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Intelligence artificielle : Mistral, le dernier espoir de l’Europe face à OpenAI et DeepSeek

Intelligence artificielle : Mistral, le dernier espoir de l’Europe face à OpenAI et DeepSeek

Un vent frais a saisi les équipes de la start-up française Mistral, fin janvier. Ce n’était pas la météo. Un nouveau concurrent chinois jusqu’ici méconnu a mis en ligne des modèles de langage dont les performances égalent ceux du leader, l’américain OpenAI, le père de ChatGPT. DeepSeek, c’est son nom, a surtout accompli cette prouesse à un coût minime. La découverte a déclenché une petite tempête dans la tech américaine, qui a effacé environ 1 000 milliards de dollars de capitalisation boursière en une journée, le 27 janvier. Elle a aussi suscité l’interrogation autour de l’Europe et de son champion Mistral. Car ce « moment DeepSeek » aurait pu être le sien.

Cette brise stimulante, la pépite française la connaît bien pour l’avoir soufflé lors de sa création, il y a dix-huit mois. Arthur Mensch, Guillaume Lample et Timothée Lacroix ont lancé Mistral AI avec l’objectif de concurrencer le leadership américain sur la taille et l’efficacité des modèles, la course à la performance pure étant plus risquée en raison d’un déficit de financement et d’accès aux meilleures puces IA. Un pari remarqué dans le monde entier. « L’avantage initial de Mistral est de combiner de solides performances dans un modèle plus petit, ce qui permet de le déployer pour de nombreux usages », explique Daniel Castro, vice-président de l’Itif, un groupe de réflexion basé aux Etats-Unis. Mais DeepSeek est allé un cran plus loin dans l’optimisation des coûts. Un tournant majeur pour le déploiement de l’IA.

Mistral n’est plus le meilleur joueur non américain. « Bravo », a reconnu avec fair-play Arthur Mensch, sur X. Le « moment DeepSeek » n’est, du reste, pas qu’une pirouette technique. Il ridiculise le super projet américain Stargate sur l’IA, doté de 500 milliards de dollars. DeepSeek émerge enfin alors que la France et l’Europe tentent de se placer au centre du jeu en organisant un sommet international. A Paris, Mensch devait être l’une des stars avec Sam Altman, d’OpenAI. Un duo auquel il faut désormais ajouter l’ombre de Liang Wenfeng, l’homme du « moment ».

« Commoditisation »

En théorie, Mistral semble pris en étau entre ces deux personnalités incarnant pour l’une la révolte de l’ingénierie chinoise ralentie par les restrictions sur les puces, et pour l’autre le gigantisme américain. Mais DeepSeek a publié ses recettes en open source. Tout le monde peut les copier, dont Mistral, qui a aussi l’habitude du partage. « L’équilibre des forces est bouleversé, au profit d’acteurs alternatifs open source », assure à L’Express Audrey Herblin-Stoop, la porte-parole de la start-up tricolore. « Rien n’est joué », a martelé dans la même veine la ministre chargée du Numérique et de l’Intelligence artificielle, Clara Chappaz.

L’Europe peut y voir un double avantage. La valeur des modèles diminue, puisqu’ils sont faciles à produire et de moins en moins cher à utiliser. Les analystes appellent cela la « commoditisation ». La prochaine bataille se mènera donc dans le conseil aux entreprises et la création de modèles spécifiques pour des cas d’usages précis dans l’industrie, la santé ou l’éducation. Un terrain que l’Europe maîtrise. Certains en viennent, dans ce contexte, à minimiser l’importance de Mistral. « Devons-nous vraiment continuer à en faire le centre de notre attention ? La course aux modèles grand public n’est pas la plus intéressante », observe Raphaël Pouyé, cofondateur de la société de conseil Plurall et enseignant à Sciences Po.

