L’Express

Cancer et obésité : comment la graisse en excès fait naître des tumeurs

Cancer et obésité : comment la graisse en excès fait naître des tumeurs

Pendant longtemps, la France s’est crue épargnée par l’épidémie d’obésité. Immunisée, grâce à sa gastronomie, ses repas à heure fixe, ou encore un certain goût pour la marche. C’est loin d’être le cas : entre 1990 et 2020, le nombre de personnes atteintes d’obésité a doublé, passant de 8,5 à 17 %, selon une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). La France ne veut pas le voir, mais elle a, à n’en pas douter, un important problème de poids.

De cette crise-là qui s’aggrave d’année en année, pourrait en découler une autre. A cause du surpoids, les cas de cancer risquent, eux aussi, de s’envoler. Car l’obésité est un important facteur de risque de tumeur : les personnes avec un fort excès pondéral développent en moyenne beaucoup plus souvent cette pathologie que le reste de la population. D’après le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC/OMS), 16 types de cancers différents sont plus particulièrement concernés (prostate, sein, pancréas…).

Le sujet fait l’objet d’une attention de plus en plus vive de la part des scientifiques : avec environ une personne sur huit atteinte d’obésité dans le monde d’après l’OMS, le surpoids est désormais considéré comme la troisième cause de cancers dits « évitables », derrière l’alcool et le tabagisme. Environ 19 000 cancers dépistés chaque année sont liés à un excès de gras, selon l’Institut national du cancer.

Pendant longtemps, des facteurs connexes ont été cités – les personnes en surpoids sont souvent plus sédentaires, plus enclines à boire et à fumer, par exemple. Mais depuis quelques années, le gras lui-même est aussi désigné : « De plus en plus d’études montrent son implication dans l’apparition et l’agressivité des tumeurs malignes. Le gras n’est pas qu’associé, il est un des coupables directs », résume Catherine Muller, directrice adjointe de l’Institut de pharmacologie et de biologie structurale de l’Université de Toulouse, et auteur d’une revue de littérature publiée en 2020 dans la revue scientifique Trends in Cancer.

La graisse nourrit les tumeurs

Il y a une semaine, la Ligue contre le cancer a invité la chercheuse à présenter ses travaux, à l’occasion de son colloque annuel. Le choix de l’association, qui verse plus de 40 millions d’euros chaque année à la recherche, n’est pas étonnant : la scientifique fait partie des plus avancées sur le sujet. Avec son équipe, elle a mis en évidence plusieurs des mécanismes incriminés, et ce pour plusieurs cancers, dont ceux de la prostate, du sein, ou du cancer des os, au cours des vingt dernières années.

Lorsqu’on consomme de la graisse, des cellules appelées « adipocytes » se chargent d’en stocker une partie. En cas d’activité physique importante ou de privation de nourriture, un « relargage » de gras, de « lipides », peut s’opérer, pour aider les autres cellules. Ce que montre Catherine Muller, c’est que les tumeurs sont capables de « mimer » ces situations, de pirater ce fonctionnement naturel. Elles peuvent ainsi « forcer » les adipocytes alentour à libérer des lipides et des acides gras, et s’en « nourrir » pour prospérer. Des résultats présentés initialement en 2011 dans la revue scientifique Cancer Research pour le cancer du sein, et répliqués, ensuite, avec de nombreuses autres localisations de la maladie.

« Les cellules cancéreuses sont capables de produire elles-mêmes des lipides, mais elles peuvent aussi se servir dans les réserves de l’organisme. Ces mécanismes divergent selon la nature des lipides, le type de tumeur, son agressivité, sa capacité de migration, mais nous pensons qu’il y a là un mécanisme clef à comprendre chez les patients atteints d’obésité. Il nous faut désormais répertorier chaque type de gras, leur rôle dans chaque cancer, et évaluer l’importance de chacun de ces mécanismes », résume la chercheuse.

