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Laurent Wauquiez, les vieux démons d’un conquérant : « On a tous vécu un moment dur avec lui »

Laurent Wauquiez, les vieux démons d’un conquérant : « On a tous vécu un moment dur avec lui »

Laurent Wauquiez ? « Je ne le connais pas. » Fin juin 2023, le quotidien Le Parisien pose une colle à Yaël Braun-Pivet. La présidente de l’Assemblée nationale peine à décrire le patron de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Elle ne l’a jamais rencontré. Elle siège au Palais-Bourbon, lui se tient à distance de la vie politique nationale. Il est temps de corriger cette anomalie. Un présidentiable ne saurait être ignoré du quatrième personnage de l’Etat. Quelques heures après la publication de l’article, l’élue des Yvelines reçoit un SMS du mystérieux inconnu. « Votre réponse m’amuse, voyons-nous pour que la prochaine fois, vous répondiez autre chose. » Le déjeuner est honoré quelques mois plus tard. Et il se passe… très bien. La macroniste historique devise avec plaisir avec l’opposant irréductible au chef de l’Etat. « Il est fiable », glisse-t-elle à son sujet. « Avec lui, pas de coup de Trafalgar », abonde le patron des députés Ensemble pour la République Gabriel Attal.

Puisqu’on vous dit qu’il a changé. L’éternel « bad boy » de la droite a gagné en sagesse. Sa traversée du désert l’a transformé. Oublié le brutal Wauquiez, qui promettait au milieu des années 2010 de « couler dans du béton armé » sa rivale Nathalie Kosciusko-Morizet. On ne reverra plus cet arrogant jeune loup, capable de lâcher début 2019 à l’élu parisien Pierre-Yves Bournazel : « Tu penses devenir maire de Paris sans passer dans mon bureau ? » Lui-même théorise sa mue en mai 2023 dans Le Point. « Oui, j’ai pris des cicatrices. J’ai appris ce qu’est la solitude de l’échec. J’ai appris à me remettre en question et ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai appris l’importance de l’écoute et de l’humilité. » Au diable les esprits chagrins qui railleraient une formule ampoulée, plus proche du mauvais dialogue de film que de la contrition sincère.

Et puis, Laurent Wauquiez ne manque pas de courage. Il se lance cet été dans la bataille des législatives, provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale. La droite est aux abois après la trahison d’Eric Ciotti. « On a enfin un leader », salue alors un homme. Il s’appelle Bruno Retailleau. Ne loue-t-il pas sa formidable « puissance intellectuelle ? » Quand un député lui confesse son manque de « confiance » dans le nouveau patron des députés LR, il le rassure. « Laurent a changé. On peut y aller en confiance, on a beaucoup échangé. »

Charme à la spontanéité suspecte

Comme le temps passe. Le 4 février, Laurent Wauquiez prend un café avec Michel Barnier. La cohabitation avec l’ancien Premier ministre a été épouvantable. Ô surprise, leur échange est tendu. « Tu t’es comporté comme un Premier ministre de la Ve République, et pas de la IVe comme il le fallait. Bayrou, lui, l’a compris », lance le député de Haute-Loire. Quelques heures plus tard, il dîne avec Bruno Retailleau. La conversation est glaciale. Le Vendéen s’apprête à le défier pour la présidence des Républicains (LR). L’ancien ministre, obsédé par la présidentielle, joue sa survie politique dans ce scrutin. Si loin du tapis rouge espéré il y a quelques semaines.

Le sauveur de la droite a-t-il été rattrapé par ses vieux démons ? Laurent Wauquiez est un séducteur. La droite admire cette bête de campagne, si attentif à ses électeurs. On n’est pas élu deux fois président de région pour rien. Ce charme est d’une spontanéité suspecte. Il y a ce rire mécanique, si fort. Ces tapes dans le dos, parfois trop appuyées. On n’est pas taxé d’insincérité pour rien. En juillet 2024, Laurent Wauquiez revient à l’Assemblée nationale. Il y retrouve de vieilles connaissances. « Aurore ! Ça me fait tellement plaisir de te voir ! » Aurore Bergé est surprise. La ministre n’a jamais été proche de l’homme fort de la droite. « Il a une profondeur et une culture que je vois chez peu d’hommes politiques, note un ancien ministre macroniste. Mais quand il rit avec vous, il semble avoir réfléchi à la raison pour laquelle il doit rire. »

Et que dire de cette curieuse manie d’appeler ses pairs en numéro masqué ? Marc Fesneau n’a pas l’habitude de répondre à de telles sollicitations. « Je t’ai appelé en anonyme, tu peux me répondre ? » Un jour, il faudra ce SMS pour que le patron des députés MoDem dialogue avec son homologue LR. Florent Boudié rêverait d’un tel message. En septembre 2024, Laurent Wauquiez réclame la création d’une mission flash pour élucider les « dysfonctionnements judiciaires et administratifs » antérieurs au meurtre de la jeune Philippine. Le président de la commission des Lois est étonné de découvrir cette demande dans la presse. Ses demandes de précisions adressées à LR sur le périmètre de la mission sont depuis restées lettre morte. Etrange. Le député Renaissance n’est pas loin de trouver la démarche de son homologue « pitoyable ».

