Voilà une décennie, la France s’engageait à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. A commencer par celle des industries qui doivent faire baisser drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Transports, énergie, BTP, usines : largement aidés par l’État, tous les grands secteurs de l’économie se sont lancés dans la bataille et la marche en avant semble irréversible dans notre pays. Un volontarisme qui contraste avec ce que l’on observe à l’étranger. Aux Etats-Unis, Donald Trump a regagné la Maison-Blanche et sort des accords de Paris. En Chine, les émissions de GES repartent à la hausse. Même l’Union européenne s’apprête à alléger son Pacte Vert, pourtant adopté en 2019. Autant dire que le mouvement général se ralentit et inquiète. L’électricité et son prix jouent un rôle central dans les politiques de décarbonation.
L’Express : En France, l’électricité représente un quart de la consommation finale d’énergie. Quel bilan tirez-vous des orientations en matière de mix énergétique ?
Brice Lalonde : L’orientation prise a été la bonne. Grâce à son parc nucléaire, la France bénéficie d’une ressource décarbonée. L’Etat a joué un rôle clef, dans les années 1970, en développant un réseau fiable avec des réacteurs implantés sur tout le territoire. Je n’étais pas favorable à ce choix au départ, mais aujourd’hui je reconnais qu’il constitue un atout considérable pour réussir la transition énergétique et industrielle. Cependant, force est de constater qu’à l’heure actuelle, l’Etat ne défend plus suffisamment l’électricité comme levier de transition.
En quoi cela pose-t-il problème ?
L’Etat ne prend plus assez de mesures concrètes pour éliminer les obstacles à l’électrification. Par exemple, une maison chauffée grâce à cette énergie reste pénalisée par rapport à celle qui dispose d’une chaudière au gaz, avec des tarifs moins avantageux. Cela semble incohérent, surtout quand la France demeure le premier producteur européen d’électricité nucléaire. Des progrès notables ont été réalisés dans les transports avec les véhicules électriques et les batteries. Mais la transition patine. Il est impératif de sortir du gaz et du charbon. Sinon on échouera, comme le rappelle l’objectif de l’Etat, qui vise à atteindre 60 % d’électricité dans la consommation finale d’énergie d’ici à 2050.
Sans électrification, la France risque-t-elle de prendre un retard inévitable ?
Oui, le principal enjeu est la survie industrielle du pays. On ne peut pas décarboner sans inclure les entreprises. Si vous faites sans elles, elles se délocaliseront. Cela nécessite des investissements massifs et une transformation radicale des outils de production. L’électrification doit être au cœur de cette politique car grâce au nucléaire nous disposons d’une énergie universelle et pilotable, contrairement aux sources renouvelables intermittentes.
Concrètement, comment les entreprises peuvent-elles prendre leur part dans cette transition industrielle ?
Mais elles prennent déjà une large part ! Avant même que l’Etat n’agisse, la plupart ont été capables de mesurer leur empreinte carbone et élaborer des stratégies pour réduire leur dépendance. Cependant, elles sont intégrées à un système économique global. Sans soutien de l’Etat, elles risquent d’être écrasées par la concurrence, notamment américaine, où ne figure aucune obligation de rendre des comptes comme en Europe. Il convient d’harmoniser les règles de sortie du carbone et, à mon sens, le salut viendra avant tout des entreprises elles-mêmes.
Dans cette optique, vous proposez la création d’un sommet des entreprises pour le climat. Comment pourrait-il se structurer ?
Ce sommet permettrait de créer un lieu d’échanges pour définir des procédures communes, partager des connaissances et discuter de la gestion de la croissance durable. Ce serait aussi un moyen de sensibiliser les politiques aux problématiques concrètes des entreprises. La transition reste lente et complexe à mettre en place, mais les premiers résultats se concrétisent. En France, nous avons observé deux années consécutives de baisse des émissions de gaz à effet de serre, ce qui est déjà notable. Les entreprises savent leurs actifs menacés, elles craignent par-dessus tout qu’une catastrophe climatique ne conduise à des interdictions politiques qui les contraindraient à des orientations indésirées. Elles sont donc sur la voie du changement.
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Publish date : 2025-02-17 14:00:00
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