L’Express

« Quand on avait un peu réussi, on venait ici » : le dernier Macumba de France ferme ses portes

« Quand on avait un peu réussi, on venait ici » : le dernier Macumba de France ferme ses portes


Décembre 1982. François Mitterrand est élu depuis un peu plus d’un an et demi, le Minitel vient de débarquer en France, Jean-Jacques Goldman sort son deuxième album. Christine, elle, passe régulièrement ses samedis soirs sur la piste de danse du Macumba d’Englos, dans le Nord. Dans ce vaste complexe de 1 500 mètres carrés, la jeune femme chante sur les tubes d’Indochine, danse sur Michael Jackson, fête ses anniversaires. Le soir de ses 25 ans, elle y rencontre celui qui deviendra son époux. Un quart de siècle plus tard, après son divorce, c’est au même endroit qu’elle retournera danser « quasi toutes les semaines », faisant du club et de ses clients « une deuxième famille ». « Quand j’y pense, Le Macumba a rythmé une bonne partie de ma vie, raconte cette ancienne fonctionnaire. C’est le seul endroit où j’arrive seule mais où je sais que je vais retrouver mes repères. C’est un vrai lieu de sociabilité. »

Christine devra bientôt faire ses adieux au bâtiment à l’architecture ronde si reconnaissable. Après près de cinquante ans d’existence, le Macumba d’Englos va fermer ses portes le 23 février. Il était le dernier établissement de la chaîne en France. « Ce n’est pas pour des raisons financières, mais parce que notre grand patron souhaite prendre une retraite bien méritée », assure Dimitri Derepas, directeur d’exploitation du club. Agé de 84 ans, Henri Souque, ledit « grand patron », signe ainsi la fin d’une aventure commencée dans les années 1960, à Oran, en Algérie. Avec son beau-frère Jean Calvo, le jeune homme fréquente un petit établissement en bord de mer, « avec des paillotes et du ciment entre les rochers, pour y déguster des moules », raconte-t-il à L’Express. Son nom, Le Macumba, sera repris quelques années plus tard pour baptiser le premier projet des deux hommes à leur retour en France.

En 1966, ils ont l’idée de créer à Montpellier un vaste complexe, qui propose à ses clients de se restaurer, de boire, de danser, et de profiter d’une piscine dans un même lieu. « J’aime à dire qu’on est arrivés au bon moment au bon endroit. Les gens avaient envie de fête, c’était du jamais-vu. Et ça a pris tout de suite », se remémore Henri Souque. Sept ans plus tard, les entrepreneurs ouvrent leur deuxième établissement à Mérignac, dans la banlieue de Bordeaux. Pour s’assurer de la modernité de leur discothèque, ils font appel à l’architecte Michel Pétuaud-Létang, qui sera à l’origine de la forme circulaire des établissements Macumba – inspirée selon lui « par le côté rond de la danse ».

Au début des années 1990, pas moins de 23 Macumba coexistent en France.

« On s’est démarqués en créant des scènes à plusieurs niveaux pour faire danser les filles, des murs multifaces pour changer d’ambiance en fonction de la musique, des bars ronds, des salles immenses pour l’époque… », liste le concepteur. La recette fonctionne, et brasse dès les premières semaines tous les types de public : en 1973, les femmes en robes longues venues du très chic festival de musique classique Mai Musical, les vacanciers et les travailleurs de la banlieue de Bordeaux se côtoient tous au Macumba de Mérignac. La chaîne s’établit ensuite à Englos, puis à Fribourg (Suisse), Nantes, Limoges ou Saint-Julien-en-Genevois, en Haute-Savoie, où est construit le plus grand Macumba de France, avec ses 6 000 mètres carrés.

« Tout devient facile »

Au début des années 1990, pas moins de 23 Macumba – toujours installés au cœur de zones commerciales, en bordure des grandes villes – font danser les Français et révolutionnent le monde de la nuit. « La vraie valeur ajoutée du Macumba, c’est avant tout son parking. Dans une France où les régulations d’alcool au volant n’existent pas encore, c’est un synonyme de liberté : on peut aller faire ses courses, puis manger et danser au Macumba. Tout devient facile », décrit Martine Drozdz, géographe et codirectrice de l’ouvrage Nos lieux communs. Une géographie du monde contemporain (Fayard, 2024). A une époque où les Zénith ne sont pas encore sortis de terre et où les boîtes de nuit classiques n’accueillent que quelques centaines de clients triés sur le volet, Le Macumba s’impose, selon la chercheuse, comme « un parc d’attractions nocturne, accessible à tous », proposant concerts et grandes soirées – au point d’éclipser les traditionnels bals et fêtes de village.

