« Nous naviguons sous pavillon occidental, mais le vent souffle de l’Est dans l’économie mondiale. » Peu après les élections qui l’ont porté au pouvoir en 2010, le Premier ministre hongrois Viktor Orban annonçait l’ »ouverture à l’Est » de son pays, pour réduire sa dépendance économique avec l’Ouest. Le rapprochement de Budapest avec Pékin a pris naissance fin 2014, avec la signature d’un accord de coopération dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Ce gigantesque plan d’investissements, qui visait à développer l’influence de l’empire du Milieu à travers le monde, s’est alors trouvé un point de chute idéal en Europe.
Au cœur de l’alliance sino-magyare, la modernisation de la ligne ferroviaire Belgrade-Budapest, à l’horizon 2026, permettra d’accélérer l’acheminement en Europe centrale des marchandises arrivant du port grec du Pirée, lui-même sous pavillon chinois. Pékin assume 85 % du projet, estimé à près de 2 milliards d’euros. La Hongrie, de son côté, s’est endettée sur vingt ans auprès de la banque d’import-export de Chine pour financer les 150 kilomètres de portion locale.
« Un pont entre l’Est et l’Ouest »
« C’est avec l’arrivée de Viktor Orban que la Hongrie a commencé à considérer la Chine comme un partenaire essentiel de son développement économique », souligne Nathan Quentric, économiste au Crédit agricole. Depuis la fin de la pandémie de Covid, les investissements chinois dans le pays ont explosé – le gouvernement évoque 16 milliards d’euros au total. Les échanges sont plus que cordiaux entre les deux dirigeants, le nationaliste européen n’ayant pas hésité à encenser le modèle chinois dans son discours fondateur sur « la démocratie illibérale », en 2014, à l’occasion du festival annuel de la droite hongroise. Une dizaine d’années plus tard, il était le seul leader des pays de l’UE présent au sommet pékinois des nouvelles routes de la soie. De son côté, Xi Jinping a encore vanté, l’an dernier, l’étroite coopération économique avec Budapest lors d’une visite historique en Hongrie.
Un « partenariat stratégique » qui rime avec pragmatisme politique. « Les deux pays cherchent une position favorable dans un environnement international en rapide évolution, décrypte Gergely Salat, sinologue et enseignant à l’université catholique Pazmany de Budapest. La Chine s’efforce d’identifier des partenaires stables et fiables en Europe, d’où sa disposition à donner plus d’espace à la Hongrie. Celle-ci, pour sa part, veut éviter de se retrouver en périphérie de l’un des grands blocs et essaye de s’affirmer comme un pont entre l’Est et l’Ouest. »
Ses atouts n’ont pas échappé à Pékin, qui valorise sa position au cœur de l’Europe, son impôt sur les sociétés de seulement 9 % – le plus faible de l’UE –, et son soutien étatique apporté à chaque projet. La Chine est devenue le premier investisseur étranger du pays en 2023, année où 44 % de ses investissements directs se sont concentrés en Hongrie, soit davantage que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni réunis. Les échanges commerciaux entre les deux Etats ont triplé entre 2014 et 2023, passant de 3 milliards d’euros à plus de 9 milliards. L’an dernier, la Hongrie a même emprunté 1 milliard d’euros auprès de trois banques chinoises pour soulager ses finances fragilisées par la dette.
Si Budapest accueille à bras ouverts les capitaux chinois, c’est aussi parce que l’Union européenne a gelé 20 milliards d’euros de fonds en raison des atteintes de Viktor Orban à l’Etat de droit. Ces projets « tombent à pic » mais le tropisme asiatique du Premier ministre « comporte des risques car l’UE reste le partenaire le plus vital de l’économie hongroise », prévient Nathan Quentric. Pour l’heure, le chef du Fidesz, qui s’était fait injecter le vaccin Sinopharm pendant la pandémie de Covid, n’en a cure : mi-janvier, le groupe Xinzhi a annoncé la construction d’une usine de pièces automobiles dans la ville hongroise de Hatvan, à 60 kilomètres de la capitale. Au printemps prochain, une filiale de Cofco Packaging démarrera, elle, la production de canettes en aluminium à Mako, dans le sud-est du pays.
