça des petites mains ? Je vous assure que je n’ai aucun problème de ce côté-là… »

Les deux candidats du « Grand Old Party » lors d’un débat le 25 février 2016 à l’université à Houston, au Texas

Et voici que, neuf ans plus tard, « Little Marco » est devenu le secrétaire d’Etat (ministre des Affaires étrangères) de Trump. C’est lui que le président a chargé de conduire la politique étrangère, laquelle s’inspire de la doctrine Monroe (1823) et de l’impérialisme prôné par Theodore Roosevelt (1901-1909), adepte de la diplomatie du « Big Stick ». « Tenez un gros bâton et parlez doucement, et vous irez loin », disait « Teddy ». Pour Rubio, il s’agit de rasseoir l’autorité des Etats-Unis sur ce que les Américains appellent l’Hémisphère occidental (Western Hemisphere), c’est-à-dire les Amériques du Nord, du Sud et centrale ainsi que les pays insulaires des Caraïbes. C’est le retour de la politique des « sphères d’influence » où l’Oncle Sam doit régner en maître dans son « arrière-cour » latino-américaine. Donald Trump veut redessiner les rapports de force de l’Alaska (et du Groenland) à la Terre de Feu, faire du Canada le 51e Etat américain, récupérer le canal de Panama, stopper l’immigration à la frontière du Mexique, contrer les cartels de la drogue et, si possible, mettre fin aux régimes dictatoriaux de Cuba, du Venezuela, du Nicaragua.

Premier Latino de l’histoire américaine nommé à « Foggy Bottom », le Quai d’Orsay américain, Rubio semble être l’homme de la situation. D’origine cubaine, hispanophone, il connaît parfaitement la région et, plus important encore, il en comprend la mentalité. Fils d’un serveur de restaurant et d’une femme de chambre d’hôtel arrivés en Floride en 1956, le petit Marco naît à Miami en 1971, étudie le droit dans la même ville, se marie à une pom-pom girl des Miami Dolphins (équipe de football américain), devient élu local puis sénateur de Floride au Congrès de Washington en 2011. Sous le premier mandat de Trump, ce Cubano-Américain fait partie de ceux qui conseillent le président en court-circuitant le Département d’Etat.

Au Sénat, il a présidé la commission du Renseignement et ainsi accédé à quantité d’informations top secret. « Bien renseigné sur la marche du monde, ce n’est pas encore un poids lourd de la politique étrangère mais ce n’est déjà plus un poids plume », estime Jacob Heilbrunn qui dirige à Washington la revue de géopolitique The National Interest. Néoconservateur, anticommuniste et « faucon » anti-Pékin, c’est aussi un atlantiste : « L’année dernière, il fut l’architecte de la loi bipartisane conçue pour empêcher tout président américain de quitter unilatéralement l’Otan », rappelle l’analyste.

Le « very bad deal » du canal de Panama

Traditionnellement, le ministre des Affaires étrangères américain réserve son premier voyage officiel au Canada ou au Mexique, pays voisins. Mais, en ce début février, le nouveau chef de la diplomatie se déplace d’abord au Guatemala, au Salvador, au Costa Rica, en République dominicaine et au Panama. C’est peu dire que les relations entre ce pays tropical et Washington sont refroidies depuis le discours d’investiture de Donald Trump, lorsqu’il a évoqué l’idée de reprendre le contrôle du canal. Construit et contrôlé par les Américains jusqu’en 1999, il a été rétrocédé aux Panaméens cette année-là en vertu de l’accord Torrijos-Carter de 1977. « Un very bad deal et une honte », selon Trump. « Jimmy Carter leur a donné le canal pour un dollar et ils étaient censés nous traiter équitablement. Maintenant, c’est la Chine qui exploite le canal de Panama », exagère le 47e président américain. Comme le commandement militaire américain, il s’inquiète de la montée en puissance de Pékin qui contrôle de nombreux ports logistiques sur le continent, y compris aux deux entrées du canal.

La fixation de Donald Trump sur la voie d’eau interocéanique remonte à 2003 lorsque le businessman s’est rendu pour la première fois à Panama City à l’occasion d’un concours Miss Univers dont il était l’organisateur. Aujourd’hui, les stratèges américains partagent sa volonté de « containement » vis-à-vis de l’empire du Milieu en Amérique latine. Dans le cadre de sa rivalité stratégique avec Pékin, Washington entend contrôler tous les flux maritimes de son environnement proche. D’où l’intérêt, aussi, pour le Groenland (territoire danois) et le passage du Nord-Ouest, route côtière qui s’ouvre le long du Canada à mesure que le réchauffement climatique provoque la fonte de glaces. « Je me demande toutefois par quel mécanisme juridique Trump entend revenir sur le traité de 1977 avec le Panama… », s’interroge, à Washington, l’expert Gaspard Estrada, de la London School of Economics.