« Tu crois que je ne suis pas humain ? »

Avec la Macronie, ça tangue. Les députés DR, eux, chérissent, le leadership de leur président de groupe. Tous soulignent son sens de l’écoute et sa disponibilité. Quand elle revient dans le groupe après une phase de réflexion, l’élue savoyarde Virginie Duby-Muller se fait applaudir par Laurent Wauquiez, avec qui elle entretient une relation rugueuse.

« J’ai été agréablement surpris » : la phrase, si souvent prononcée, raconte autant une réalité que le poids d’une image. L’ancien ministre a multiplié les consultations dans le cadre de sa mission de refondation de la droite. D’Othman Nasrou à la sénatrice Agnès Evren, nombre de cadres évoquent des discussions constructives, dans une ambiance aimable.

Elle aussi a apprécié son échange avec Laurent Wauquiez. Enfin, le début. Le 28 janvier, François Bayrou réunit les parlementaires du socle commun à Matignon. Le député de Haute-Loire discute avec la ministre du Logement Valérie Létard. Quelques banalités sympathiques, puis le conflit. La Nordiste exprime ses réserves sur une proposition de loi de LR visant à rendre prioritaires les travailleurs pour l’attribution d’un logement social. Elle craint que la mesure, trop large, n’affecte des personnes en situation plus précaire. Ça chauffe. « Tu crois que je ne suis pas humain ? », lâche en substance Wauquiez. La ministre s’étonnera de la virulence du ton de Laurent Wauquiez auprès de l’auteur de la PPL.

« Planqué insincère »

C’est ainsi. La bonhomie de Laurent Wauquiez s’arrête là où ses intérêts commencent. L’affabilité laisse la place à la brutalité. Au sortir des élections législatives de 2022, un pot est organisé entre quelques parlementaires, anciens et actuels. Un maire d’Auvergne-Rhône-Alpes évoque avec son président de région sa promesse de subvention pour un équipement municipal. Laurent Wauquiez déplore surtout le profil du député qui a succédé à l’édile à l’Assemblée. « Toi, tu m’avais promis un député fidèle. »

Est-ce ce souci de sa propre personne qui provoque des brouilles ? Michel Barnier lui reproche d’avoir déstabilisé le « socle commun » pour se tenir à distance du macronisme. Bruno Retailleau l’accuse d’avoir préparé la sortie de LR du gouvernement en décembre au nom du même dessein. Lui s’en défend. A-t-il émis la moindre critique publique contre l’ancien Premier ministre ? Le locataire de Beauvau n’a-t-il pas voulu rester ministre de l’Intérieur à tout prix ? Après tout, Michel Barnier voue une vieille rancœur à Laurent Wauquiez, et le ministre de l’Intérieur n’est pas un ange désintéressé. Le récit médiatique lui est pourtant défavorable. Michel Barnier est dépeint en sage, Bruno Retailleau en homme d’idées guidé par le bien commun. A lui le costume du méchant obsédé par son ambition élyséenne. C’est là que chaque détail compte. Peut-être qu’exclure le Vendéen d’une rencontre avec Emmanuel Macron début décembre n’était pas le meilleur symbole.

Le problème d’une réputation, c’est qu’elle vous précède. Laurent Wauquiez traîne à LR une image peu reluisante d’homme déloyal, guère sensible au collectif. Elle est le produit d’une histoire et poursuit le député de Haute-Loire. « On a tous vécu un moment dur avec lui qui vous reste à l’esprit », constate un dirigeant LR. Wauquiez, une madeleine de Proust au goût amer. François-Xavier Bellamy garde en mémoire sa façon de chronométrer ses interventions lors de leurs meetings pendant les européennes de 2019. Anciens ministres de Nicolas Sarkozy ou présidents de région rivalisent d’anecdotes à son sujet. L’ancien président lui-même raille en privé ce « planqué insincère ». « Je m’entends bien avec Laurent Wauquiez. Il ne m’a jamais planté, même si tout le monde me dit qu’il le fera », glisse en privé le maire de Cannes David Lisnard, dans un compliment révélateur.

Des conflits inutiles

Autour de Laurent Wauquiez, on prend soin de « dépersonnaliser » le sujet. Ces conflits ne seraient que le fruit naturel de vingt ans de politique nationale. La fatalité, comme réponse aux critiques. « Au fil des histoires de campagne interne ou externe, il a pu se retrouver dans des situations d’inimitié », note un proche. Et puis, la politique constite aussi « à faire comprendre un rapport de force », confiait-il cet automne.

