LinkedIn, un monde enchanté peuplé de cadres brillants, d’autopromotions en tous genres, d’émojis fusée en mode « j’ai explosé les scores » et de conseils inspirants. On like, on applaudit, on félicite. Ici, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Comment deviner que, derrière certaines photos de profil façon premiers de la classe – on sourit un peu, mais pas trop -, et ces posts au vernis bienveillant, se cachent parfois de véritables bourreaux du management. Ceux qui, au quotidien, subissent ou ont subi leur foudre, ne sont pas dupes. Combien de fois ont-ils été tentés, à la lecture de ces publications déconnectées de la réalité, de laisser un émoji Pinocchio en guise de commentaire ? Mais sur le plus grand réseau social professionnel au monde, mieux vaut ranger son indignation dans sa poche.
« LinkedIn, c’est le royaume du positif. Être seul à dénoncer un comportement dans un lieu positif, c’est compliqué », analyse Véronique Reille-Soult, experte en stratégie de réputation et en communication de crise. Car LinkedIn est aussi un lieu hautement réputationnel, le terrain de jeu par excellence des chasseurs de têtes et des recruteurs. Ne jamais insulter l’avenir. « Il est préférable de régler cela en interne », conseille la présidente de Backbone Consulting. Un manager qui tient un double discours sur LinkedIn et en interne, « cela finit un jour ou l’autre par se savoir ».
Damien* peut en témoigner. Au sortir de la pandémie de Covid, ce jeune Parisien intègre avec enthousiasme le pôle digital d’une entreprise événementielle après un premier stage dans un autre service. Mais sa collaboration avec Jules*, le responsable de l’équipe technique, tourne vite au cauchemar. « Au bout de deux semaines, je me suis rendu compte que, non seulement il était très désagréable – il tournait en ridicule toute intervention qui n’allait pas dans son sens -, mais il me demandait en plus de mentir ouvertement au reste de l’entreprise, de choisir mon camp et de lui être loyal plutôt qu’aux autres équipes. Chez lui tout était jeu de pouvoir. Il avait créé sa propre mafia au sein de l’entreprise », se souvient-il. Un manager « profondément toxique » mais aussi « très intimidant », capable de casser un verre de colère lors d’un déjeuner d’équipe. En revanche, sur LinkedIn, l’homme multiplie les publications dans lesquelles « il était beaucoup question d’humain », poursuit Damien, encore marqué par ce selfie posté sur les réseaux par son ex-responsable. Sur la photo, une accolade avec l’experte-comptable de l’entreprise, accompagnée d’un commentaire expliquant à quel point celle-ci « était fantastique ». Pourtant, « ce n’est pas un personnage qui aime l’humain, juge Damien, même s’il a d’autres qualités ».
« On ne peut plus raconter n’importe quoi »
Cette affaire, son « pire souvenir professionnel », a finalement été réglée en interne. « J’ai fini par remonter tous ces faits auprès du grand patron, qui l’a mis à la porte. On a découvert qu’il avait agi de la même manière dans les entreprises par lesquelles il était passé auparavant. Il s’était inventé, sur la place des start-up parisiennes, cette espèce d’image d’icône hyperproductive ». Aujourd’hui à son compte, l’ancien manager tyrannique continue de publier des messages bienveillants sur les réseaux. Mais rien ne garantit qu’il ne soit pas un jour rattrapé par la patrouille. « L’alignement entre le discours et les actes devient un sujet majeur en entreprise. On ne peut plus raconter n’importe quoi », souligne ainsi Véronique Reille-Soult. Car à côté de LinkedIn, de nouveaux espaces se sont créés. Des plateformes comme Glassdoor, où l’on peut noter de manière anonyme les conditions de travail dans une entreprise par exemple, sont très prisées des jeunes. « Il n’y a presque plus de secret », affirme l’experte.
L’ancienne N + 1 de Christelle*, cadre supérieure dans l’agroalimentaire, aurait sûrement récolté un 0 sur 5. « Elle hurlait sur les employés pendant des réunions, coupait la parole en leur interdisant de parler, assenait des dizaines d’e-mails exigeant des réponses immédiates sans même lire les messages déjà envoyés », garde en mémoire cette responsable marketing. Des agissements qui lui ont coûté son poste après une enquête interne ayant mis au jour ses méthodes de management d’un autre temps. Christelle, qui était pleinement épanouie dans son poste jusqu’à l’arrivée de cette nouvelle dirigeante aux deux visages, conserve un goût amer de cette expérience. « Rendez-vous compte. Elle nous criait dessus le matin, et l’après-midi elle postait sur les réseaux sociaux des messages prônant des valeurs dignes du Parti socialiste ou republiait des contenus de Matthieu Ricard… », s’étonne encore cette CSP+.
Des contradictions entre ses messages sur les réseaux et son comportement au travail qui, au départ, faisaient sourire dans les couloirs, devenant même le principal sujet de conversation à la machine à café. « Mais quand des personnes ont commencé à souffrir de son attitude, à pleurer après des réunions ou à craindre pour leur avenir dans la société, alors chaque post était perçu comme une provocation », nous confie Christelle. Laquelle a depuis retrouvé un manager aux petits soins dans son nouvel emploi. Aux dernières nouvelles, son ancienne cheffe, elle, est toujours en recherche. Une période qu’elle pourra peut-être mettre à profit pour se replonger dans Pouvoir et altruisme (Allary Éditions, 2018), l’ouvrage du moine bouddhiste…
* Le prénom a été modifié
Source link : https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/tyrans-au-bureau-modeles-sur-linkedin-la-double-vie-des-managers-toxiques-O4Z6UXXSIRA5JBCMAX43UBQLIQ/
Author : Laurent Berbon
Publish date : 2025-02-17 12:00:00
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