Comment éviter que les progrès de l’intelligence artificielle ne soient accaparés par une poignée d’acteurs ? La question est brûlante, à l’heure du grand Sommet sur l’IA dont le temps fort diplomatique aura lieu les 10 et 11 février, à Paris. L’une des réponses, estime la France, se trouve peut-être dans la création d’une fondation à dimension éthique, « d’intérêt général ». Celle-ci a d’ores et déjà été annoncée par « l’envoyée spéciale » de l’Elysée, Anne Bouverot, mais elle ne sera officialisée que dans les prochains jours. D’après les informations de L’Express, la fondation sera baptisée Current AI. Elle recevra dans un premier temps un financement de 400 millions de dollars. Quelque 2,5 milliards de dollars, à une échéance qui demeure inconnue, sont espérés.
Les principaux mécènes ? L’Etat français, aux côtés de la fondation Ford, celle de Bill Gates, la fondation MacArthur ou encore la fondation Patrick J. McGovern, a appris L’Express. Des structures philanthropiques, toutes américaines, reconnues pour leurs actions en faveur des droits humains fondamentaux, de l’accès à la santé, ou encore de la lutte contre le réchauffement climatique. Plus surprenant : la participation de deux puissantes compagnies de la tech made in USA, Google et Salesforce. Sundar Pichai, le PDG de la première, sera à Paris en début de semaine. L’apport de Google en matière de recherche dans le domaine de la santé pourrait expliquer sa présence. Le parrainage de Current AI par Salesforce, mastodonte du logiciel de gestion, est à chercher, quant à lui, du côté de son charismatique fondateur, Marc Benioff, célèbre dans la Silicon Valley pour ses activités philanthropiques. Curieux télescopage : Google et Salesforce ont récemment salué l’élection de Donald Trump, dont les valeurs semblent aux antipodes de celles de cette fondation adoubée par l’Elysée.
L’ensemble sera chapeauté par AI Collaborative, une entreprise qui entend aider « à gouverner l’intelligence artificielle sur la base de valeurs et de principes démocratiques », renseigne son site Internet. Martin Tisné, envoyé spécial de « l’IA au service de l’intérêt public » du Sommet parisien, en assure la direction. AI Collaborative est couvée par Omidyar Group, créé par Pierre Omidyar, le fondateur du site d’e-commerce Ebay. L’homme, né en France de famille iranienne, est aujourd’hui installé aux Etats-Unis. Comme la majorité des autres investisseurs, Omidyar se démarque par ses activités dans la philanthropie, avec une fortune évaluée à plus de 10 milliards de dollars selon Forbes.
Un fort accent « open source »
Les missions de Current AI porteront d’abord sur la création d’ensembles de données « de grande valeur et pertinents au niveau local dans des domaines clés tels que les médias, les soins de santé et l’éducation », indique une source. Parmi les enjeux forts : la diversité linguistique, la science et les sujets de confiance et de sécurité. Dans une interview récente à La Tribune Dimanche, Anne Bouverot avait plaidé pour la mise à disposition gratuite de ces données pour les chercheurs, et une vente « à prix modique » pour les start-up.
Plus largement, Current AI mise sur « l’ouverture », comme le confirme l’un des participants à L’Express. En clair, l’open source, sur laquelle la France et l’Europe optent de manière tactique face à la stratégie de fermeture plutôt adoptée par la plupart des grands acteurs américains de l’IA, comme OpenAI. L’idée est de « promouvoir des normes et des outils ouverts qui garantissent que les technologies d’IA restent accessibles, adaptables et inclusives ». Enfin, la fondation entend fournir un environnement sécurisé, en établissant des « cadres solides pour la transparence, l’audit. »
Current AI dispose déjà de plusieurs « supporters » officiels. Hugging Face, le « hub » franco-américain de l’open source. Pleias, une start-up soutenue par le ministère de la Culture, qui bâtit des modèles de langage ouverts, respectueux du droit d’auteur et économes en énergie. Sakana AI, le « Mistral » japonais, qui partage des ambitions comparables au champion tricolore. Egalement de la partie, la Norrsken fondation, une ONG suédoise de lutte contre la pauvreté, la famine et la pollution, qui dispose de l’un des fonds d’investissement les plus actifs en Europe sur « l’impact ». Des Etats et des gouvernements devraient se porter garants de l’initiative, pendant ou après le sommet.
Mensch, Delangue, Pérez, Simo…
Une dizaine de « stars » de l’IA figurent aussi sur le faire-part de naissance. C’est ici, surtout, que s’observe la dimension « européenne » de Current AI. La France est évidemment bien représentée, avec Arthur Mensch (Mistral), Patrick Pérez (Kyutai), Éléonore Crespo (Pigment), Anastasia Stasenko (Pleias), Clement Delangue (Hugging Face) ou encore Fidji Simo. Cette dernière, passée chez Facebook, dirige Instacart, un leader américain de la livraison de courses, et siège au conseil d’administration d’OpenAI. Précieux. A leurs côtés, Jonas Andrulis, figure de la start-up allemande Aleph Alpha, et Brent Hoberman, entrepreneur britannique et créateur du Founders Forum Group. Reid Hoffman, le fondateur américain de LinkedIn – « gourou » de l’IA et anti-Trump notoire – ferme la marche.
« Les bases sont solides », confie un participant à L’Express, mais la mise initiale peut sembler modeste. Pour compter dans l’IA, l’échelle appropriée semble plutôt le milliard. A ce stade, Current AI ne présente toutefois pas l’ambition de bâtir de grands modèles de langage, ni d’acquérir des puces de dernière génération, deux des postes les plus coûteux dans l’intelligence artificielle aujourd’hui. Le sommet intervient qui plus est à un moment décisif : la start-up chinoise DeepSeek a ouvert l’espoir, fin janvier, que la course à l’IA ne se jouerait pas forcément à coups de billets verts.
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Author : Maxime Recoquillé
Publish date : 2025-02-07 17:37:00
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