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Censurer le gouvernement de François Bayrou ? La leçon de Bougival

Censurer le gouvernement de François Bayrou ? La leçon de Bougival

Les représentants des forces politiques néo-calédoniennes ont donc trouvé la ressource pour se mettre d’accord sur ce que pourraient être les grands axes institutionnels de leur destin. A Bougival (Yvelines), les protagonistes se sont résolus au compromis à l’extrême limite, après que la rupture a été frôlée à plusieurs reprises dans les jours et les heures qui ont précédé ce dénouement. Il y a là de quoi réfléchir à ce qui va se passer bientôt au sujet du budget de la France et, plus précisément, de l’occasion qu’il va fournir aux partis politiques de faire tomber le gouvernement.

Si l’on entend ce que l’on entend, le résultat sera tout autre. Sauf manifestation de la grâce, aucun compromis ne sera trouvé. Chacun va jouer sa partition, songer aux élections, flatter ses troupes, faire ses comptes, reléguer tout esprit de responsabilité collective, se déterminer en fonction de son seul intérêt à court terme. Et donc voter la censure pour autant que cet intérêt sera jugé palpable, sans le moindre égard pour le fait qu’elle aggravera par elle-même les choses : les marchés étant ce qu’ils sont, notre dette se renchérira parce que l’instabilité politique y aura conduit, mais surtout parce que nos députés auront démontré leur incapacité à faire quoi que ce soit d’utile pour endiguer la crise de nos finances publiques. Le RN et une considérable partie de la gauche – PS y compris – vont donc ajouter du drame au drame, le cœur en fête et l’âme joyeuse, parce qu’ils le valent bien.

Mais pourquoi une telle différence ? Pourquoi voit-on ici le sol depuis le bord de la falaise, et là pas du tout ? Au-delà du jugement à porter sur les vices et les mérites de l’actuel projet de loi de finances – c’est un autre sujet – il faut se poser la question parce qu’elle renferme les principaux paramètres de notre survie.

Je suis tenté de penser que les négociateurs de Bougival ont senti, sur leur cou, le souffle de la mort et que l’esprit de responsabilité leur est venu avec la prégnance de son haleine. Quelque chose comme la conscience du danger… Très exactement ce que les protagonistes du petit jeu de la censure n’ont pas. A la vérité, ils sont comme la plupart des Français : ils n’ont pas vraiment peur. La majeure partie d’entre eux ne croit pas en la possibilité d’une catastrophe – pour ne rien dire de son imminence. D’aucuns sont convaincus qu’il suffirait de faire payer les riches pour liquider le problème ; d’autres cultivent l’idée qu’on raconte des salades, vu qu’on a bien su trouver les milliards du « quoi qu’il en coûte » lorsqu’il a fallu ; d’autres encore se prennent à rêver des grands coups de tronçonneuse qu’on finira bien par donner dans les dépenses sociales et la masse salariale publique quand le fond de la piscine aura été atteint. Et puis la France n’est pas la Grèce (bien qu’elle emprunte plus cher, désormais)…

Déqualification de la parole politique

Ajoutons-y l’extraordinaire déqualification de la parole politique et le soupçon quasi-complotiste qui l’accompagne. Au pouvoir, plus personne n’est cru. Voyez, sur un sujet connexe, ce qui est advenu du discours aux armées prononcé par le chef de l’Etat. Il nous disait que l’heure est grave et qu’il fallait consentir à quelques sacrifices pour rehausser notre garde. Mais rares sont ceux qui ont entendu – ou voulu entendre – autre chose que sa volonté toute communicationnelle de reprendre de l’espace politique et de se refaire une popularité. N’avait-il pas commencé à parler que la guerre n’était déjà plus nulle part. Les fragilités de nos armées non plus. L’esprit de défense s’est dissous tout de suite dans le commentaire politique. Quelques jours plus tard, François Bayrou proposait de supprimer deux jours de congés, ce dont a résulté la montée aux lustres que l’on sait : là était l’attaque, la vraie, la terrible… Le premier chapitre du feuilleton estival sur la chute annoncée de son gouvernement a ainsi pu s’ouvrir. De quoi lancer les paris, alimenter les conversations de plage et les stratégies d’appareil…

Nous sommes ailleurs, et nos représentants avec nous. Pas franchement beaux mais définitivement insouciants. Volontairement insouciants. Obscènement insouciants. Ceux de Bougival ne l’étaient pas parce que, d’expérience récente, ils savaient trop le poids des choses pour pouvoir les ignorer. Là était leur force, et l’océan symétrique de notre suicidaire faiblesse.

*Denys de Béchillon, constitutionnaliste et professeur de droit à l’université de Pau



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Author : Denys de Béchillon

Publish date : 2025-07-31 11:00:00

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