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« Elon Musk viendra-t-il ? » : le choix astucieux de l’Elysée face à ce dossier piégé

« Elon Musk viendra-t-il ? » : le choix astucieux de l’Elysée face à ce dossier piégé

La question qui fâche revient inlassablement. « Elon Musk viendra-t-il au sommet de l’IA à Paris ? » On ne compte plus le nombre de fois où elle a été posée lors de « briefs off » ou dans la boucle WhatsApp élyséenne dédiée à l’évènement mondial que la France organise ces 10 et 11 février. Le Palais répète la même rengaine : « Oui, Monsieur Musk a été invité » ; « Non, il n’a pour le moment pas confirmé sa venue. »

Une visite impromptue semble désormais hautement improbable. L’Elysée avait préparé le terrain, essayant tant bien que mal de faire comprendre aux médias qu’Elon Musk ne serait pas la star du sommet. On pourrait voir là le discours d’un prétendant éconduit par l’homme le plus riche du monde, qui avait été la sensation du sommet mondial de l’IA londonien l’an dernier. On aurait tort.

L’Elysée a en fait habilement géré ce dossier piégé en mettant à l’honneur un homme bien plus utile aux ambitions de la France et de l’Europe dans l’IA : Narendra Modi. Mi-janvier, la France a révélé que le Premier ministre indien coprésiderait la grand-messe à laquelle elle a convié des stars de l’IA tels que Sam Altman (OpenAI), Fei-Fei Li (Stanford) ou le prix Turing Yann LeCun (Meta) ainsi que des politiques de premier plan, du vice-président américain J.D. Vance au vice-Premier ministre chinois Zhang Guoqing. Emmanuel Macron a également fait le choix, dimanche, d’accorder une interview exclusive à un duo de journalistes français et indien : Laurent Delahousse de France 2 et Palki Sharma Upadhyay de First Post.

Une stratégie astucieuse car les Etats-Unis n’aideront, en réalité, aucunement la France dans l’IA. Sans même parler des contestables campagnes politiques qu’Elon Musk mène sur le Vieux Continent, les Américains n’ont qu’un objectif : devenir les maîtres incontestés de cette technologie. Leurs start-ups IA aspirent une part écrasante de l’argent des capitaux risqueurs (61 % des investissements en 2023 contre 6 % en Europe). Leurs citoyens et leurs entreprises ont déjà l’embarras du choix en termes d’outils : aux côtés d’OpenAI sont apparus des concurrents nationaux tels qu’Anthropic et xAI. Et tous les géants numériques américains (Google, Amazon, Microsoft, Meta…) intègrent à leur suite logicielle des IA de plus en plus sophistiquées. Le marché américain est saturé.

L’appétissant marché indien pour les Français de l’IA

Celui de l’Union européenne a l’avantage d’être plus vaste (450 millions de personnes contre seulement 335 millions aux Etats-Unis). Et la Commission semble enfin décidée à aider les entreprises de l’UE à en tirer parti. L’inquiétant diagnostic du rapport Draghi a marqué les esprits. Les postures agressives de Donald Trump et d’Elon Musk à l’encontre de leurs alliés aussi. Mais les chantiers à mener pour relancer la compétitive européenne – simplification administrative, unification du marché…- ne se feront pas en un tour de main.

Miser sur l’Inde est ingénieux dans ce contexte. Avec 1,4 milliard d’habitants, le pays représente un colossal marché. D’autant plus que l’Inde a une population jeune – moins de 35 ans pour près des deux tiers – et un secteur tech bien développé – 7.5 % du PIB du pays. Ses géants du logiciel et du conseil informatique (Infosys, Wipro, TCS…) ont à la fois le besoin pressant et les moyens de se doter d’outils IA.

Comme la France, l’Inde savoure enfin l’idée de creuser une troisième voie. « Nous voulons travailler avec les Etats-Unis. Nous voulons travailler avec la Chine, mais nous ne voulons dépendre d’aucun d’eux », a résumé Emmanuel Macron, dimanche soir sur le plateau co-animé par First Post et France 2.

La France a deux atouts qui peuvent intéresser New Delhi. D’abord, ses cursus d’élite dont sortent chaque année des experts IA de haut vol, capables de créer des grands modèles de langage de pointe. C’est grâce à cela qu’avec Mistral, elle est un des rares pays à rivaliser aujourd’hui avec les US et la Chine dans le domaine des Frontier models, soit les modèles les plus puissants. L’allemand Aleph Alpha a, lui, jeté l’éponge. L’Inde, quant à elle, n’est pour le moment pas présente à cet étage de la compétition. L’expertise nucléaire est un autre atout tricolore qui intéresse vivement New Delhi. Des annonces sont d’ailleurs pressenties concernant les SMR, ces petits réacteurs modulaires que s’arrachent désormais les acteurs de la tech.

Depuis le refus de Jacques Chirac de sanctionner les essais nucléaires indiens en 1998, les relations entre l’Inde et la France se sont significativement renforcées, et ce malgré les facettes plus sombres du gouvernement du nationaliste hindou. Energie, armement, infrastructures… Les intérêts communs sont nombreux. C’est d’ailleurs la septième fois que Narendra Modi vient à Paris depuis le début de son premier mandat en 2014.

Emmanuel Macron lui déroule le tapis rouge pendant deux jours. Outre la place d’honneur qu’il lui réserve à son grand sommet mondial de l’IA, le président français a prévu d’aller inaugurer avec lui le nouveau consulat indien à Marseille, avant de visiter en sa compagnie le chantier du réacteur expérimental de fusion nucléaire ITER à Cadarache. Paris ne s’économise pas. Car les Américains de l’IA sont sur le pied de guerre et couvrent, eux aussi, l’Inde d’attentions. Sam Altman, le patron d’OpenAI y était de passage rien que la semaine dernière.



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Author : Anne Cagan

Publish date : 2025-02-10 16:09:00

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