Dans cette France des années 1980, de nombreuses vedettes viendront s’y produire, participant à la popularité de l’enseigne. « Quand on avait un peu réussi, on venait chanter au Macumba », se remémore André Siarri, dit « Dédé », directeur général de plusieurs Macumba depuis les années 1970. L’homme se souvient ainsi du professionnalisme de Johnny Hallyday et Sylvie Vartan sur la scène du Macumba de Mérignac, des exigences de Claude François qui souhaitait pouvoir accoler sa caravane de tournée à une porte qui lui soit spécialement réservée, ou d’une soirée « inoubliable » à parler politique autour d’un verre avec Daniel Balavoine.

« On s’est toujours adaptés »

Pour garantir le succès de ses boîtes de nuit, le directeur confie être toujours resté à l’écoute des modes du moment, acceptant de faire venir les danseurs de La Fièvre du samedi soir en 1977, ou des artistes de break dance au début des années 1980. « On s’est toujours adaptés : quand on a senti que les danseuses topless sur les tables n’étaient plus vraiment d’actualité, on a su s’arrêter. Il y en avait pour tout le monde au Macumba », estime Dédé. En parallèle, le succès de la chanson de Jean-Pierre Mader, en 1985, ou les scènes tournées au Macumba d’Englos dans le film Le Corps de mon ennemi (1976), avec Jean-Paul Belmondo, contribuent à faire du Macumba un lieu « mythique » de la culture populaire française. « Il y a autour du Macumba un véritable attachement, qui renvoie à l’image fantasmée des Trente Glorieuses. Mais il y a aussi une certaine nostalgie mêlée de tendresse pour le côté un peu kitsch du club, qui semble appartenir à une autre époque », relève Martine Drozdz.

Mais même le Macumba n’est pas éternel : à partir du début des années 2000, plusieurs établissements ferment tour à tour, victimes d’une concurrence accrue et de la crise qui touche l’économie de la nuit. « Petit à petit, les centres-villes ont été réinvestis comme lieux de divertissement, avec les fameuses ‘rues de la soif’, moins chères et plus accessibles que les discothèques situées en périphérie », précise Martine Drozdz. L’essor de nouvelles scènes festives en Europe ainsi que l’apparition d’équipements de sonorisation plus abordables et facilement transportables ringardisent progressivement les soirées du Macumba. Les habitudes des Français, aussi, ont changé : selon Martine Drozdz, la fête s’est peu à peu « privatisée », tandis que les fonctions de rencontre et de danse qu’ont longtemps eues les discothèques ont été remplacées par Internet et les réseaux sociaux. « On continue de faire la fête, mais chez soi, avec des gens que l’on connaît, de la même classe sociale, du même âge. C’est aussi ce qui explique chez certains la nostalgie des Macumba », précise la géographe.

Le dernier Macumba de France, situé à Englos dans le Nord, va fermer en février, faute de repreneur.Le dernier Macumba de France, situé à Englos dans le Nord, va fermer en février, faute de repreneur.

A Englos, où le dernier Macumba rassemble encore plusieurs milliers de clients chaque semaine, c’est précisément cette mixité sociale que regrette déjà Dimitri Derepas, qui compare volontiers son établissement au film L’Etrange Histoire de Benjamin Button. « A l’ouverture à 15 heures, on a des clients de plus de 70 ans, et la nuit se termine avec des jeunes de 25 ans. Le club rajeunit au fil de la soirée », plaisante-t-il. Pour l’ultime fête, le directeur a déjà prévu d’offrir à ses habitués un « show surprise » et une « dernière danse » mémorables. Evidemment, Christine répondra présent – non sans une pointe de mélancolie. « J’étais fière de notre dernier Macumba. Ça signe la fin d’une époque : avec qui je vais danser sur des remix de Mamie Blue, maintenant ? »



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Author : Céline Delbecque

Publish date : 2025-02-15 15:00:00

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