Dans un entretien au Figaro, Laurent Wauquiez fait l’éloge du « sens du compagnonnage » de Jacques Chirac. Il n’est pourtant pas entouré d’une cohorte de fidèles. Il y a bien ces soutiens régionaux, de jeunes responsables du parti comme le député LR Vincent Jeanbrun, mais peu de grandes figures de droite sont prêtes à mourir au combat pour lui. Paradoxal, tant l’homme fut présenté ad nauseam comme le candidat « naturel » de LR en 2027. Il y a quelques semaines, un élu a prévenu Laurent Wauquiez face à la montée en puissance de Bruno Retailleau : « Entoure-toi, car tu vas avoir des moments difficiles. »

« Mon intelligence est un obstacle », disait Bruno Le Maire. Celle de Laurent Wauquiez ne fait aucun doute. Même ses pires ennemis louent la culture et l’esprit de synthèse du major de l’ENA. Eté 2024. A l’Assemblée, la droite phosphore sur son « pacte législatif ». On évoque des sujets techniques, comme le logement. Un nouveau député, encore impressionné, se souvient : « Wauquiez arrivait à s’approprier des thèmes qu’il ne connaissait pas cinq minutes avant. Il nous les restituait de manière lisible et politique. »

L’intelligence conceptuelle est redoutable. Son intelligence relationnelle est, elle, sujette à caution. Tant d’inimitiés et de vexations inutiles jalonnent le parcours du député. Est-il nécessaire de rabrouer le député Alexandre Portier, alors ministre, dans une réunion de groupe ? De dépeindre les ministres LR en « syndicat des ministres sortants » ou de leur reprocher dans une réunion de s’accrocher à leurs « petits postes » ? Qu’il est dommage de se brouiller avec la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, membre de la direction par intérim du parti. « Sa dimension frontale n’est parfois pas nécessaire », euphémise une dirigeante LR en bons termes avec lui. « Son volontarisme est parfois submergeant », ajoute un proche. Alors vient parfois à Bruno Retailleau le souvenir de la fable du « scorpion et de la grenouille ». L’arachnide pique l’animal qui le transporte sur une rivière, quitte à se condamner lui-même.

« Tu te vois en homme providentiel »

La confiance en soi frôle parfois la cécité. Après la formation de l’équipe Bayrou, Laurent Wauquiez console à sa manière un ex-ministre LR. S’il est de retour à l’Assemblée, c’est en raison des faibles capacités de négociation de Bruno Retailleau. L’élu, proche du locataire de Beauvau, s’étonne encore de cette approche guère subtile. En juillet, Jean-François Copé reçoit un coup de fil de Laurent Wauquiez, son rival historique. L’ancien patron de l’UMP trouve à son interlocuteur un ton un peu trop sirupeux. En cours d’échange, Laurent Wauquiez évoque la tribune que le maire de Meaux s’apprête à publier dans Le Figaro appelant à un rassemblement de la droite et du centre. Est-ce vraiment le bon moment ? Jean-François Copé comprend l’objet de l’appel. Son texte sera publié comme prévu. Il y a quelques années, Gérard Larcher sortait dubitatif d’un entretien avec l’ex-maire du Puy-en-Velay : « Il est intelligent. Mais pourquoi me prend-il pour un con ? »

Il n’est pas facile de cerner la psychologie d’Emmanuel Macron. Comme tant d’autres, Laurent Wauquiez s’est cassé les dents sur cet insondable président. Il n’avait pas anticipé la dissolution de l’Assemblée nationale comme la nomination d’un Premier ministre issu de LR. Ces choix ont bouleversé le scénario écrit par le patron des députés en vue de 2027. Sa marche vers l’Elysée commencera par un inattendu scrutin interne au printemps. Laurent Wauquiez ne manque pas d’atouts, de sa popularité militante à sa parfaite connaissance de l’appareil LR. En ce début février, un député DR le met en garde lors d’un rendez-vous : « Tu te vois en homme providentiel auprès des militants. Mais ce n’est pas forcément le cas. »

Lui reste convaincu de son destin. En 2023, Laurent Wauquiez confiait à L’Express être « totalement optimiste » sur ses chances de victoire à la présidentielle. Au moyen d’une démonstration quasi mathématique. Le macronisme ne peut se succéder à lui-même, la gauche est empêchée par l’emprise exercée par Jean-Luc Mélenchon et les Français doutent en la capacité de Marine Le Pen de gouverner le pays. Reste la droite, donc lui. CQFD. Devant un élu LR, il joint un jour le geste à la parole. S’empare d’un stylo et dessine des flèches montrant ses différences avec Edouard Philippe. Le maire du Havre ne semble pas inquiet de cette menace. Il s’est même autorisé un trait d’esprit devant un cadre LR au sujet de Laurent Wauquiez. L’ancien Premier ministre lui a appliqué la phrase attribuée à Talleyrand après la mort de Napoléon, en pleine Restauration. « Ce n’est plus un événement. C’est une nouvelle. »



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Author : Paul Chaulet

Publish date : 2025-02-17 16:00:00

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