En Colombie, la marche arrière de Gustavo Petro

Le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) Luis Almagro a en effet rappelé que « la validité du traité Torrijos-Carter était incontestable ». Alors, une intervention militaire américaine serait-elle envisageable ? « Et pourquoi pas ? réplique du tac-au-tac Jacob Heilbrunn du National Interest. Qui nous garantit que Trump ne s’y aventurera pas ? Cela lui offrirait une victoire facile qui augmenterait sa popularité, un peu comme le débarquement américain sur l’île de la Grenade en 1983, tout bénéfice pour l’image du président Reagan à l’époque. »

Plus urgente est cependant la question des migrants. En campagne électorale, Trump a promis de tarir le flux des illégaux en provenance du sud du Rio Grande [estimé de 7 à 11 millions de personnes sous le mandat de Joe Biden]. L’exemple de la Colombie donne une idée de la « méthode Trump ». Le 26 janvier, après que le chef de l’Etat Gustavo Petro (gauche) s’est opposé à l’atterrissage de deux avions militaires remplis de clandestins expulsés, Donald Trump a immédiatement menacé d’appliquer des droits de douane de 25 % sur les importations, ce qui aurait ravagé les filières café et fleurs coupées du pays andin. En l’espace de deux heures, l’ex-guérillero Petro était soudain moins combatif. Il a fait machine arrière.

La même menace – 25 % de taxe sur les importations – plane sur le Mexique. Trump exige de la présidente Claudia Sheinbaum (gauche) qu’elle stoppe le flux de migrants sur son sol et empêche les narcotrafiquants d’exporter du Fentanyl vers l’Amérique. Puissant opioïde qui contient des ingrédients chinois, cet antidouleur cause la mort de plus de 70 000 Américains chaque année. Le président américain menace aussi d’envoyer des forces spéciales combattre les cartels chez eux. Une ingérence inacceptable pour les dirigeants mexicains. En coulisse, Erik Prince, proche de Trump et fondateur d’Academi, la plus importante société militaire privée au monde, piaffe d’impatience. Il rêve d’en découdre avec les narcos et avec le régime vénézuélien de Nicolas Maduro. « L’idée d’une intervention militaire relève toutefois de la simple rhétorique », temporise la politologue mexicaine Beata Wojna.

Une guerre économique, en revanche, n’est pas à exclure, afin également de forcer la relocalisation de l’industrie aux Etats-Unis. Mais, puisque le Mexique est le premier partenaire commercial de l’Oncle Sam, attention à l’effet boomerang ! « Des droits de douane renchériraient d’au moins 3 000 dollars l’achat de voitures et de pick-up Ford et General Motors fabriqués au Mexique… », a opportunément prévenu la présidente Sheinbaum. Une telle guerre se traduirait en outre par une perte de PIB de 0,5 % aux Etats-Unis, selon plusieurs études. « Pour tenir sa promesse électorale – de lutte contre l’immigration -, Trump est prêt à payer ce prix », poursuit la politologue Beata Wojna, par ailleurs convaincue que Claudia Sheinbaum trouvera des terrains d’entente avec son voisin du nord.

En matière de lutte contre le narcotrafic, la leader de gauche a d’ailleurs promu l’expérimenté Omar Garcia Harfuch, partisan de la mano dura et cible d’une tentative d’assassinat par les narcos il y a cinq ans. « Une chose est sûre, conclut le Franco-Mexicain Gaspard Estrada, les relations de Rubio avec elle seront meilleures qu’avec son prédécesseur Andres Manuel Lopez Obrador : le sénateur de Floride l’accusait d’être un « apologue de la tyrannie cubaine et de la narcodictature vénézuélienne ». Meilleures, mais pas forcément excellentes…

Tout aussi incertain est l’avenir des relations avec le Brésilien Lula qui, voilà peu, soutenait ouvertement la candidature de Kamala Harris contre Donald Trump. A ce contentieux Lula-Trump s’ajoute le conflit ouvert entre Elon Musk et la Cour suprême du Brésil qui avait suspendu le réseau X jusqu’à ce que la plateforme accepte de supprimer des comptes d’extrême droite qui propageaient des fausses informations. Nul doute que le locataire de la Maison-Blanche préférerait voir le très droitier Jair Bolsonaro au pouvoir à Brasília, lui qui a une relation personnelle avec la famille Trump et qui a passé plusieurs mois « en exil » en Floride après la tentative de coup d’Etat de janvier 2023 par ses partisans lors du retour de Lula à la présidence.