« Cette commoditisation n’est pas pour tout de suite », tempère Adina Yakefu, chercheuse en IA et spécialiste de l’open source chinois chez Hugging Face. DeepSeek n’invalide pas les besoins en grands modèles de pointe. En vérité, il les « distille », afin d’améliorer les siens. Et l’innovation reste principalement américaine : OpenAI vient à nouveau de repousser les frontières, début février, avec un nouvel outil de « recherche approfondie » capable de trouver de manière indépendante une multitude d’informations et fournir un travail d’analyse. « Il faut donc toujours des chercheurs pour créer des grands modèles complexes », note un connaisseur des activités de Mistral.

Garder un savoir-faire est essentiel. Le champion français le possède, ce qui est reconnu sur le Vieux Continent. Par les investisseurs, avec plus de 1 milliard d’euros levé. Par le pouvoir politique, en particulier Emmanuel Macron. Par l’écosystème tech français, Xavier Niel (Iliad) et Rodolphe Saadé (CMA CGM) en tête. Par les grandes puissances technologiques mondiales telles que Microsoft et Nvidia, partenaires de business. Et par le monde de l’IA : Mensch, Lample et Lacroix combinent excellence académique à la française et expérience. « Ils ont l’une des meilleures équipes au monde », souffle un analyste.

Le Chat discret

Un bien précieux pour l’UE. Pour sa souveraineté, sa sécurité. L’échange de données avec les Etats-Unis est de plus en plus contrôlé. DeepSeek est largement censuré par le Parti communiste chinois et pose également des questions de confidentialité. L’Europe, qui tente actuellement de se réveiller face à l’agressivité du duo Trump-Musk, compte plus que jamais sur son fleuron. Le récent partenariat de Mistral avec l’AFP, la plus grande agence de presse française – et parmi les plus importantes du monde –, est un signal positif sur son respect des valeurs et de l’éthique chère aux législateurs européens. La start-up, en retour, attend encore plus de simplification, notamment sur la régulation et la mise en œuvre de l’IA Act.

Persiste, pour elle, le casse-tête du modèle économique. « Avant, la valeur dans l’IA était associée aux grands modèles. Maintenant, à des produits comme ChatGPT ou DeepSeek. Or, celui de Mistral n’est pas bien identifié », cingle Tariq Krim, créateur du club de réflexion Cybernetica. Son agent de conversation Le Chat tente de remédier à cette critique. Même si, contrairement à ses deux rivaux, il n’est pas disponible via une application mobile. Mistral insiste en parallèle sur ses forces, auprès des entreprises et des développeurs : « Le contrôle, la personnalisation et le multilinguisme », résume Audrey Herblin-Stoop. Ses revenus se monteraient à plusieurs dizaines de millions de dollars par an, grâce à quelques jolis contrats avec des firmes réputées comme IBM, Mars ou bien SAP, relate le Financial Times. Mais la start-up regarde avec envie les points de passage d’OpenAI, qui un an après la sortie de ChatGPT tutoyait déjà le milliard de dollars. Ce changement d’échelle lui serait bien utile. Les levées de fonds plafonnent vite en Europe. L’Allemand Aleph Alpha, qui a préféré abandonner la course aux grands modèles par manque de cash, peut en témoigner.

L’entrée en Bourse est aussi, à terme, une possibilité. Mensch l’a évoqué sur Bloomberg TV. Pour couper court, surtout, aux rumeurs de vente qui entourent l’entreprise. Avant elle, d’autres pépites européennes ont été avalées par la Big Tech américaine, comme Inflection AI. Voilà le scénario redouté. Au moins autant que celui de devenir une « copie » tiède et moins performante de ce qui se passe outre-Atlantique. Un genre de Qwant, ce « Google européen » qui n’a jamais décollé. Mistral revendique des ambitions mondiales. Aux Etats-Unis, d’abord, où la start-up a ouvert un bureau dans la Silicon Valley : l’adoption de l’IA par les entreprises y est plus importante qu’en Europe. L’entreprise se déploie également en Asie, depuis Singapour. Le globe est vaste. Ne pas être américain ou chinois est un atout. « Dans le Golfe, des partenariats sont possibles avec des firmes et des gouvernements qui refusent la rivalité entre les deux superpuissances », pointe un proche de Mensch. De bonnes braises, sur lesquelles Mistral devra souffler.



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Author : Maxime Recoquillé

Publish date : 2025-02-05 07:00:00

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