En présence d’adipocytes, les tumeurs peuvent être plus agressives. Elles se développent plus rapidement, sont plus grosses, et font plus de métastases, ces grosseurs secondaires qui se développent ailleurs dans l’organisme. « A l’inverse, les adipocytes diminuent de taille et sécrètent plus de molécules pro-inflammatoires en présence de cellules cancéreuses », poursuit la chercheuse. En théorie, tout le monde pourrait être touché par le phénomène, mais les personnes atteintes d’obésité ont plus de risques de présenter des poches de gras à proximité de tumeurs.

Molécules toxiques

D’autres mécanismes interviennent : « Le tissu graisseux chez les personnes en situation d’obésité n’est pas seulement plus fréquent, il est aussi plus souvent dysfonctionnel, il va libérer plus souvent certaines molécules toxiques, ou du moins dont la présence est anormale », ajoute Catherine Muller. Un mécanisme que connaît bien Vinciane Rebours, coordinatrice du Centre national de référence des maladies rares du pancréas à l’hôpital Beaujon de Clichy. La spécialiste étudie de près le cancer du pancréas, un des plus associés au surpoids.

La chercheuse a notamment mis en évidence la fréquence plus élevée de « lésions précancéreuses » en présence d’un excès de gras. Une étude publiée dès 2015 dans la revue Clinical Cancer Research. « Le gras en trop grande quantité peut s’accumuler et finir par infiltrer les cellules pancréatiques. C’est ce qu’on montre dans le cas du cancer du pancréas. Il peut aussi promouvoir, stimuler certaines voies d’activation, des réactions en chaîne qui vont provoquer un fonctionnement cellulaire anormal. La cellule va alors essayer de se réparer, mais ce faisant, elle va accumuler les anomalies dans son code génétique, jusqu’à devenir plus agressive et invasive », résume-t-elle.

Ces mécanismes, également détaillés dans une étude publiée en mars 2024 dans la revue Scientific Reports, ne sont pas non plus propres à l’obésité. Mais ils sont accentués par la pathologie : « Il arrive aussi que des personnes présentent un fonctionnement anormal de leur organe, ce qui va générer de l’inflation et, in fine, favoriser l’apparition d’adipocytes toxiques. Dans le cas du pancréas par exemple, certaines anomalies génétiques créent de la pancréatite, qui fait que le pancréas devient trop gras », poursuit Vinciane Rebours. A terme, les scientifiques espèrent que ces travaux permettront de développer de nouveaux médicaments. C’est loin d’être le cas pour le moment.

A mesure que ces recherches se popularisent, certains médecins peu consciencieux ont (déjà) évoqué l’idée de se priver de gras, pour ralentir la propagation des tumeurs. Une fausse bonne idée : « Il faudrait, pour être efficace, cibler le gras qui intervient dans les cellules cancéreuses. Si on se prive de gras, c’est tout l’organisme qu’on affaiblit, y compris le système immunitaire censé lutter contre les tumeurs. Les cellules cancéreuses pourraient même en profiter, car elles sont très adaptatives, elles profitent du fait qu’elles sont moins régulées qu’un tissu sain pour trouver de nombreuses sources d’énergie », résume Catherine Muller.

A leur arrivée sur le marché, les médicaments antiobésité ont provoqué d’importants espoirs en la matière. Les personnes qui en bénéficient présentent souvent moins de cancers. Mais les scientifiques ne savent pas si ces effets sont provoqués par le médicament, la perte de poids, ou l’amélioration d’autres facteurs, comme le fait d’être en mesure de retrouver une activité physique normale. Des études cliniques doivent être lancées, pour espérer démontrer un effet. En attendant, Vinciane Rebours est sceptique : « Il va falloir démontrer que les mécanismes stimulés par ces médicaments n’entraînent pas de lésions précancéreuses dans les organes mobilisés », nuance la scientifique.



Source link : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/cancer-et-obesite-comment-la-graisse-en-exces-fait-naitre-des-tumeurs-K5I6H7PDQBANNITE7CJWZNS2XM/

Author : Antoine Beau

Publish date : 2025-02-04 18:01:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express