La faute à « l’effet Thalys » ! Quand vous tentez de comprendre pourquoi, à Bruxelles, les entreprises françaises traînent la réputation d’être peu affûtées en affaires européennes, les doigts se pointent invariablement vers le train à grande vitesse qui relie Paris à la Belgique. « Si vous êtes un cadre supérieur qui vit à 1h20 des institutions communautaires, vous n’avez aucune envie de quitter Paris pour vous installer dans une ville de province », résume crûment un lobbyiste européen en vue. Au risque pourtant de rater l’essentiel. « Avec des allers-retours dans la journée, vous n’aurez que la Pravda, car à Bruxelles, les informations s’obtiennent dans la convivialité, le soir autour d’une bière », reconnaît volontiers Fabrice le Saché, vice-président chargé de l’Europe au Medef.
En ouvrant la « Maison des entreprises de France » ce 17 février, l’organisation patronale entend donc lutter contre les clichés et montrer qu’avec ses membres, elle a saisi l’importance d’avoir pignon sur rue dans le quartier européen afin de s’ancrer davantage. Air liquide, l’Oréal ou encore la Fédération française des banques sont parmi ceux qui regroupent leurs forces dans cet espace de 1 000 mètres carrés, qui proposera aussi des bureaux flexibles à ceux qui envisagent une présence plus légère. « C’est le bon moment parce que l’Europe joue son avenir économique face aux Etats-Unis et à la Chine, plaide Fabrice le Saché. Des décisions cruciales sur la simplification des législations ou les investissements vont arriver, il faut peser sur les arbitrages ». Les entreprises craignent de voir l’influence de la France pâtir de ses difficultés politiques et budgétaires du moment, alors que les 81 eurodéputés hexagonaux pèsent déjà moins que d’autres sur les législations, faute, pour la moitié d’entre eux, d’appartenir aux puissantes familles politiques proeuropéennes.
Les Français « mauvais » par rapport aux Allemands
« Aujourd’hui, tout se négocie à Bruxelles, s’appuyer uniquement sur les représentants de la France, c’est une porte d’entrée trop étroite, confirme Jean Comte, journaliste et auteur du livre Au cœur du lobbying européen. Pour influencer l’agenda, il faut parler directement aux multiples services de la Commission, aux élus de toutes nationalités ou encore aux représentations des différents pays ». L’idéal, c’est de pouvoir se faire connaître sur une thématique avant même la présentation d’un projet de loi. Dotée de seulement 36 000 fonctionnaires (contre 130 000 rien que pour le ministère français de l’économie et des finances !), la Commission est souvent demandeuse d’expertise venue du privé – sur des sujets qui peuvent aller de l’autorisation du glyphosate aux régulations financières pointues en passant par les normes des jouets. « Le bon lobbyiste européen sait se présenter comme une source d’information et pas uniquement comme le représentant d’intérêts particuliers », décrit encore Jean Comte.
De ce point de vue, malgré des progrès ces dernières années, les acteurs économiques français ont encore des marges d’amélioration, surtout en comparaison avec leurs homologues allemands. « Je leur dis souvent qu’ils sont mauvais, confie l’eurodéputée Modem Marie-Pierre Vedrenne, qui travaille sur les sujets économiques. Par exemple, sur les législations de simplification que prépare la Commission, j’ai reçu une note du patronat allemand mais j’ai dû moi-même contacter le Medef ». Il faut dire qu’historiquement, les Allemands ont bien davantage investi la capitale de l’Europe. Habitués à un système fédéral décentralisé, ils passent plus aisément d’un niveau de pouvoir à l’autre. « Public et privé travaillent main dans la main : les Länder disposent de solides représentations à Bruxelles et leurs liens sont étroits avec leurs champions industriels régionaux », note un lobbyiste français.
Même si les entreprises du Cac 40 ont ouvert des bureaux à Bruxelles ces 15 dernières années, les chiffres officiels du registre de transparence, sur lequel lobbyistes et entreprises doivent enregistrer leurs activités, demeurent éloquents. En 2023, le Bundesverband der Deutschen Industrie, la fédération allemande, a déclaré près de 3,5 millions d’euros d’activités de lobby à Bruxelles, contre moins d’un million d’euros pour le Medef. Autre exemple, dans l’automobile, Stellantis affiche moins de 500 000 euros dans ce domaine, quand le groupe Volkswagen déclare plus de 2,5 millions d’euros.
« En France, vous croyez que venir avec le PDG… »
« En France, vous croyez que venir avec le PDG cela suffit à ouvrir des portes, mais ce qui fait la vraie différence c’est le travail de fond et la maîtrise de tous les détails techniques », pointe un Européen du nord. « Bruxelles, c’est beaucoup d’humilité et de complexité, admet le Monsieur Europe du Medef, cela s’accommode mal des habitudes politiques françaises d’affichage et de grands coups ». Face aux diplomates spécialisés, aux fonctionnaires des directions générales de la Commission ou aux assistants parlementaires pointus sur les rapports de leur député, mieux vaut effectivement bûcher et ne pas trop miser sur son seul talent oratoire.
Tout de même, les Français gardent de belles cordes à leur arc. « Et d’abord, votre gastronomie et les longs déjeuners informels ! », salue une lobbyiste suédoise. Ensuite, la jeune génération parle bien anglais et s’installe plus volontiers durablement à Bruxelles, dont la qualité de vie convainc celles et ceux qui tentent le saut. Enfin et surtout, face à une Allemagne dont les choix économiques se sont avérés peu judicieux ces dernières années, le sens de l’histoire souffle dans le sens hexagonal : autonomie stratégique, préférence européenne, ou encore réhabilitation de l’énergie nucléaire, le vent tourne en faveur des idées de souveraineté économiques poussées par Paris. « C’est un avantage comparatif », se réjouit Fabrice Le Saché. Et un argument de poids à mettre en avant entre deux exposés techniques !
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Author : Isabelle Ory
Publish date : 2025-02-17 06:00:00
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