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« Nos économies vont être bousculées » : les prédictions vertigineuses de McKinsey

« Nos économies vont être bousculées » : les prédictions vertigineuses de McKinsey

On ne mesure pas encore l’ampleur de cette lame de fond, qui va bouleverser nos sociétés et nos économies dans quelques dizaines d’années. D’ici la fin du siècle, certains pays vont voir leur population se contracter de 20 à 50 %. La faiblesse de la natalité dans la plupart des régions du monde va recomposer les équilibres internationaux. Consommation, marché du travail, implantation des sites de production des entreprises, modèle social… Le bureau de recherche McKinsey Global Institute a récemment publié un rapport balayant les répercussions de ce déclin démographique mondial. Clarisse Magnin, directrice générale du cabinet de conseil en stratégie McKinsey en France, en décrypte les grands constats pour L’Express.

L’Express : Quels chiffres vous ont le plus marquée dans ce rapport ?

Clarisse Magnin : Les deux tiers des êtres humains vivent dans des pays où le taux de fécondité est inférieur au seuil de remplacement de 2,1 enfants par femme. Ce phénomène est d’autant plus frappant qu’il ne se cantonne pas aux pays développés, il est universel. Même la France dont la natalité a longtemps été dynamique, se trouve aujourd’hui loin de ce seuil. L’Amérique latine est à 1,8, l’Inde à 2… Ce sont des données dont on n’a pas forcément conscience. En Corée et à Singapour, la situation est davantage connue, mais notons que le taux est particulièrement faible, inférieur à 1. Au total, à l’horizon 2100, certains pays, à l’instar de la Chine du Japon ou de l’Italie, vont connaître une chute de leur population de 20 à 50 %, ce qui est considérable.

Quels impacts ces bouleversements démographiques auront-ils sur nos économies ?

Elles vont être assez bousculées. Toutefois la consommation mondiale ne va pas se réduire parce que le monde gagne en âge, bien au contraire. En 2050, elle va plus que doubler, passant de 84 000 milliards à 179 000 milliards de dollars. En revanche, elle va se répartir sur la planète très différemment. Par exemple, la part de l’Europe de l’Ouest dans la consommation mondiale est passée de 24 % en 1997, à 14 % en 2023 et devrait reculer encore à 9 % en 2050. Soit à peu près autant que la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord. Dans 25 ans, les principaux foyers de la consommation mondiale seront l’Amérique du Nord avec une part de 17 %, malgré une population déclinante, l’Inde (16 %) et l’Asie émergente (15 %). L’Afrique subsaharienne représentera un cas particulier, avec une part dans la consommation qui passera de 4 % actuellement à 5 % d’ici 2050 alors que, dans le même temps, sa population passera de 16 % à 23 % de l’humanité.

Avec quelles conséquences sur le marché du travail ?

Le vieillissement de la population va avoir des répercussions sur la disponibilité de la main-d’œuvre. Cette tendance milite donc pour une augmentation de l’intensité du travail, qui recouvre aussi bien le temps de travail, que le nombre d’années de travail ou le taux d’activité, des jeunes comme des seniors. Le Japon a misé depuis longtemps sur l’extension de la durée du travail tout au long de la vie, avec un taux d’activité des 50-65 ans de 85 %, un record mondial, et de 26 % chez les plus de 65 ans ! Ce modèle n’est pas forcément réplicable à d’autres sociétés, mais c’est une illustration des réponses possibles d’une natalité faible sur une longue période, dans un pays qui n’a pas recouru à l’immigration.

Y a-t-il d’autres leviers à activer pour contrecarrer les effets du déclin démographique sur l’économie ?

Les gains de productivité, qui permettent de produire plus avec des ressources constantes ou qui diminuent – en l’occurrence le nombre d’actifs. Or la croissance des gains de productivité des 25 dernières années s’est révélée modérée, en dépit de l’arrivée de la technologie. La grande question est de savoir si l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies vont permettre de réaccélérer le mouvement. La France en particulier, au cours de la dernière décennie, a enregistré des gains de productivité de 0,3 % par an. Pour compenser sa faible natalité, il faudrait les porter à 1 % par an. On pourrait croire qu’un tel triplement est hors d’atteinte. En réalité, c’est le rythme que l’on a observé entre 1997 et 2012, période durant laquelle la productivité a progressé de 1,1 % par an. Y parvenir suppose une adoption efficace de la technologie combinée à une adaptation des compétences. Ce qui est sûr, c’est que la passivité ne permettra pas de préserver notre modèle social ni la création de richesse en France.