De la part de Marco Rubio, ce sont surtout La Havane, Caracas et Managua qui feront l’objet d’une attention particulière. « Avec un Cubain à la tête du Département d’Etat, il existe une opportunité unique de faire bouger les choses à Cuba, au Venezuela et au Nicaragua, trois pays dont les partenaires privilégiés sont la Chine, la Russie et l’Iran », estime, à Genève, l’analyste suisso-vénézuélienne Maria-Alejandra Aristeguieta. De fait, Trump et Rubio voudraient se racheter du ratage de 2019 lorsque Washington, l’Union européenne et des dizaines de pays ont reconnu l’opposant Juan Guaido comme seul président du Venezuela. L’affaire a fini en eau de boudin et, six ans plus tard, Nicolas Maduro est toujours en place à Caracas…

Selon l’ancien ministre colombien Mauricio Vargas, fin connaisseur de la région, Rubio a cette fois un plan plus solide – et plus simple – pour faire tomber Maduro. « Il ne s’agit pas d’une opération militaire mais d’exercer une pression économique maximale, y compris en menaçant les pays qui commercent avec Caracas, explique-t-il à L’Express. Pour commencer, Donald Trump pourrait annuler la licence accordée par Joe Biden à Chevron qui permet à la compagnie américaine d’exploiter du pétrole au Venezuela ; cela priverait la narcodictature d’un précieux oxygène qui lui revient sous forme de 5,5 milliards de dollars par an. » Lors de sa récente audition devant le Sénat, Marco Rubio a expliqué que chaque programme financé et chaque politique appliquée par le Département d’Etat devraient rendre les Etats-Unis « plus sûrs, plus forts, plus prospères ». Or, selon lui, le chavisme menace la sécurité américaine à cause du narcotrafic ainsi que sa prospérité, en raison de l’envoi de centaines de milliers de migrants.

Le président du Salvador, son épouse Gabriela Rodriguez et leurs filles Layla et Aminah lors de la cérémonie d'investiture, au palais national, à San Salvador, le 1er juin 2024 Le président du Salvador, son épouse Gabriela Rodriguez et leurs filles Layla et Aminah lors de la cérémonie d’investiture, au palais national, à San Salvador, le 1er juin 2024

D’autres partagent cet avis. Lorsqu’il était député en 2021, l’actuel conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche Mike Waltz – également originaire de Floride – fut ainsi l’auteur de la loi Bolivar. Votée par la Chambre des représentants, elle vise à mettre fin aux contrats gouvernementaux signés avec toute entreprise qui fait aussi du business avec le gouvernement Maduro. Un troisième personnage complète l’équipe la plus anticommuniste et anticastristre depuis longtemps à la Maison-Blanche : Mauricio Claver-Carone. Cubano-Américain de Floride comme Rubio, il est le représentant personnel de Donald Trump pour l’Amérique latine. L’objectif de ce trio est simple : appliquer la tolérance zéro vis-à-vis de Maduro et l’obliger, peut-être, à rejoindre Bachar el-Assad en exil à Moscou.

« Si le régime vénézuélien tombe, Cuba sera sans doute le suivant sur la liste », pronostique Maria-Alejandra Aristeguieta, qui prédit « d’importants mouvements de plaques tectoniques aux Amériques dans les quatre années à venir ». En fait, les changements sont déjà en cours. Aux Etats-Unis, l’ouragan Trump balaye tout sur son passage. Au sud, Javier Milei secoue l’Argentine avec sa révolution libertarienne. En Amérique centrale, le Salvadorien Nayib Bukele, un autre protégé du nouveau locataire de la Maison-Blanche, a terrassé les gangs de narcotrafiquants avec une répression de choc. Au Canada, enfin, le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre, archi favori dans les sondages, pourrait arriver au pouvoir en 2025 (la date exacte de ce scrutin anticipé n’est pas encore fixée) en remplacement de Justin Trudeau. Un réalignement idéologique à l’échelle continentale semble être en marche. A la tête des Affaires étrangères de Trump, l’anticommuniste Marco Rubio n’est pas mécontent.



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Author : Axel Gyldén

Publish date : 2025-02-02 07:00:00

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