Une coopération terrestre et aérienne
Deux implantations chinoises qui s’ajoutent à une liste déjà longue, principalement dans le secteur automobile. Une manière de contourner les surtaxes européennes visant les voitures électriques produites en Chine. Le géant CATL construit la plus grande usine européenne de batteries à Debrecen, deuxième agglomération du pays, où sont aussi établies les firmes chinoises Semcorp et EVE Power. Szeged, la troisième ville hongroise, accueillera le premier site européen de BYD, le n° 1 mondial des véhicules électriques. Pour alimenter les assembleurs de batteries, le fabricant de cathodes Huayou Cobalt peaufine lui aussi sa première usine européenne à Acs, près de la frontière slovaque. Si les négociations aboutissent, le constructeur automobile chinois Great Wall Motors ouvrira la sienne à Bicserd, près de Pecs. Depuis janvier, le groupe J-Star Motion produit des moteurs électriques linéaires à Kaposvar, au sud-ouest du pays, dans son plus grand atelier européen.
L’automobile chinoise n’est pas la seule à essaimer dans ce pays aux sept frontières. La Hongrie héberge le plus grand site logistique de Huawei hors de Chine, à Biatorbagy, près de Budapest. Le géant de l’électronique, banni par certains pays occidentaux pour des soupçons de cyberespionnage, équipe le réseau 5G de la plateforme logistique East-West Gate de Fenyeslitke, non loin de l’Ukraine. L’installation accueille les trains venant de Chine et se rêve en porte occidentale des nouvelles routes de la soie, bien qu’elle ne dépende pas directement du projet.
Depuis dix ans, de nombreuses entreprises chinoise ont implanté un de leurs sites en Hongrie.
Outre cette coopération terrestre, les deux Etats partagent une « route de la soie aérienne ». En 2021, l’aéroport de Budapest a inauguré un terminal dédié au traitement du fret en provenance et à destination de Chine, en liaison avec l’aéroport de Zhengzhou. Quatre mois plus tard, la filiale logistique d’Alibaba, mastodonte chinois de l’e-commerce, faisait de la capitale hongroise son hub pour l’Europe centrale et orientale. Quant aux avions de ligne, ils font la navette entre Budapest et sept métropoles chinoises dont Pékin, Shanghai et Shenzhen.
Une influence écrasante ?
Le spectre d’une guerre commerciale entre les Etats-Unis de Donald Trump – l’allié d’Orban – et Pékin ne semble pas décourager le Hongrois. Pour autant, ces investissements, qui s’accompagnant de vagues de « travailleurs invités », seront-ils le remède aux maux de la production nationale, et notamment de son faible niveau d’innovation ?
« Tous ces projets signifient salariés chinois, construction chinoise et machines chinoises, ce qui n’avantage pas notre économie, alerte Tamas Matura, professeur assistant à l’université Corvinus. La Pologne, la Tchéquie et la Roumanie se sont détournées de Pékin à cause de la déception suscitée par la coopération 16 + 1 [NDLR : Europe centrale et orientale-Chine] et de sa proximité avec la Russie. Le gouvernement chinois ne compte plus que deux alliés en Europe, la Hongrie et la Serbie. » Spécialiste de la Chine, l’économiste Agnes Szunomar abonde : « Cette stratégie risque de renforcer la dépendance étrangère, qui est caractéristique du développement hongrois. L’influence des entreprises chinoises pourrait devenir écrasante, comme l’a été avant elle celle des sociétés allemandes. » En cas de choc externe, les capitaux repartent généralement aussi vite qu’ils sont entrés. Une vulnérabilité dont le martial Viktor Orban ne veut pas entendre parler.
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Author : Joël Le Pavous
Publish date : 2025-02-18 07:00:00
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