Est-ce que certains pays tentent de relancer la natalité ? Avec quel résultat ?

Pour l’heure, aucune des tentatives pour faire repartir la natalité n’a été couronnée de succès, les causes de la dénatalité sont multifactorielles. Elles sont économiques, culturelles, liées aux aspirations des jeunes autant qu’à leur situation financière. Bien sûr, des efforts en matière d’accompagnement de la petite enfance peuvent aider. Mais regardons l’exemple de la Hongrie, qui y consacre 6 % de son PIB depuis plusieurs années et ne parvient absolument pas à enrayer le déclin de la fécondité… Au Japon et en Corée, les résultats ne sont absolument pas probants non plus.

Quelles mesures devraient prendre les Etats pour se préparer à ces évolutions ?

La contraction des populations semble inéluctable. Reste à savoir à quelle vitesse et dans quelle proportion. Il faut travailler des mécanismes d’atténuation et d’adaptation pour préserver un modèle social jusqu’ici construit sur la base d’une société en pyramide. Si elle évolue vers une forme d’obélisque, la solidarité intergénérationnelle est bouleversée. Cette mutation affecte aussi la création de richesses : avec la réduction de la population, le PIB par habitant décline. Mais ces effets se font ressentir dans un horizon de plusieurs dizaines d’années. Pour un Etat, il est difficile de se projeter et d’adopter les mesures qui s’imposent dès maintenant. En Europe comme aux Etats-Unis, l’immigration atténue le phénomène, ce qui pourrait différer le déclenchement des actions correctrices.

Et dans les entreprises ?

De la même façon, elles ont d’ordinaire un horizon de projection de 3 à 5 ans et non de 25 ou 50 ans, sauf peut-être celles qui relèvent du capitalisme familial, du modèle mutualiste ou pour des activités de l’économie sociale. La démarche est d’autant plus complexe qu’elle suppose de prendre en compte dans chaque géographie à la fois les éléments démographiques mais aussi la part de ces populations dans la consommation mondiale.

Quels leviers peuvent-elles activer pour s’adapter ?

Les entreprises doivent muscler la formation professionnelle, développer la mobilité des collaborateurs, adapter les temps de travail et relancer les gains de productivité, notamment par l’investissement dans la technologie. Elles seront contraintes de redéployer leurs activités en fonction de ces évolutions, en termes de demande et de capital humain. Réussir à attirer et retenir ses collaborateurs sera déterminant. On peut s’attendre à une vraie réflexion de redéploiement et de sécurisation. On parle en anglais de « workforce planning » : une stratégie de planification internationale des talents qui prend en compte à la fois les foyers de demande et la capacité à trouver de la main-d’œuvre plus ou moins qualifiée, selon l’industrie, à l’échelle mondiale.

En 2050, un quart des consommateurs aura plus de 65 ans, une proportion doublée par rapport à 1997. Cette évolution de la demande va-t-elle pénaliser les entreprises ?

L’augmentation de la part des seniors dans la population ne se traduit pas par une compression de la consommation, c’est même parfois l’inverse. Il y aura aussi beaucoup de marchés à servir, dans ce qu’on appelle la « silver economy », avec des besoins de biens et de services spécifiques, par exemple en matière de santé ou encore d’équipement et d’entretien du logement.

Faut-il s’attendre à une modification des rapports de force entre les puissances économiques de ce monde ?

En fin de compte, le poids des nations en termes de population et de richesse va se rééquilibrer. On est presque incrédule à lire ces chiffres : en 2100, la Chine pèsera à peine plus que l’Europe, avec 633 millions d’habitants contre 608 millions. De 21 % de l’humanité en 1997, elle passerait à 6 % dans 75 ans. De façon plus générale, le bloc constitué de l’ensemble des pays industrialisés et de la Chine verra son poids réduit de façon assez importante. Ma conviction est que, de ce fait, la coopération va devoir augmenter. Aujourd’hui, on se trouve dans un commerce mondial où les cartes sont rebattues, avec plus de barrières douanières et une région dans le monde, l’Europe, qui reste extrêmement ouverte aux importations. Au moment du Forum économique mondial, nous avons publié le baromètre de la coopération internationale : il traduit une légère contraction des échanges internationaux pour la première fois en une décennie. Mais dans un monde où la richesse et la population se répartissent davantage, avec des marchés intérieurs plus petits, on devra échanger entre des blocs plus éclatés.



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Author : Muriel Breiman

Publish date : 2025-02-17 05:00:00

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